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nous fait moins de mal en nous ôtant le mérite que nous avons, qu'en nous attribuant celui que nous n'avons pas. Pour vous, toutes les fois que, poussé par l'affection, vous vous déchaînez avec force contre ceux qui accordent à Érasme trop peu au gré de votre bienveillance, convenez-en, vous ne faites qu'exciter ces hommes à parler encore plus mal de moi et vous m'exposez à l'envie qui peut-être doit retomber en partie sur vous. Depuis longtemps je suis accoutumé aux injures, comme je suis rassasié de louanges et de gloire. Confessant avec ingénuité que je ne suis rien, je fais ce que je peux; et, en général, à quoi se réduit toute la science humaine? Car je ne veux rien dire de la mienne. J'ai à peu près terminé ma pièce; il ne me reste plus qu'à dire : adieu, applaudissez. Je me réjouis de voir s'élever de tous côtés des talents qui obscurciront mon nom, si toutefois j'ai un nom. Je leur souhaite prospérité à tous et surtout à vous. Puisse la générosité de notre empereur vous couvrir d'or! » Quelle gracieuse délicatesse! Quelle douce et fine ironie!

Les lettres si nombreuses d'Érasme qui roulent sur la Réforme brillent par la pénétration judicieuse de la pensée comme par le bonheur et le relief de l'expression. Nous avons cité ailleurs de nombreux passages de ces lettres où son caractère et son esprit ressortent par leur contraste avec ceux de Luther. On n'a pas oublié ces traits satiriques sur les vertus des nouveaux apôtres ni ces pages éloquentes qui semblent avoir frappé Bossuet lui-même. A quoi bon multiplier ici les citations, puisqu'elles remplissent tout notre ouvrage? Elles suffisent pleinement pour donner une idée juste du mérite d'Érasme dans le genre épistolaire. Soit qu'il décrive la maison du chanoine Botzemus, demeure des Muses et des Grâces, et ce lac de Constance, si vaste, si riant, où le Rhin fatigué se repose doucement comme dans une délicieuse hôtellerie, soit qu'il célèbre la vertu du vin de Bourgogne, merveilleux remède pour sa santé, soit qu'il retrace la révolte des paysans de la Souabe, soit qu'il raconte la mort de Louis

de Berquin ou les derniers moments de Thomas Morus, il se montre grand peintre et grand écrivain.

Pour nous résumer en deux mots, Érasme a été dans l'art d'écrire un des plus brillants improvisateurs qui aient jamais existé. Mais il est inégal. On chercherait vainement en lui cette perfection exquise de la forme que l'improvisation ne peut atteindre. Son génie d'écrivain ne se révèle tout entier que dans la polémique, dans le pamphlet, dans le genre épistolaire. Là il est sur son véritable terrain; là il est supérieur; sans surfaire son mérite, on peut dire qu'il a été le digne prédécesseur de Pascal, de Voltaire et de Mme de Sévigné, mais dans une langue morte.

NOTES

A

On trouve des renseignements sur ces auteurs barbares dans la savante préface du glossaire latin de Du Cange, no 44 et suiv., et aussi dans sa dissertation en tête du Thesaurus de R. Estienne. La Bibliothèque de Versailles possède l'ouvrage d'Ebrard, en vers libres, commenté par Jean-Vincent Quillet, régent à l'Université de Poitiers. Nous l'avons feuilleté, troublant un repos dont il semblait avoir joui longtemps. Il comprend quatorze livres. Le premier traite des figures, le second des vices du discours, de vitiis, le troisième de coloribus rhetoricis et de prosodia, le quatrième de l'orthographe et de la transmutation des lettres, le cinquième des monosyllabes, le sixième des noms propres grecs, masculins, féminins et neutres, ainsi que des pronoms, le septième des verbes, le huitième de l'adverbe, le neuvième du participe, le dixième de la conjonction, le onzième de la préposition, le douzième de l'interjection, le treizième des accidents des noms, le quatorzième des accidents des verbes. Ebrard ou Hébrard de Béthune composa ce livre en 1212 ou en 1224. Il était intitulé Græcismus, parce que l'auteur y expliquait un grand nombre d'expressions grecques ou d'étymologie grecque. Jean de Garlande, né vers 1040, a écrit sur les synonymes et les équivoques un livre en vers, imprimé à Cologne en 1495. Rabelais se moque de son ouvrage De modis significandi. Quant au Doctrinal d'Alexandre de Villedieu, cordelier de Dol en Bretagne, écrit en vers léonins vers 1242, il était divisé en quatre parties; les deux premières parties seulement furent imprimées en 1493. On l'imprima

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en entier à Cologne en 1506. C'est dans la première partie, chap. IV, De generibus nominum, qu'on trouve ce vers appliqué par Louis XI au cardinal Bessarion :

Barbara græca genus retinent quod habere solebant.

Erasme parle plusieurs fois d'autres auteurs semblables, Papias, Hugution, Mammotrectus, Catholicon, Breviloquus. Papias, qui florissait en 1063, avait composé un dictionnaire qui était en même temps une grammaire. Il fut imprimé à Venise en 1496. Hugution était de Pise. Il devint évêque de Ferrare. On a de lui une grammaire suivie d'un vocabulaire tiré de Papias, mais augmenté de plusieurs mots et d'étymologies la plupart impertinentes copiées par les auteurs du Catholicon et du Breviloquus. Il écrivit son ouvrage vers 1192. Jean de Balbi, né à Gênes, continuateur de Papias et d'Hugution, est l'auteur du Catholicon ou Summa. Ce livre fut terminé en 1286. On l'imprima dès 1640 à Mayence. Écrit dans un latin barbare, il n'était pas sans valeur théologique. Le Mammotrectus ou Mammotrect, appelé par Rabelais Marmotret ou Marmotretus, fut composé par un cordelier natif de Reggio, dans le Modenais. L'auteur lui-même explique ce nom dans la préface: et quia morem geret talis decursus pædagogi qui gressus dirigit parvulorum, Mammotrectus poterit appellari. Il dérive ce nom de l'ancien mot lombard mammo, petit enfant, et de tractus, puer tractus manu. Ce livre initie les jeunes Frères à l'intelligence des termes de la Bible et du Bréviaire. Luc Wadingue nomme l'auteur Marchesino ou Marchesinus, et le fait vivre vers 1300. L'ouvrage fut imprimé vers 1470, dans les premiers temps de l'imprimerie. Le Vocabularius Breviloquus, attribué à Reuchlin, était un abrégé du Catholicon avec certaines additions. Il donnait des étymologies ridicules, des notions de grammaire, de prosodie, de rhétorique, etc. Rabelais, qui s'est moqué de ces livres barbares, livre I, chap. xiv et xv, a tourné aussi en ridicule l'éloquence du temps dans la harangue de maistre Janotus de Bragmardo à Gargantua, pour recouvrer les cloches, livre I, chap. ix.

B

Bien avant la publication du traité d'Erasme, des hommes très distingués, d'après divers passages des auteurs grecs et latins, conjecturaient que la prononciation fut autrefois différente. Alde Manuce, dans son petit livre De potestate litterarum, toucha ce sujet en passant. Jacques Ceratinus, dans un écrit sur la valeur et la prononciation des lettres grecques, ouvrage dédié à Érasme, l'anglais Chekus, dans des lettres adressées à l'évêque de Winchester, et publiées à Bâle en 1535, Théodore de Bèze, Adolphe Mekerchius, de

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