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peut dire que la nécessité physique est fondée sur la nécessité morale, c'est-à-dire sur le choix du sage digne de sa sagesse; et que l'une aussi bien que l'autre doit être distinguée de la nécessité géométrique. Cette nécessité physique est ce qui fait l'ordre de la nature, et consiste dans les règles du mouvement et dans quelques autres lois générales qu'il a plu à Dieu de donner aux choses en leur donnant l'être. Il est donc vrai que ce n'est pas sans raison que Dieu les a données, car il ne choisit rien par caprice, et comme au sort, ou par une indifférence toute pure; mais les raisons générales du bien et de l'ordre qui l'y ont porté peuvent être vaincues dans quelques cas par des raisons plus grandes d'un ordre supérieur.

3. Cela fait voir que Dieu peut dispenser les créatures des lois qu'il leur a prescrites, et y produire ce que leur nature ne porte pas en faisant un miracle; et lorsqu'elles sont élevées à des perfections et à des facultés plus nobles que celles où elles peuvent arriver par leur nature, les scolastiques appellent cette faculté une puissance obedientielle, c'est à-dire que la chose acquiert en obéissant au commandement de celui qui peut donner ce qu'elle n'a pas, quoique ces scolastiques donnent ordinairement des exemples de cette puissance que je tiens impossible, comme lorsqu'ils prétendent que Dieu peut donner à la créature la faculté de créer: il se peut qu'il y ait des miracles que Dieu fait par le ministère des anges, où les lois de la nature ne sont point violées, non plus que lorsque les hommes aident la nature par l'art, l'artifice des anges ne différant du nôtre que par le degré de perfection. Cependant il demeure toujours vrai que les lois de la nature sont sujettes à la dispensation du législateur, au lieu que les vérités éternelles, comme celles de la géométrie, sont tout à fait indispensables, et la foi n'y saurait être contraire. C'est pourquoi il ne se peut faire qu'il y ait une objection invincible contre la vérité. Car si c'est une démonstration fondée sur des principes ou sur des faits incontestables, formée par un enchainement des vérités éternelles,

conclusion est certaine et indispensable, et ce qui y est opposé doit être faux; autrement deux contradictoires pourraient être vraies en même temps. Que si l'objection n'est point démonstrative, elle ne peut former qu'un argument vraisemblable qui n'a point de force contre la foi, puisqu'on convient que les mystères de la religion sont contraires aux apparences. Or M. Bayle déclare dans sa réponse posthume à M. le Clerc qu'il ne prétend point qu'il v ait des démonstrations contre les vérités de la foi ; et par conséquent toutes ces difficultés invincibles, ces combats prétendus de la raison contre la foi s'évanouissent.

Hi motus animorum atque hæc discrimina tanta
Pulveris exigui jactu compressa quiescunt.

4. Les théologiens protestants aussi bien que ceux du parti de Rome conviennent des maximes que je viens de poser, lorsqu'ils

traitent la matière avec soin; et tout ce qu'on dit contre la raison ne porte coup que contre une prétendue raison corrompue et abusée par de fausses apparences. Il en est de même des notions de la justice et de la bonté de Dieu. On en parle quelquefois comme si nous n'en avions aucune idée ni aucune défini– tion. Mais en ce cas nous n'aurions point de fondement de lui attribuer ces attributs ou de l'en louer. Sa bonté et sa justice, aussi bien que sa sagesse ne diffèrent des nôtres que parce qu'elles sont infiniment plus parfaites Ainsi les notions simples, les vérités nécessaires et les conséquences démonstratives de la philosophie ne sauraient être contraires à la révélation. Et lorsque quelques maximes philosophiques sont rejetées en théologie, c'est qu'on tient qu'elles ne sont que d'une nécessité physique ou morale qui ne parle que de ce qui a lieu ordinairement, et se fonde par conséquent sur les apparences, mais qui peut manquer si Dieu le trouve

bon.

5. Il paraît par ce que je viens de dire qu'il y a souvent un peu de confusion dans les expressions de ceux qui commettent ensemble la philosophie et la théologie, ou la foi et la raison : ils confondent expliquer, comprendre, prouver, soutenir. Et je trouve que M. Bayle, tout pénétrant qu'il est, n'est pas toujours exempt de cette confusion. Les mystères se peuvent expliquer autant qu'il faut pour les croire, mais on ne les saurait comprendre, ni faire entendre comment ils arrivent ; c'est ainsi que même en physique nous expliquons jusqu'à un certain point plusieurs qualités sensibles, mais d'une manière imparfaite, car nous ne les comprenons pas. Il ne nous est pas possible non plus de prouver les mystères par la raison : car tout ce qui se peut prouver a priori, ou par la raison pure, se peut comprendre. Tout ce qui nous reste donc, après avoir ajouté foi aux mystères sur les preuves de la vérité de la religion (qu'on appelle motifs de crédibilité), c'est de les pouvoir soutenir contre les objections; sans quoi nous ne serions point fundés à les croire: tout ce qui peut être réfuté pouvant manquer d'être faux ; et les preuves de la vérité de la religion, qui ne peuvent donner qu'une certitude morale, seraient balancées et même surmontées par des objections qui donneraient une certitude absolue, si elles étaient convaincantes et tout à fait démonstratives. Ce peu nous pourrait suffire pour lever les difficultés sur l'usage de la raison et de la philosophie par rapport à la religion, si on n'avait pas affaire bien souvent à des personnes prévenues. Mais comme la matière est importante, et qu'elle a été fort embrouillée, il sera à propos d'entrer dans un plus grand détail.

6. La question de la conformité de la fo avec la raison a toujours été un grand problème. Dans la primitive Eglise les plus habiles auteurs chrétiens s'accommodaient des pensées des platoniciens qui leur revenaient le plus et qui étaient le plus en vogue alors.

Peu à peu Aristote prit la place de Platon, lorsque le goût des systèmes commença à régner, et lorsque la théologie même devint plus systématique par les décisions des conciles généraux, qui fournissaient des formulaires précis et positifs. Saint Augustin, Boëce et Cassiodore dans l'Occident, et saint Jean de Damas dans l'Orient, ont contribué le plus à réduire la théologie en forme de science; sans parler de Bède, Alcuin, saint Anselme et quelques autres théologiens versés dans la philosophie, jusqu'à ce qu'enfin les scolastiques survinrent, et que le loisir des cloîtres donnant carrière aux spéculations, aidées par la philosophie d'Aristote traduite de l'arabe, on acheva de faire un composé de théologie et de philosophie, dans lequel la plupart des questions venaient du soin qu'on prenait de concilier la foi avec la raison. Mais ce n'était pas avec tout le succès qui aurait été à souhaiter, parce que la théologie avait été fort corrompue par le malheur des temps, par l'ignorance et par l'entêtement; et parce que la philosophie, outre ses propres défauts, qui étaient très-grands, se trouvait chargée de ceux de la théologie, qui se ressentait à son tour de l'association d'une philosophie très-obscure et très-imparfaite. Cependant il faut avouer avec l'incomparable Grotius, qu'il y a quelquefois de l'or caché sous les ordures du latin barbare des moines, ce qui m'a fait souhaiter plus d'une fois qu'un habile homme, que sa fonction eût obligé d'apprendre le langage de l'école, eût voulu en tirer ce qu'il y a de meilleur, et qu'un autre Pétau ou Thomassin eussent fait à l'égard des scolastiques ce que ces deux savants hommes ont fait à l'égard des pères. Ce serait un ouvrage très-curieux et très important pour l'histoire ecclésiastique, et qui continuerait celle des dogmes jusqu'au temps du rétablissement des belles-lettres (par le moyen desquelles les choses ont changé de face) et même au delà. Car plusieurs dogmes, comme ceux de la prédétermination physique, de la science moyenne, du péché philosophique, des précisions objectives, et beaucoup d'autres dans la théologie spéculative, et même dans la théologie pratique des cas de conscience, ont été mis en vogue, même après le concile de Trente.

7. Un peu avant ces changements et avant la grande scission de l'Occident qui dure encore, il y avait en Italie une secte de philosophes qui combattait cette conformité de la foi avec la raison que nous soutenons. On les nommait averroistes, parce qu'ils s'attachaient à un auteur arabe célèbre, qu'on appelait le commentateur par excellence, et qui paraissait être le mieux entré dans le sens d'Aristote parmi ceux de sa nation. Ce commentateur poussant ce que des interprètes grecs avaient déjà enseigné, prétendai! que, suivant Aristote et même suivant la raison (ce qu'on prenait presque alors pour la même chose), l'immortalité de l'âme ne pouvait subsister. Voici son raisonnement: Le genre humain est éternel, selon Aristote; donc si les âmes particulières ne périssent pas,

il faut venir à la métempsycose, rejetée par ce philosophe; ou, s'il y a toujours des âmes nouvelles, il faut admettre l'infinité de ces âmes conservées de toute éternité; mais l'infinité actuelle est impossible, selon la doctrine du même Aristote : donc il faut conclure que les âmes, c'est-à-dire les formes des corps organiques, doivent périr avec ces corps; ou du moins l'entendement passif appartenant en propre à un chacun. De sorte qu'il ne restera que l'entendement actif, commun à tous les hommes, qu'Aristote disait venir de dehors, et qui doit travailler partout où les organes y sont disposés; comme le vent produit une espèce de musique, lorsqu'il est poussé dans des tuyaux d'orgue bien ajustés. 8. Il n'y avait rien de plus faible que cette prétendue démonstration; il ne se trouve point qu'Aristote ait bien réfuté la métempsycose, ni qu'il ait prouvé l'éternité du genre humain; et après tout il est très-faux qu'un infini actuel soit impossible. Cependant cette démonstration passait pour invincible chez les aristotéliciens, et leur faisait croire qu'il y avait une certaine intelligence sublunaire, dont la participation faisait notre entendement actif. Mais d'autres, moins attachés à Aristote, allaient jusqu'à une âme universelle qui fût l'océan de toutes les âmes particulières, et croyaient cette âme universelle seule capable de subsister, pendant que les âmes particulières naissent et périssent. Suivant ce sentiment les âmes des animaux naissent en se détachant comme des gouttes de leur océan, lorsqu'elles trouvent un corps qu'elles peuvent animer; et elles périssent en se rejoignant à l'océan des âmes quand le corps est défait, comme des ruisseaux se perdent dans la mer. Et plusieurs allaient à croire que Dieu est cette âme universelle, quoique d'autres aient cru qu'elle était subordonnée et créée. Cette mauvaise doctrine est fort ancienne et fort capable d'éb'ouir le vulgaire. Elle est exprimée dans ces beaux vers de Virgile (En., VI, v. 724): Principio cœlum ac terram camposque liquentes, Lucentemque globum lunæ titaniaque astra, Spiritus intus alit, totamque infusa per artus Mens agitat molem, et magno se corpore miscet. Inde hominum pecudumque genus vitæque volantum. Et encore ailleurs (Georg., IV, v. 221):

Deum namque ire per omnes Terrasque tractusque maris caluinque profundum. Hinc pecudes, armenta, viros, genus onme ferarum, Quemque sibi tenues nascentem arcessere vitas. Scilicet huc reddi deinde ac resoluta referri,

9. L'âme du monde de Platon a été prise dans ce sens par quelques-uns; mais il y a plus d'apparence que les stoïciens donnaient dans cette âme commune qui absorbe toutes les autres. Ceux qui sont de ce sentiment pourraient être appelés monopsychites; puisque, selon eux, il n'y a véritablement qu'une seule âme qui subsiste. Monsieur Bernier remarque que c'est une opinion presque universellement reçue chez les savants dans la Perse et dans les états du grand mogol; il parait même qu'elle a trouvé entrée chez les cabalistes et chez les mystiques. Un cer

tain Allemand, natif de la Souabe, devenu Juif, il y a quelques années, et dogmatisant sous le nom de Moses Germanus, s'étant attaché aux dogmes de Spinosa, a cru que Spinosa renouvelle l'ancienne cabale des Hébreux et un savant homme, qui a réfuté ce prosélyte juif, paraît être du même sentiment. L'on sait que Spinosa ne reconnaît qu'une seule substance dans le monde, dont les âmes individuelles ne sont que des modifications passagères. Valentin Weigel, pasteur de Tschopa en Misnie, homme d'esprit, et qui en avait même trop, quoiqu'on l'ait voulu faire passer pour un enthousiaste, en tenait peut-être quelque chose, aussi bien que celui qui se nomme Jean Angelus, Silésien, auteur de certains petits vers de dévotion allemands assez jolis, en forme d'épigrammes, qu'on vient de réimprimer. Et généralement la déification des mystiques pouvait recevoir ce mauvais sens. Gerson a déjà écrit contre Rusbrock, auteur mystique, dont l'intention était bonne apparemment, et dont les expressions sont excusables; mais il vaut mieux écrire d'une manière qui n'ait point besoin d'être excusée, quoique j'avoue aussi que souvent les expressions outrées, et pour ainsi dire poétiques, ont plus de force pour toucher et pour persuader que ce qui se dit avec régularité.

10. L'anéantissement de ce qui nous appartient en propre, porté fort loin par les quiétistes, pourrait bien être aussi une impiété déguisée chez quelques-uns : comme ce qu'on raconte du quiétisme de Foë, auteur d'une grande secte de la Chine, lequel après avoir prêché sa religion pendant quarante ans, se sentant proche de la mort, déclara à ses disciples qu'il leur avait caché la vérité sous le voile des métaphores, et que tout se réduisait au néant, qu'il disait être le premier principe de toutes choses. C'était encore pis, ce semble, que l'opinion des averroïstes. L'une et l'autre doctrine est insoutenable et même extravagante cependant quelques modernes n'ont point fait difficulté d'adopter cette âme universelle et unique qui engloutit les autres. Elle n'a trouvé que trop d'applaudissements parmi les prétendus esprits forts, et le sieur de Preissac, soldat et homme d'esprit, qui se mêlait de philosophie, l'a étalée autrefois publiquement dans ses discours. Le système de l'Harmonie préétablie est le plus capable de guérir ce mal. Car il fait voir qu'il y a nécessairement des substances simples et sans étendue répandues par toute la nature; que ces substances doivent toujours subsister indépendamment de tout autre que de Dieu, et qu'elles ne sont jamais séparées de tout corps organisé. Ceux qui croient que des âmes capables de sentiment, mais incapables de raison, sont mortelles, ou qui soutiennent qu'il n'y a que les âmes raisonnables qui puissent avoir du sentiment, donnent beaucoup de prise aux monopsychites; car il sera toujours difficile de persuader aux hommes que les bêtes ne sentent rien et quand on accorde une fois que ce qui est capable de sentiment peut périr,

il est difficile de maintenir par la raison l'immortalité de nos âmes.

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11. J'ai fait cette petite digression; parce qu'elle m'a paru de saison, dans un temps où l'on n'a que trop de disposition à renverser jusqu'aux fondements de la religion naturelle et je reviens aux averroïstes, qui se persuadaient que leur dogme était démontré suivant la raison, ce qui leur faisait avancer que l'âme de l'homme est mortelle selon la philosophie, pendant qu'ils protestaient de se soumettre à la théologie chrétienne, qui la déclare immortelle. Mais cette distinction passa pour suspecte, et ce divorce de la foi et de la raison fut rejeté hautement par les prélats et par les docteurs de ce temps-là, et condamné dans le dernier concile de Latran, sous Léon X, où les savants furent exhortés à travailler pour lever les difficultés qui semblaient commettre ensemble la théologie et la philosophie. La doctrine de leur incompatibilité ne laissa pas de se maintenir incognito: Pomponace en fut soupçonné, quoiqu'il s'expliquât autrement, et la secte même des averroistes se conserva par tradition. On croit que César Crémonin, philosophe fameux en son temps, en a été un des arcs-boutants. André Césalpin, médecin (auteur de mérite et qui a le plus approché de la circulation du sang après Michel Servet), a été accusé par Nicolas Taurel (dans un livre intitulé: Alpes cæsa) d'être de ces péripatéticiens contraires à la religion. On trouve aussi des traces de cette doctrine dans le Circulus pisanus Claudii Berigardi, qui fut un auteur français de nation, transplanté en Itatie et enseignant la philosophie à Pise; mais surtout les écrits et les lettres de Gabriel Naudé, aussi bien que les Naudeana, font voir que l'averroïsme subsistait encore quand ce savant médecin était en Italie. La philosophie corpusculaire, introduite un peu après, paraît avoir éteint cette secte trop péripatéticienne, ou peut-être y a été mêlée : et il se peut qu'il y ait des atomistes, qui seraient d'humeur à dogmatiser comme ces averroïstes, si les conjonctures le permettaient; mais cet abus ne saurait faire tort à ce qu'il y a de bon dans la philosophie corpusculaire, qu'on peut fort bien combiner avec ce qu'il y a de solide dans Platon et dans Aristote, et accorder l'un et l'autre avec la véritable théologie.

12. Les réformateurs, et Luther surtout, comme je l'ai déjà remarqué, ont parlé quelquefois comme s'ils rejelaient la philosophie et comme s'ils la jugeaient ennemie de la foi. Mais, à le bien prendre, on voit que Luther n'entendait par la philosophie que ce qui est conforme au cours ordinaire de la nature, ou peut-être même ce qui s'enseignait dans les écoles; comme lorsqu'il dit qu'il est impossible en philosophie, c'est-àdire dans l'ordre de la nature, que le Verbe se fasse chair; et lorsqu'il va jusqu'à soutenir que ce qui est vrai en physique pourrait être faux en morale. Aristote fut l'objet de sa colère, et il avait dessein de purger la philosophie dès l'an 1516, lorsqu'il ne pen

sait peut-être pas encore à réformer l'Eglise. Mais enfin il se radoucit et souffrit que dans l'Apologie de la confession d'Augsbourg on parlât avantageusement d'Aristote et de sa morale. Mélanchthon, esprit solide et modéré, fit de petits systèmes des parties de la philosophie, accommodés aux vérités de la révélation et utiles dans la vie civile, qui méritent encore présentement d'être lus. Après lui, Pierre de la Ramée se mit sur les rangs; sa philosophie fut fort en vogue, la secte des ramistes fut puissante en Allemagne, et fort suivie parmi les protestants, et employée même en théologie, jusqu'à ce que la philosophie corpusculaire fût ressuscitée, qui fit oublier celle de Ramus, et affaiblit le crédit des péripatéticiens.

13. Cependant plusieurs théologiens protestants s'éloignant le plus qu'ils pouvaient de la philosophie de l'école, qui régnait dans le parti opposé, allaient jusqu'au mépris de la philosophie même qui leur était suspecte et la contestation éclata enfin à Helmstadt par l'animosité de Daniel Hoffman, théologien, habile d'ailleurs, et qui avait acquis autrefois de la réputation à la conférence de Quedlingbourg, où Tileman Heshusius et lui avaient été de la part du duc Jules de Brunswick, lorsqu'il refusa de recevoir la formule de concorde. Je ne sais comment le docteur Hoffman s'emporta contre la philosophie, au lieu de se contenter de blâmer les abus que les philosophes en font mais il eut en tête Jean Casélius, homme célèbre, estimé des princes et des savants de son temps; et le duc de Brunswick, Henri-Jules (fils de Jules, fondateur de l'université), ayant pris la peine lui-même d'examiner la matière, condamna le théologien. Il y a eu quelques petites disputes semblables depuis, mais on a toujours trouvé que c'étaient des malentendus. Paul Slevogt, professeur célèbre à Iéna en Thuringe, et dont les dissertations qui nous restent, marquent encore combien il était versé dans la philosophie scolastique et dans la littérature hébraïque, avait publié dans sa jeunesse, sous le titre de Pervigilium, un pelit livre, de Dissidio theologi et philosophi in utriusque principiis fundato, au sujet de la question si Dieu est cause par accident du péché. Mais on voyait bien que son but était de montrer que les théologiens abusent quelquefois des termes philosophiques.

14. Pour venir à ce qui est arrivé de mon temps, je me souviens qu'en 1666, lorsque Louis Meyer, médecin d'Amsterdam, publia, sans se nommer, le livre intitulé: Philosophia, Scripturæ interpres (que plusieurs ont donné mal à propos à Spinosa, son ami), les théologiens de Hollande se remuèrent, et leurs écrits contre ce livre firent naître de grandes contestations entre eux; plusieurs jugeant que les cartésiens, en réfutant le philosophe anonyme, avaient trop accordé à la philosophie. Jean de Labadie (avant qu'il se fût séparé des églises réformées, sous prétexte de quelques abus qu'il disait s'être glissés dans la pratique publique, et qu'il jugeait insupportables) attaqua le livre de

M. de Wolzogue, et le traita de pernicieux; el d'un autre côté M. Vogelsang, M. van der Waeyen et quelques autres anti-cocceïens combattirent aussi le même livre avec beaucoup d'aigreur; mais l'accusé gagna sa cause dans un synode. On parla depuis en Hollande de théologiens rationaux et non rationaux, distinction de parti dont M. Bayle fait souvent mention, se déclarant enfin contre les premiers; mais il ne paraît pas qu'on ait encore bien donné les règles précisés, dont les uns et les autres conviennent ou ne conviennent pas à l'égard de l'usage de la raison dans l'explication de la sainte Ecriture.

15. Une dispute semblable a pensé troubler encore depuis peu les églises de la confession d'Augsbourg. Quelques maîtres ès-arts dans l'université de Leipsick, faisant des leçons particulières chez eux aux étudiants qui les allaient trouver pour apprendre ce qu'on appelle la philologie sacrée, suivant l'usage de cette université et de quelques autres, où ce genre d'étude n'est point réservé à la faculté de théologie ces maîtres, dis-je, pressèrent l'étude des saintes Ecritures et l'exercice de la piété plus que leurs pareils n'avaient coutume de faire. Et l'on prétend qu'ils avaient outré certaines choses, et donné des soupçons de quelque nouveauté dans la doctrine: ce qui leur fit donner le nom de piétistes, comme d'une secte nouvelle, nom qui depuis a fait tant de bruit en Allemagne, et a été appliqué bien ou mal à ceux qu'on soupçonnait ou qu'on faisait semblant de soupçonner de fanatisme ou même d'hypocrisie cachée sous quelque apparence de réforme. Or quelques-uns des auditeurs de ces maîtres s'étant trop distingués par des manières qu'on trouva choquantes, et entre autres par le mépris de la philosophie, dont on disait qu'ils avaient brûlé les cahiers des leçons, on crut que leurs maîtres rejetaient la philosophie; mais ils s'en justifièrent fort bien, et on ne put les convaincre ni de cette erreur ni des hérésies qu'on leur imputait.

16. La question de l'usage de la philosophie dans la théologie a été fort agitée parmi les chrétiens, et l'on a eu de la peine à convenir des bornes de cet usage, quand on est entré dans le détail. Les mystères de la trinité, de l'incarnation et de la sainte cène donnèrent le plus d'occasion à la dispute. Les photiniens nouveaux, combattant les deux premiers mystères, se servaient de certaines maximes philosophiques, dont André Kesler, théologien de la confession d'Augsbourg, a donné le précis dans les traités divers qu'il a publiés sur les parties de la philosophie socinienne. Mais quant à leur métaphysique, on s'en pourrait instruire davantage par la lecture de celle de Christophe Stegman, socinien, qui n'est pas encore imprimée, que j'avais vue dans ma jeunesse, et qui m'a été encore communiquée depuis peu.

17. Calovius et Scherzerus, auteurs bien versés dans la philosophie de l'école, et plusieurs autres théologiens habiles ont ample ment répondu aux sociniens, et souvent avec

succès; ne s'étant point contentés des réponses générales un peu cavalières dont on se servait ordinairement contre eux, et qui revenaient à dire que leurs maximes étaient bonnes en philosophie et non pas en théologie; que c'était le defaut de l'hétérogénéité qui s'appelle erάbates sis ለo yvos, si quelqu'un les employait quand il s'agit de ce qui passe la raison; et que la philosophie devait être traitée en servante, et non pas en maîtresse, par rapport à la théologie, suivant le titre du livre de Robert Baronius, Ecossais, intitulé: Philosophia theologiæ ancillans. Enfin que c'était une Agar auprès de Sara, qu'il fallait chasser de la maison avec son Ismaël, quand elle faisait la mutine. Il y a quelque chose de bon dans ces réponses: mais comme on en pourrait abuser, et commettre mal à propos les vérités naturelles et les vérités révélées, les savants se sont attachés à distinguer ce qu'il y a de nécessaire et d'indispensable dans les vérités naturelles ou philosophiques, d'avec ce qui ne l'est point.

18. Les deux partis protestants sont assez d'accord entre eux, quand il s'agit de faire la guerre aux sociniens et comme la philosophie de ces sectaires n'est pas des plus exactes, on a réussi le plus souvent à la battre en ruine. Mais les mêmes protestants se sont brouillés entre eux à l'occasion du sacrement de l'eucharistie, lorsqu'une partie de ceux qui s'appellent réformés (c'est-à-dire ceux qui suivent en cela plutôt Zwingle que Calvin) a paru réduire la participation du corps de Jésus-Christ, dans la sainte cène, à une simple représentation de figure, en se servant de la maxime des philosophes qui porte qu'un corps ne peut être qu'en un seul lieu à la fois au lieu que les évangéliques (qui s'appellent ainsi dans un sens particulier, pour se distinguer des réformés) étant plus attachés au sens littéral. ont jugé avec Luther, que cette participation était réelle, et qu'il y avait là un mystère surnaturel. Ils rejettent, à la vérité, le dogme de la transsubstantiation qu'ils croient peu fondé dans le texte; et ils n'approuvent point non plus celui de la consubstantiation ou de J'impanation qu'on ne peut leur imputer que faute d'être bien informés de leur sentiment; puisqu'ils n'admettent point l'inclusion du corps de Jésus-Christ dans le pain, et ne demandent même aucune union de l'un avec l'autre ; mais ils demandent au moins une concomitance, en sorte que ces deux substances soient reçues toutes deux en même temps. Ils croient que la signification ordinaire des paroles de Jésus-Christ dans une occasion aussi importante que celle où il s'agissait d'exprimer ses dernières volontés, doit être conservée; et pour maintenir que ce sens est exempt de toute absurdité qui nous en pourrait éloigner, ils soutiennent que la maxime philosophique qui borne l'existence et la participation des corps à un seul lieu n'est qu'une suite du cours ordinaire de la nature. Ils ne détruisent pas pour cela la présence ordinaire du corps de notre Sauveur, telle qu'elle peut convenir au corps le plus

glorifié. Ils n'ont point recours à je ne sais quelle diffusion d'ubiquité qui le dissiperait et ne le laisserait trouver nulle part; et ils n'admettent pas non plus la réplication multipliée de quelques scolastiques, comme si un même corps était en même temps assis iei et debout ailleurs. Enfin ils s'expliquent de telle sorte, qu'il semble à plusieurs que le sentiment de Calvin, autorisé par plusieurs confessions de foi des églises qui ont reçu la doctrine de cet auteur, lorsqu'il établit une participation de la substance, n'est pas si éloigné de la confession d'Augsbourg qu'on pourrait penser, et ne diffère peut-être qu'en ce que pour cette participation il demande la véritable foi outre la réception orale des symboles, et exclut par conséquent les indignes.

19. On voit par là que le dogme de la participation réelle et substantielle se peut soutenir (sans recourir aux opinions étranges de quelques scolastiques) par une analogie bien entendue entre l'opération immédiate et la présence. Et comme plusieurs philosophes ont jugé que, même dans l'ordre de la nature, un corps peut opérer immédiatement en distance sur plusieurs corps éloignés tout à la fois, ils croient, à plus forte raison, que rien ne peut empêcher la toute-puissance divine de faire qu'un corps soit présent à plusieurs corps ensemble; n'y ayant pas un grand trajet de l'opération immédiate à la présence, et peut-être l'une dépendant de l'autre. Il est vrai que depuis quelque temps les philosophes modernes ont rejeté l'opération naturelle immédiate d'un corps sur un autre corps éloigné et j'avoue que je suis de leur sentiment. Cependant l'opération en distance vient d'être réhabilitée en Angleterre par l'excellent M. Newton, qui soutient qu'il est de la nature des corps de s'attirer et de peser les uns sur les autres à proportion de la masse d'un chacun et des rayons d'attraction qu'il reçoit : sur quoi le célèbre M. Locke a déclaré, en répondant à M. l'évêque Stillingfleet, qu'après avoir vu le livre de M. Newton, il rétracte ce qu'il avait dit lui-même, suivant l'opinion des modernes, dans son Essai sur l'entendement, savoir qu'un corps ne peut opérer immédiatement sur un autre qu'en le touchant par sa superficie, et en le poussant par son mouvement: et il reconnaît que Dieu peut mettre des propriétés dans la matière qui la fassent opérer dans l'éloignement. C'est ainsi que les théologiens de la confession d'Augsbourg soutiennent qu'il dépend de Dieu, non seulement qu'un corps opère immédiatement sur plusieurs autres éloignés entre eux, mais qu'il existe même auprès d'eux, et en soit reçu d'une manière dans laquelle les intervalles des lieux et les dimensions des espaces n'aient point de part. Et quoique cet effet surpasse les forces de la nature, ils ne croient point qu'on puisse faire voir qu'il surpasse la puissance de l'auteur de la nature, à qui il est aisé d'abroger les lois qu'il a données, ou d'en dispenser comme bon lui semble, de la même manière qu'il a pu faire nager le fer sur l'eau, el suspendre

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