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près impuni ailleurs, entraîne chez les Utopiens la peine de l'esclavage. La rechute est punie de mort sans miséricorde. Là se trahit encore le caractère critique de l'Utopie; car la servitude est la peine des crimes même les plus graves. Aussi rigoureuse que la peine de mort pour les scélérats, elle est plus utile pour la république. Ils sont pour les autres un exemple toujours présent.

Les Utopiens pratiquent l'intervention en faveur des nations opprimées (1). Persuadés que la bonne foi est la sauvegarde des empires, ils regardent les traités comme inutiles. En effet, chez les autres peuples, les conventions sont étrangement violées. Hythlodée fait ironiquement une exception pour les États chrétiens. « Mais, dit-il, chez les peuples non chrétiens, plus on multiplie les cérémonies solennelles, plus les traités sont fragiles. Les termes ambigus, les clauses captieuses ne font jamais défaut. Les plénipotentiaires les emploient à dessein et se permettent une duplicité qu'ils puniraient sévèrement chez les particuliers. Ils regardent sans doute la probité comme une qualité vulgaire, ou bien ils distinguent deux espèces de probité, l'une pour le peuple, l'autre plus élevée et plus libre pour les princes et les grands. Celle-ci est la vertu favorite des rois. » Morus parlait en connaissance de cause; il avait déjà été ambassadeur.

Il est temps de conclure: Dieu a mis dans le cœur de l'homme deux sentiments, deux principes d'activité, qui, comme un double foyer, animent la vie individuelle et la vie sociale; j'entends l'amour de soi et l'amour de ses semblables. Mais développés sans mesure et à l'exclusion l'un de l'autre, le premier engendre l'égoïsme, un individualisme

des parents, il était d'avis qu'on devait les regarder comme nuls. Il exprimait un vou digne d'être remarqué. Il désirait qu'un mariage ne fùt valide qu'après que les parties, accompagnées de témoins, auraient déclaré leur volonté de se marier devant des magistrats désignés à cet effet, laquelle déclaration serait consignée sur un registre et conservée. V. t. V, p. 649 et suiv.

(1) Ici Morus est d'accord avec Machiavel.

effréné; le second aboutit à l'absorption de l'individualité libre dans la communauté sociale. Ces deux principes contraires sont représentés dans la philosophie par deux grands noms, Aristote et Platon. Le christianisme les a conciliés dans l'harmonie à l'aide d'un troisième principe, l'amour de Dieu dont le germe est aussi en nous. A la fin du xve siècle, l'égoïsme sans frein et sans pudeur rongeait la société chrétienne et corrompait la politique. C'est alors qu'Érasme et Morus ont rappelé aux hommes et surtout aux puissants de la terre la communauté idéale de Platon, la communauté réelle du christianisme naissant, pour réveiller dans les âmes les principes de l'humanité, de la justice et du dévouement, si étrangement oubliés. De là est née l'Utopie, type imaginaire, souvent bizarre, présenté en contraste avec la société réelle pour mettre en saillie et en relief sous une forme piquante ses abus et ses vices, pour en montrer la source et en préparer le remède.

CHAPITRE XIII

Érasme prédécesseur de l'abbé de Saint-Pierre.

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propose pour faire cesser la guerre et rendre la paix durable entre les nations chrétiennes.

I

On a souvent reproché à Érasme la mollesse flottante de sa pensée; mais s'il est un point sur lequel il ait été ferme et n'ait jamais varié, c'est la guerre. Il ne la condamne pas cependant d'une manière absolue; passant en revue les hérésies qui, moins éloignées de la piété, exigent par excès de zèle plus qu'il ne faut, il range dans cette classe l'erreur de ceux qui ont voulu interdire toute guerre entre les chrétiens (1). Quelquefois même il ne semble pas loin de penser, sur la destination providentielle de la guerre, comme le comte de Maistre. « Il est sans doute plus heureux, dit-il, d'éviter la guerre que de la faire courageusement. Mais la paix ne peut être de longue durée, ou bien elle engendre la corruption des mœurs, à moins que les conseils d'hommes sages ne la gouvernent (2). »

Au fond il ne croyait la guerre permise que dans le cas de légitime défense. Il ne l'approuvait même pas contre

(1) T. III, p. 573.
(2) T. III, p. 1810.

les Turcs, si elle avait pour but de propager la foi chrétienne et non de repousser leurs invasions violentes; car ce n'était point par les armes et par la force, mais par la parole, par l'enseignement, par l'exemple contagieux des vertus chrétiennes, qu'il fallait étendre l'empire du Christ. Quant à la guerre que se font entre elles les nations civilisées, pour agrandir leur territoire, il la déclare impie, contraire à la charité et à la fraternité évangéliques, comme à la nature même de l'homme, pernicieuse enfin aux lettres, aux mœurs, à la religion.

Dans ses livres comme dans sa correspondance, en toute occasion, il la poursuit avec une éloquence et une verve qui ne se lassent jamais. Il la poursuit non-seulement en ellemême, dans les malheurs et les crimes qu'elle enfante, mais aussi dans ceux qui en font leur métier. Il n'a pas assez de mépris, assez de sarcasmes amers pour les gens de guerre. Hâtons-nous de dire que ces railleries, ces injures ne s'adressent pas aux soldats qui combattent pour défendre le sol de la patrie. Si Erasme avait pu connaître le guerrier moderne, tel qu'il existe surtout chez les nations libres, il lui aurait rendu justice; mais il ne voyait autour de lui que des bandes mercenaires toujours prêtes à se vendre au plus offrant, à piller indistinctement amis et ennemis. Voilà les guerriers qu'il a peints avec des couleurs ineffaçables.

Cette horreur de la guerre pénétra de bonne heure dans son àme naturellement timide et pacifique. Il fut témoin de l'entrée triomphante de Jules II à Bologne et à Rome. Il n'en fut pas édifié; il la comparait à la marche des apôtres. Longtemps après il s'en indignait encore. « A parler sans fard, disait-il, je regardais alors ces triomphes non sans gémir en secret. » Il a très probablement en vue Jules II, quand il met dans la bouche de la Folie ces véhémentes paroles : « Comme si le Christ n'existait pas pour défendre les siens à sa manière, on a recours au fer; et quoique la guerre soit une chose si horrible qu'elle convient à des bêtes sauvages et

non à des hommes; si insensée que même, selon les fictions des poètes, c'est un fléau déchaîné par les furies; si funeste qu'elle amène la ruine générale des mœurs; si injuste que les pires brigands sont souvent ceux qui la font le mieux; si impie qu'elle n'a rien de commun avec le Christ; on néglige cependant tout le reste pour ne s'occuper que d'elle. On peut voir sur ce terrain même des vieillards décrépits déployer la vigueur d'une âme jeune, ne point se laisser rebuter par les dépenses, ni fatiguer par les travaux, ni effrayer par la pensée qu'ils vont bouleverser de fond en comble la religion, la paix, toutes les affaires humaines; et il ne manque pas d'adulateurs diserts qui donnent à ce délire les noms de zèle, de piété, de courage, imaginant, s'il est possible, un moyen de tirer le fer qui donne la mort et de le plonger dans les entrailles de son frère sans blesser cette charité parfaite que, d'après le précepte du Christ, un chrétien doit montrer pour son prochain. >>

Mais il ne se contenta pas de lancer de véhémentes invectives ou des épigrammes acérées contre ceux qui provoquaient la guerre ou qui la faisaient. Il usa de l'influence que lui donnait sa renommée pour gagner à la cause de la paix les princes et les puissants du monde. Le 14 mars 1514, peu de temps après la mort de Jules II, il écrivait à l'abbé de SaintBertin, Antoine de Bergues, qui avait un grand crédit auprès de l'empereur Maximilien, à la cour des Pays-Bas et même à celle d'Angleterre : «Je vois naître de grands mouvements; où aboutiront-ils? On ne sait; daigne la faveur de Dieu calmer cette tempête de la chrétienté! Je me demande souvent avec étonnement ce qui peut pousser, je ne dis pas des chrétiens, mais des hommes à un tel point de démence qu'ils se précipitent à leur perte mutuelle avec tant d'ardeur, de dépenses, de périls. Peut-il y avoir dans le monde un objet de si grand prix qu'il nous porte à une extrémité si pernicieuse, si horrible, qui, même quand elle est parfaitement juste, déplaît à tout homme vraiment honnête?

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