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montagnes seraient aplanies, et toute chair verrait le salut de Dieu.

La religion judaïque n'était que le commencement imparfait de cette adoration en esprit et en vérité qni est l'unique culte digne de Dieu. Retranchez de la religion judaïque les bénédictions temporelles, les figures mystérieuses, les cérémonies accordées pour préserver le peuple du culte idolâtre, enfin les polices légales, il ne reste que l'amour; ensuite développez et perfectionnez cet amour, voilà le christianisme dont le judaïsme n'était que le germe et la préparalion.

Tout homme qui ne sera point indisposé par l'amour-propre, et qui suivra sa raison soutenue du premier attrait de la grâce, sentira d'abord sans discussion qu'il n'y a qu'une seule religion qui mérite d'être écoutée. C'est celle qui fait aimer Dieu et qui consiste toute dans cet amour. Il n'y aura ni à comparer ni à choisir, car il ne verra qu'un seul culte qui honore Dieu.

Pour les mystères incompréhensibles, il ne voudra nullement les comprendre. C'est le caractère de l'infini de ne pouvoir être compris et celui du fini de ne pouvoir comdre ce qui le surpasse infiniment. Il ne sera point surpris de trouver trois personnes en une nature, lui qui porte en soi deux natures en une personne. De plus il ne sera point surpris de ce qu'il n'a point une idée assez claire de ces termes de personnes et de na

tures.

Il sera encore moins étonné de ce que Dieu, sans rien perdre de sa puissance et de sa gloire, est venu, dans une chair semblable à la nôtre, nous apprendre à vivre et à mourir. Qu'y a-t-il de plus digne de l'amour, que de venir s'aimer en nous pour nous rendre heureux en lui!

Il ne s'étonnera point encore de ce que Dieu exclut de son royame céleste, qui n'est dû à aucun homme et qui est une pure grâce, les hommes qui vivent contre leur propre raison, et contre l'attrait de la grâce, par le quel Dieu les avait préparés à la vraie religion. Il reconnaîtra même que Dieu peut exclure d'un don surnaturel et purement gratuit, tous les enfants du premier homme qui ne sont plus dans la perfection origi

nelle.

Si on demande ce qu'il faut croire de tous les hommes qui n'ont jamais embrassé le christianisme ni le judaïsme, saint Augustin répond ainsi (1): Omnino numquam defuit ad salutem justitiæ pietatique mortalium, et si qua in aliis atque in aliis populis, una eademque religione sociatis, varie celebrantur, quatenus fiat plurimum refert... Itaque ab exordio generis humani, quicumque in eum crédiderunt, eumque utcumque intellexerunt, et secundum ejus præcepta pie et juste vixerunt, quandolibet et ubilibet fuerint, per eum procul dubio salvi facti sunt... Nec quia, pro temporum varietate, nunc factum annuntiatur

(1) Ep. CII ad Deo gratias, quæst. II, n. 40, 42, 15, tom II.

quod tunc futurum prænuntiabatur, ideo fides ipsa variata, vel salus ipsa diversa est. Nec quia una eademque res, aliis atque aliis sacris et sacramentis vel prædicatur aut prophetatur, ideo alias atque alias res, vel alias atque alias salutes oportet intelligi... Proinde aliis tunc nominibus et signis, aliis autem nunc, et prius occultius, postea manifestius, et prius a paucioribus, postea a pluribus, una tamen eademque religio vera significatur et observatur... Cum enim nonnulli commemorantur in sanctis hebraicis libris, jam ex tempore Abrahæ, nec de stirpe carnis ejus, nec ex populo Israel, nec ex adventitia societate in populo Israel, qui tamen hujus sacramenti participes fuerunt; cur non credamus etiam in cæteris hac atque illac gentibus, alias alios fuisse, quamvis evs commemoratos in eisdem auctoritatibus non legamus ? Ita salus religionis hujus, per quam solam veram salus vera veraciterque promittitur, nulli unquam defuit qui dignus fuit, et cui defuit, dignus non fuit (1).

Saint Augustin a parlé très-souvent ailleurs dans le même esprit, quoiqu'il ait pris soin de développer le dogme de la prédestination purement gratuite à la grâce qui n'affaiblit en rien la véritable doctrine, qui résulte de ce texte. De plus, l'auteur des livres de la Vocation des Gentils, qui est saint Léon ou saint Prosper, établit précisément la même doctrine. Pour moi, je craindrais de mêler mes pensées et mes paroles avec celles de ces saints docteurs. Ma conclusion est que tout homme qui, par sa raison aidée de l'attrait d'une première grâce, aura un commencement de l'amour suprême pour Dieu, qui est l'unique culte digne de lui, aura déjà en soi le commencement de ce culte, qui est

(1) La volonté de Dieu n'a jamais manqué de se faire connaître aux hommes justes et pieux; et si parmi divers peuples unis dans une même religion il se trouve diversité de culte, il importe beaucoup de savoir jusqu'à quel point elle s'étend... Tous ceux done qui, ayant cru en lui depuis le commencement du monde, et en ayant eu quelque connaissance, ont vécu dans la piété et dans la justice en gardant ses préceptes, ont été sans aucun doute sauvés par lui, eu quelque temps et en quelque lieu du monde qu'ils aient vécu..... Et quoique la diversité des temps fasse qu'on annonce maintenant l'accomplissement de ce qui n'était alors que prédit, on ne peut pas dire pour cela que la foi ait varié, ni que le salut soit autre; et parce qu'une chose est annoncée et prophétisée sous divers signes sacrés, on ne doit pas y voir des choses différentes, ni diverses sortes de salut... Ainsi, quoique la religion ait paru autrefois sous un autre nom et sous une autre förme, qu'elle ait été autrefois plus cachée, et qu'elle soit maintenant connue d'un plus grand nombre d'hommes, c'est toujours la même et véritable religion annoncée et observée...... Comme l'Ecriture sainte en marque quelques-uns dès le temps d'Abraham, qui n'étaient point de sa race, ni originairement Israélites, ni associés à ce peuple, auxquels cependant Dieu fit part de ce mystére, pourquoi ne croirions-nous pas qu'il y en a eu d'autres dans les nations répandues çà et là, quoique nous ne lisions pas leurs moins dans les saints livres? Ainsi, le salut promis par cette religion, seule véritable et fidèle dans ses promesses, n'a jamais manqué à celui qui en était digne; et s'il a manqué à quelqu'un, c'est qu'iln'en était pas digne.

la vraie religion et le fond du christianisme; il aura déjà en soi l'opération médicinale de Jésus-Christ sauveur; il aura déjà un premier fruit de la médiation du Messie. La grâce du Sauveur opérant en lui le mènera alors au Sauveur même le principe intérieur le conduira à l'autorité extérieure. C'est le cas où saint Thomas dit « qu'il faut croire très-certainement que Dieu agira, ou immédiatement par une révélation intérieure, ou extérieurement par un prédicateur de la

foi, envoyé d'une façon extraordinaire jusque dans les pays les plus sauvages, en faveur de cet homme rendu digne de Dieu par la grâce prévenante de Jésus-Christ. >>

Tout ceci n'est qu'un premier coup de crayon: je n'explique rien à fond et avec ordre; je vous présente seulement de quoi examiner. Vous développerez mieux que moi, Monsieur, ce que je ne vous propose qu'en confusion.

LETTRE SEPTIÈME.

SUR LA VÉRITÉ DE LA RELIGION ET SUR SA PRATIQUE..

Je crois, Monsieur, que vous avez trois choses principales à faire. La première est d'éclaircir les points fondamentaux de la religion, si par hasard vous aviez là-dessus quelque doute ou quelque défaut de persuasion assez vive et assez distincte. La seconde est d'examiner votre conscience sur le passé. La troisième est de vous faire un plan de vie chrétienne pour l'avenir.

I. On n'a rien de solide à opposer aux vérités de la religion. Il y en a un grand nombre des plus fondamentales qui sont conformes à la raison. On ne les rejette que par orgueil, que par un libertinage d'esprit, que par le goût des passions, et par la crainte de subir un joug trop gênant. Par exemple, il est facile de voir que nous ne nous sommes pas faits nous-mêmes, que nous avons commencé à être ce que nous n'étions pas, que notre corps, dont la machine est pleine de ressorts si bien concertés, ne peut être que l'ouvrage d'une puissance et d'une industrie merveilleuse, que l'univers découvre dans toutes ses parties l'art de l'ouvrier suprême qui l'a formé, que notre faible raison est à tout moment redressée au dedans de nous par une autre raison supérieure que nous consultons et qui nous corrige, que nous ne pouvons changer parce qu'elle est immuable, et qui nous change parce que nous en avons besoin. Tous la consultent en tous lieux. Elle répond à la Chine comme en France et dans l'Amérique. Elle ne se divise point en se communiquant; ce qu'elle me donne de sa lumière n'ôte rien à ceux qui en étaient déjà remplis. Elle se prête à tout moment sans mesure, et ne s'épuise jamais. C'est un soleil dont la lumière éclaire les esprits comme le soleil éclaire les corps. Cette lumière est éternelle et immense, elle comprend tous les temps comme tous les lieux. Elle n'est point moi, puisqu'elle me reprend et me corrige malgré moi-même. Elle est donc au-dessus de moi et au-dessus de tous les autres hommes faibles et imparfaits comme je le suis. Cette raison suprême qui est la règle de la mienne, cette sagesse de laquelle tout sage reçoit ce qu'il a, cette source supérieure de lumières où nous puisons lous

est le Dieu que nous cherchons. Il est par lui-même, et nons ne sommes que par luiIl nous a faits semblables à lui, c'est-à-dire raisonnables, afin que nous puissions le connaître comme la vérité infinie, et l'aimer comme l'immense bonté. Voilà la religion, car la religion est l'amour. Aimer Dien, et en communiquer l'amour aux autres hommes, c'est exercer le culte parfait. Dieu est notre père, nous sommes ses enfants. Les pères de la terre ne sont point pères comme lui, ils n'en sont que l'ombre. Nous lui devons la connaissance, la vie, l'être et tout ce que nous sommes. Faut-il que nous, qui avons tant d'horreur de l'ingratitude d'homme à homme sur les moindres bienfaits, nous fassions gloire d'une ingratitude monstrueuse à l'égard du père de qui nous avons reçu le fond de notre être ? Faut-il que nous usions sans cesse des dons de son amour pour violer sa loi et pour l'outrager! Voilà les vérités fondamentales de la religion que la raison même renferme. La religion n'ajoute à la probité mondaine que la consolation de faire par amour et par reconnaissance pour notre père céleste ce que la raison nous demande elle-même en faveur des vertus.

Il est vrai que la religion nous propose d'autres vérités qu'on nomme des mystères, et qui sont incompréhensibles. Mais faut-il s'étonner que l'homme, qui ne connaît ni les ressorts de son propre corps dont il se sert à toute heure, ni les pensées de son esprit qu'il ne peut se développer à soi-même, ne puisse pas comprendre les secrets de Dieu ? Faut-il s'étonner que le fini ne puisse pas égaler el épuiser l'infini ? On peut dire que la religion n'aurait pas le caractère de l'infini, d'où elle vient, si elle ne surmontait pas notre courte et faible intelligence. Il est digne de Dieu, et conforme à notre besoin, que notre raison soit humiliée et confondue par cette autorité accablante des mystères que nous ne pouvons pénétrer.

D'ailleurs la religion ne nous présente rien que de conforme à la raison, que d'aimable. que de touchant, que de digne d'être admiré. dans tout ce qui regarde les sentiments qu'elle

nous inspire, et les mœurs qu'elle exige de nous. L'unique point qui puisse révolter notre cœur est l'obligation d'aimer Dieu plus que nous-mêmes, et de nous rapporter entièrement à lui. Mais qu'y a-t-il de plus juste que de rendre tout à celui de qui tout nous vient, et que de lui rapporter ce moi que nous tenons de lui seul? Qu'y a-t-il, au contraire, de plus injuste, que d'avoir tant de peine à entrer dans un sentiment si juste et si raisonnable ? Il faut que nous soyons bien égarés de notre voie, et bien dénaturés, pour être si révoltés contre une subordination si légitime. C'est l'amour-propre aveugle, effrěné, insatiable, tyrannique, qui veut tout pour lui seul, qui nous rend idolâtres de nousmêmes, qui fait que nous voudrions être le centre du monde entier, et que Dieu même ne servit qu'à flatter nos vains désirs. C'est lui qui est l'ennemi de l'amour de Dieu. Voilà la plaie profonde de notre cœur ; voilà le grand principe de l'irréligion. Quand est-ce que l'homme se fera justice? quand est-ce qu'il se mettra dans sa vraie place? quand est-ce qu'il ne s'aimera que par raison, à proportion de ce qu'il est aimable, et qu'il préférera à soi non seulement Dieu qui ne souffre nulle comparaison, mais encore tout bien public de la société des autres hommes imparfaits comme lui? Encore une fois, voilà la religion connaître, craindre, aimer Dieu, c'est là tout l'homme, comme dit le sage (Eccl., XII, 13). Tout le reste n'est point le vrai homme; ce n'est que l'homme dénaturé, que l'homme corrompu et dégradé, que l'homme qui perd tout en voulant follement se donner tout, et qui va mendier un faux bonheur chez les créatures en méprisant le vrai bonheur que Dieu lui promet. Que met-on à la place de ce bien infini? Un plaisir honteux, un fantôme d'honneur, l'estime des hommes qu'on méprise. Quand vous aurez bien affermi les principes de la religion dans votre cœur, il faudra entrer dans l'examen de votre conscience pour réparer les fautes de la vie passée.

II. Le premier pas pour cet examen est de vous mettre dans les dispositions que vous devez à Dieu. Voulez-vous qu'un homme de condition sente les fautes qu'il a faites dans le monde contre l'honneur d'une façon indigne de sa naissance? commencez par le faire entrer dans les sentiments nobles et vertueux que la probité et l'honneur doivent lui inspirer alors il sentira très-vivement jusqu'aux moindres fautes qu'il aura commises en ce genre, il se les reprochera en toute rigueur, if en sera honteux et inconsolable. Pour nous affliger de nos fautes, il faut que nous ayons dans le cœur l'amour de la vertu qui est opposée à ces fautes-là. Voulez-vous discerner exactement toutes les fautes que vous avez commises contre Dieu? commencez à l'aimer. C'est l'amour de Dieu qui vous éclairera et qui vous donnera un vif repentir de vos ingratitudes à l'égard de cette bonté infinie. Demandez à un homme qui ne connaît point Dieu et qui est indiferent pour lui, en quoi il l'a offensé; vous le trouverez grossier sur

ses fautes; il ne connaît ni ce que Dieu demande, ni en quoi on peut lui manquer. Il n'y a que l'amour qui nous donne une vraie délicatesse sur nos péchés. Ouvrez les yeux dans un lieu sombre, vous n'apercevrez rien dans l'air; mais ouvrez-les près d'une fenê tre aux rayons du soleil, vous y découvrirez jusqu'aux moindres atomes. Apprenez donc à connaître la bonté de Dieu, et tout ce qui lui est dû. Commencez par l'aimer, et l'amour fera votre examen de conscience mieux que vous ne sauriez le faire. Aimez, et l'amour vous servira de mémoire pour vous reprocher, par un reproche tendre et qui porte sa consolation avec lui, tout ce que vous avez jamais fait contre l'amour même. Voyez un retour d'amitié vive et sincère entre deux personnes qui s'étaient brouillées; rien ne leur échappé par rapport à tout ce qui peut avoir blessé les cœurs et rompu l'union.

Vous me demanderez comment est-ce qu'on peut se donner à soi-même cet amour qu'on ne sent point, surtout quand il s'agit d'un objet qu'on ne voit pas, et dont on n'a jamais été occupé je vous réponds, monsieur, que vous aimez tous les jours des choses que vous ne voyez point. Voyez-vous la sagesse de votre ami? voyez-vous sa sincérité, son courage, son désintéressement, sa vertu ? Vous ne sauriez voir ces objets des yeux du corps; vous les estimez néanmoins, et vous les aimez jusqu'à les préférer en lui aux richesses, aux grâces extérieures et à tout ce qui pourrait éblouir les yeux. Aimez la sagesse et la bonté suprême de Dieu comme vous aimez la sagesse et la bonté imparfaite de votre ami: si vous ne pouvez pas avoir un amour de sentiment, au moins vous aurez un amour de préférence dans la volonté, qui est le point essentiel.

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Mais cet amour même n'est point en votre pouvoir; il ne dépend point de vous de vo le donner il faut le désirer, le demander, l'attendre, travailler à le mériter, et sentir le malheur d'en être privé. Il faut dire à Dieu d'un cœur humble, avec saint Augustin (Confess., lib. X, cap. 27, n. 38; tom. 1): O beauté ancienne et toujours nouvelle, je vous ai connue et je vous ai aimée bien tard! que d'années perdues! Hélas! pour qui ai-je vécu, ne vivant point pour vous? Moins vous sentirez cet amour, plus il faut demander à Dieu qu'il daigne l'allumer dans votre cœur. Dites-lui Je vous le demande comme les pauvres demandent du pain. O vous qui êtes si aimable et si mal aimé, faites que je vous aime! rappelez à son centre mon amour égaré; accoutumez-moi à me familiariser avec vous; attirez-moi tout à vous, afin que j'entre dans une société de cœur à cœur avec vous qui êtes le seul ami fidèle. O que mor. cœur est pauvre! qu'il est réduit à la mendicité! O Dieu ! que n'ai-je point aimé hors de vous! Mon cœur s'est usé dans les affections les plus dépravées. J'ai honte de ce que j'ai aimé; j'ai encore plus de honte de ce que je n'ai point aimé jusqu'ici. Je me suis nouri d'ordure et de poison; j'ai rejeté dédaigneusement le pain céleste; j'ai méprisé la fontain

d'eau vive; je me suis creusé des citernes entr'ouvertes et bourbeuses; j'ai couru follement après le mensonge ; j'ai fermé les yeux à la vértié; je n'ai point voulu voir l'abîme ouvert sous mes pas. O mon Dieu! vous n'avez point oublié celui qui vous oubliait; vous m'avez aimé, quoique je ne vous aimasse point, et vous avez eu pitié de mes égarements: vous cherchez celui qui vous a fui.

Dès que vous serez véritablement touché, tout vous deviendra facile pour l'examen que vous voulez faire les écailles, pour ainsi dire, tomberont tout à coup de vos yeux; vous verrez, par les yeux pénétrants de l'amour, tout ce que les autres yeux ne discernent jamais alors il faudra vous retenir, loin de vous presser. Jusque-là on aurait beau vous presser, l'amour-propre vous retiendrait par mille réflexions indignes du culte de Dieu.

Pour le détail de votre examen, il ne sera pas difficile. Examinez vos devoirs d'état et de profession, comme seigneur des terres, comme lieutenant-général des armées, comme maître de vos domestiques, comme homme d'une condition distingué dans le monde. Puis considérez en quoi vous avez manqué à la religion par des discours trop hardis; à la charité, par des paroles désavantageuses au prochain; à la modestie, par des termes trop libres; à la justice, par le défaut d'ordre pour payer vos dettes. Souvenez-vous des passions grossières qui ont pu vous entraîner, du prochain qui a suivi votre mauvais exemple, et du scandale que vous avez donné. Quand on a vécu longtemps au gré de ses passions loin de Dieu, on ne saurait rappeler exactement tout le détail; mais, sans le marquer, on le fait assez entendre en gros, en s'accusant de tels vices qui ont été habituels pendant un tel nombre d'années.

III. A l'égard de l'avenir, il s'agit de régler le fond de votre cœur pour régler votre vie. Chacun vit selon son cœur ; c'est l'amour d'un chacun qui décide de toute sa conduite. Quand vous n'avez aimé que vous et votre plaisir, vous avez foulé Dieu aux pieds; la volupté est devenue votre dieu; vous avez poussé le plaisir, comme parle saint Paul (Ephes., IV, 19), jusqu'à l'avarice; vous avez été insatiable de sensualité, comme les avares le sont d'argent; en voulant vous posséder indépendamment de Dieu, pour jouir de tout sans mesure, vous avez tout perdu; vous ne vous êtes point possédé, vous vous êtes livre à vos passions tyranniques, et vous vous êtes presque détruit vous-même. Quelle frénésie d'amour-propre ! Revenez donc, revenez à Dieu; il vous attend, il vous invite, il vous tend les bras; il vous aime bien plus que vous n'avez su vous aimer vous-même. Consultez-le dans une humble prière, pour apprendre de lui ce qu'il veut de vous. Diteslui, comme saint Paul abattu et converti (Act., IX, 6): Que voulez-vous que je fasse ? Quand vous vous serez accoutumé à prier, faites avec un sage et pieux conseil un plan de vie simple, que vous puissiez soutenir à la

longue, et qui vous mette à l'abri des rechutes. Choisissez quelque compagnie qui marque le changement de votre cœur. Jamais un vrai ami de Dieu ne cherchera à vivre avec ses ennemis. Plus il sentira dans son cœur le goût des libertins, plus il s'en éloignera, de peur de retomber avec eux dans le libertinage. Le moins qu'on puisse donner à Dieu, c'est de sentir sa fragilité; c'est de se défier de soi après tant de funestes expériences; c'est de fuir le péril qu'on ne doit pas se croire capable de vainere; c'est de compter qu'on mérite d'être vaincu, dès qu'on le cherche. Choisissez donc des amis avec lesquels vous puissiez aimer Dieu, vous détacher du monde, et trouver votre consolation solide dans la vertu. Point de grimaces, point de singularités affectées ; une piété simple toute tournée vers vos devoirs, et toute nourrie du courage, de la confiance et de la paix, que donnent la bonne conscience el l'union avec Dieu.

Réglez votre dépense; prenez toutes les mesures qui dépendent de vous pour soulager vos créanciers; voyez le bien que vous pouvez faire dans vos terres pour y diminuer les désordres et les abus, pour y appuyer la justice et la religion.

Choisissez des occupations utiles qui remplissent vos heures vides. Vous aimez la lecture; faites-en de bonnes. Joignez les livres de piété solide, pour nourrir votre cœur, avec des livres d'histoire qui vous donneront un plaisir innocent.

Mais ce que je vous demande au-dessus de tout, c'est de prendre tous les jours, par préférence à tout le reste, un demi-quart d'heure le matin et autant le soir, pour être en société familière et de cœur avec Dieu. Vous me demanderez comment vous pourrez faire celte prière; je vous réponds que vous la ferez excellemment, si c'est votre cœur qui la fait. Eh! comment est-ce qu'on parle aux gens qu'on aime? Un demi-quart d'heure est-il si long avec un bon ami ? Le voilà l'ami fidèle qui ne se lasse point de vos rebuts, pendant que tous les autres amis vous négligent, à cause que vous ne pouvez plus être avec eux en commerce de plaisir. Diteslui tout; écoutez-le surtout, rentrez souvent au dedans de vous-même pour l'y trouver. Le royaume de Dieu est au dedans de vous (Luc, XVII, 21), dit Jésus-Christ. Il ne faut pas l'aller chercher bien loin, puisqu'il est aussi près de nous que nous-mêmes. Il s'accommodera de tout: il ne veut que votre cœur ; il n'a que faire de vos compliments ni de vos protestations étudiées avec effort. Si votre imagination s'égare, revenez douce→ ment à la présence de Dieu ne vous gênez point; ne faites point de la prière une conlention d'esprit; ne regardez point_Dieu comme un maître qu'on n'aborde qu'en se composant avec cérémonie et embarras. La liberté et la familiarité de l'amour ne diminueront jamais le vrai respect et l'obéissance. Votre prière ne sera parfaite que quand vous serez plus au large avec le vrai ami du cœur

1265

DISCOURS DE LA CONFORMITÉ DE LA FOI AVEC LA RAISON.

qu'avec tous les amis imparfaits du monde. Vous me demanderez quelle pénitence vous devez faire de tous vos péchés : je vous réponds comme Jésus-Christ à la femme adulière: Je ne vous condamnerai point; gardezvous de pécher encore (Jean, VIII, 11). Votre grande pénitence serà de supporter patiemment vos maux, d'être attaché sur la croix avec Jésus-Christ, de vous détacher de la vie dans un état triste et pénible où elle devient si fragile, et d'en faire le sacrifice, avec un humble courage, à Dieu, s'il le faut. O la bonne pénitence, que celle de se tenir sous la main de Dieu entre la vie et la mort! N'est-ce pas réparer toutes les fautes de la vie, que d'être patient dans les douleurs, prêt à perdre, quand il plaira à Dieu, cette et

vie dont on a fait un si mauvais usage?

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Voilà. Monsieur, les principales choses qui je vous supplie, comme les marques de mon me viennent au cœur pour vous; recevez-les, quel respect je vous suis dévoué. Plus j'ai zèle (1). Dieu sait avec quel attachement et l'honneur de vous voir, plus je suis pénétré des sentiments qui vous sont dus. Je prie l'esprit de prière, qui est l'esprit de vie. Que Dieu tous les jours afin qu'il vous donne ne ferais-je point pour attirer sur vous les miséricordes de Dieu, pour vous procurer les solides consolations, et pour vous tourner entièrement vers votre salut!

(1) La suite de cette lettre manque dans toutes les éditions précédentes. Nous la publions d'après le anuscrit original.

DISCOURS

DE LA CONFORMITÉ DE LA FOI
AVEC LA RAISON".

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1. Je commence par la question préliminaire de la conformité de la foi avec la raison, et de l'usage de la philosophie dans la théologie, parce qu'elle a beaucoup d'influence sur la matière principale que nous allons traiter, et parce que M. Bayle l'y fait entrer partout. Je suppose que deux vérités ne sauraient se contredire, que l'objet de la foi est la vérité que Dieu a révélée d'une manière extraordinaire, et que la raison est l'enchaînement des vérités, mais particulièrement (lorsqu'elle est comparée avec la foi) de celles où l'esprit humain peut atteindre naturellement sans être aidé des lumières de la foi. Cette définition de la raison (c'est-à-dire de la droite et véritable raison) a surpris quelques personnes accoutumées à déclamer contre la raison prise dans un sens vague. Ils m'ont répondu qu'ils n'avaient jamais entendu qu'on lui eût donné cette signification c'est qu'ils n'avaient jamais conféré avec des gens qui s'expliquaient distincte ment sur ces matières. Ils m'ont avoué, cependant, qu'on ne pouvait point blâmer la raison prise dans le sens que je lui donnais. C'est dans le même sens qu'on oppose quelquefois la raison à l'expérience. La raison, consistant dans l'enchainement des vérités, a droit de lier encore celles que l'expérience lui a fournies, pour en tirer des conclusions mixtes; mais la raison pure et nue, distinguée de l'expérience, n'a affaire qu'à des

(1) Cette partie des œuvres de Leibnitz nous étant tombée entre les mains plus tard que nous ne l'aurions desiré, nous n'avons pas voulu en priver nos lecteurs ; nous la reproduisons après les lettres de Fénélon: on saura apprécier notre désir d'êtrc utile.

vérités indépendantes des sens. Et l'on peut comparer la foi avec l'expérience, puisque la de l'expérience de ceux qui ont vu les miracles foi (quant aux motifs qui la vérifient) dépend sur lesquels la révélation est fondée, et de la tradition, digne de croyance, qui les a fait passer jusqu'à nous, soit par les Ecritures, soit par le rapport de ceux qui les ont conservées. A peu près comme nous nous fondons sur l'expérience de ceux qui ont vu la Chine et sur la crédibilité de leur rapport, lorsque nous ajoutons foi aux merveilles qu'on nous raconte de ce pays éloigné, sauf à parler ailprit, qui s'empare des âmes et les persuade et leurs du mouvement intérieur du Saint-Escharité, sans avoir toujours besoin de moles porte au bien, c'est-à-dire à la foi et à la tifs.

2. Or les vérités de la raison sont de deux sortes : les unes sont ce qu'on appelle les saires, en sorte que l'opposé implique convérités éternelles, qui sont absolument nécestradiction; et telles sont les vérités dont la nécessité est logique, métaphysique ou géoêtre mené à des absurdités. Il y en a d'autres métrique, qu'on ne saurait nier sans pouvoir font les lois qu'il a plu à Dieu de donner à la qu'on peut appeler positives, parce qu'elles nature, ou parce qu'elles en dépendent. Nous les apprenons ou par l'expérience, c'est-àdire a posteriori, où par la raison, et a priori, c'est-à-dire par des considérations de la convenance qui les a fait choisir. Cette convenance a aussi ses règles et raisons; mais c'est le choix libre de Dieu et non pas une nécessité géométrique qui fait préférer le convenable et le porte à l'existence. Ainsi ca

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