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était comme la grande citadelle, dominait tout au collège de Montaigu. Les murailles même, suivant l'expression d'Érasme, y respiraient l'esprit théologique.

Ce que nous disons de la France et des Pays-Bas peut se dire également des autres contrées de l'Europe, l'Italie exceptée. Une rhétorique abstraite et sèche, sans moelle et sans séve, une dialectique subtile et raffinée, mais vide et enveloppée de replis inextricables, l'étude des Analytiques, des Sophistiques, des Topiques, des Ethiques d'Aristote : tel était, dans son degré le plus élevé, l'enseignement profane qui s'offrait à la jeunesse en Allemagne, en Angleterre, en Espagne, comme en France et dans les Pays-Bas. « Dieu immortel! disait Érasme, quel siècle que celui où l'on expliquait aux jeunes gens en grand appareil avec des commentaires laborieux et prolixes les distiques greco-latins de Jean de Garlande (1), où l'on passait une grande partie des heures à dicter, à répéter, à faire réciter des vers ridicules; où l'on dictait, où l'on expliquait, où l'on apprenait par cœur Ébrard, Florista et Floretus; car je place Alexandre parmi les auteurs supportables! Le Catholicon (2) était dans toutes les églises. Combien de temps perdu dans la sophistique, dans les inutiles labyrinthes des dialecticiens, et, pour ne pas être trop long, de quelle manière confuse et rebutante étaient enseignées toutes les sciences! Chaque professeur, pour faire montre de son savoir, voulait dès le principe introduire de force dans l'esprit de ses élèves les préceptes les plus difficiles qui souvent n'étaient que frivoles. >>

Dans sa critique, Érasme n'épargnait pas l'organisation des écoles publiques. Les universités étaient richement dotées et admirablement ordonnées en apparence. Chacune d'elles formait une sorte de royaume littéraire. Elles étaient souveraines chez elles. Les écoles inférieures ou secondaires n'a

(1) Voir, à la fin du volume, la note A.
(2) Ouvrage d'un dominicain appelé Balbi.

vaient pas été l'objet d'un moindre soin. Les prêtres et les magistrats en partageaient la direction; mais les prêtres avaient la meilleure part. On avait ajouté un administrateur appelé scolaster. Sous lui étaient les professeurs. « Cette vigilante sollicitude, disait Érasme avec ironie, a laissé régner pendant plusieurs siècles une barbarie s'épuisant en efforts stériles. Les évêques regardaient cette affaire comme indigne de leur attention. Les scolasters s'occupaient de toucher les revenus plutôt que de diriger l'école. Ils croyaient avoir rempli leur devoir, quand ils ne prélevaient pas la dîme sur les professeurs. Dans les chapitres des chanoines, le parti le plus mal intentionné dominait d'ordinaire; les magistrats manquaient de jugement ou sacrifiaient aux passions privées.

Quant aux monastères et aux colléges des frères, moitié moines, moitié laïques (1), d'origine assez récente, Érasme les accusait de rechercher le gain, d'élever dans leurs retraites un âge novice à l'aide d'hommes peu instruits ou plutôt mal instruits, quelquefois même peu chastes et peu sensés. « D'autres, disait-il, peuvent approuver ce genre d'éducation; pour moi, je ne le conseillerai jamais à celui qui désire pour son fils une éducation libérale. Chez ces maîtres grossièrement instruits, esclaves, étrangers aux mœurs et au sens commun, la vigueur native des esprits est étouffée et remplacée par une sorte de pharisaïsme dégradant qui corrompt un naturel noble et généreux, et introduit dans de tendres âmes quelque chose de servile et de bas. On voit même souvent sortir de ces retraites des êtres qui deviennent plus arrogants que les autres, avec moins de franchise, plus de détours et moins de noblesse dans les sentiments. » — « Je

(1) Ces frères, appelés par Érasme Collectionarii, formaient un ordre intermédiaire entre les moines et les laïques. Ils ne faisaient pas de voeux irrévocables. La lettre à Grunnius, t. III, p. 1822, donne des détails intéressants sur cet institut. Voir aussi le De pronuntiatione, t. I, p. 921 et 922.

n'approuve pas, ajoutait-il, ceux qui, entourés eux-mêmes de ténèbres, entraînent les enfants dans un endroit ténébreux et leur enseignent impunément ce qu'il leur plaît. » Tels étaient les reproches passionnés qu'il adressait à l'éducation monastique.

Point d'école ou une école publique, voilà son principe. A vrai dire, il préférait l'éducation privée à l'éducation commune. « Ce qui se fait vulgairement, disait-il, est plus simple et plus court. Il est plus facile à un homme de contraindre un certain nombre d'enfants par la crainte, que d'en élever un seul libéralement. Ce n'est pas une grande affaire de commander à des ânes ou à des bœufs, mais élever des enfants d'une manière libérale, c'est une œuvre aussi ardue que belle. »

A une éducation sauvage, sombre, impitoyable, Érasme voulait substituer une éducation douce, affectueuse, aimable. Il demandait aussi que l'enseignement scolastique, barbare et rebutant, fît place à un enseignement littéraire, poli, attrayant.

Il prenait l'enfant au sortir du sein maternel et voulait, comme Rousseau plus tard, qu'il fût nourri par sa propre mère. Il s'appuyait de raisons physiques et morales. A ses yeux, la mère qui n'allaitait pas son enfant n'était mère qu'à moitié.

Il a écrit à ce sujet une page éloquente dans un de ses Colloques (1):

«Mais où est le petit enfant? demande Eutrapelus qui, n'étant qu'un peintre, prêche comme un franciscain. « Fabulla répond :

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«EUTRAPELUS. Pourquoi est-il là? Fait-il cuire les légumes?

« FABULLA. Mauvais plaisant, il est auprès de sa nourrice.

(1) Colloque de l'Accouchée, t. I, p. 766.

<< EUTRAPELUS. De quelle nourrice me parlez-vous? Est-il d'autre nourrice que celle qui est la mère?

« FABULLA. Pourquoi pas? Je fais comme tout le monde. « EUTRAPELUS. C'est un détestable conseiller pour bien faire que tout le monde.

« FABULLA. Ceux qui m'aiment en ont décidé ainsi; ils ont pensé qu'il fallait ménager ma jeunesse.

« EUTRAPELUS. Mais si la nature vous a donné des forces pour concevoir, elle vous en a donné sans aucun doute pour allaiter.

« FABULLA. C'est vraisemblable.

«EUTRAPELUS. Dites-moi, ne sentez-vous pas que le nom de mère est bien doux?

«FABULLA. Je le sens.

«EUTRAPELUS. Si c'était possible, souffririez-vous qu'une autre femme fût la mère de votre enfant?

« FABULLA. Pour rien au monde.

<«< EUTRAPELUS. Pourquoi donc transporter à une femme étrangère plus que la moitié de ce nom de mère?

« FABULLA. Parlez mieux, Eutrapelus; je ne partage pas mon fils; je suis seule sa mère; je la suis tout entière.

« EUTRAPELUS. Mais ici la nature elle-même proteste contre vos paroles... Il n'est aucune espèce d'être vivant qui ne nourrisse ses petits. Les chouettes, les lions, les vipères élèvent les leurs; et l'homme rejette ses enfants? Je vous le demande, est-il rien de plus cruel que ceux qui exposent leurs rejetons par ennui de les élever?

« FABULLA. C'est abominable.

«EUTRAPELUS. Et n'est-ce pas une sorte d'exposition, que de livrer un enfant si tendre, tout rouge encore du sang de sa mère, respirant après sa mère, implorant le secours de sa mère de cette voix qui émeut, à ce qu'on assure, même les bêtes sauvages, de le livrer, dis-je, à une femme qui peut être d'un corps malsain, de mœurs corrompues, et qui estime plus un peu d'argent que votre enfant tout entier?... Mais suppo

sez qu'elle vous soit égale ou même, si vous voulez, un peu supérieure pour le tempérament, est-il indifférent, pensezvous, que votre petit enfant se nourrisse d'un suc maternel et familier, se réchauffe à une chaleur à laquelle il est habitué, ou qu'il soit forcé de s'accoutumer à un suc étranger, à une chaleur étrangère?

« FABULLA. Mais on dit que les arbres transplantés et greffés dépouillent leur nature sauvage et produisent des fruits meilleurs.

«EUTRAPELUS. Ils ne sont ni transplantés ni greffés aussitôt après la naissance. Il viendra un temps, si Dieu le veut, où votre fils adolescent quittera la maison pour aller recevoir une instruction et une éducation plus mâles; ceci regarde le père plus que la mère. Maintenant cet âge tendre doit être entouré de soins. >>

Eutrapelus adresse une exhortation touchante à la nouvelle accouchée pour qu'elle nourrisse et élève son enfant. Suivant lui, le lait de la nourrice n'est pas sans influence sur le moral. Jamais une femme étrangère n'aura le dévouement maternel. «S'il y a, dit-il, une nourrice qui aime comme une mère, elle pourra soigner comme une mère. Ajoutez que celle qui n'aura pas allaité son enfant, en sera moins aimée. Dès lors elle sera moins propre à faire son éducation morale; c'est la mère qui doit initier l'enfant à la vie spirituelle comme à la vie physique. Quelle trace profonde laissent dans le cœur les enseignements maternels, ces leçons qu'on suce, pour ainsi dire, avec le lait (1)!

Aux yeux d'Érasme, l'éducation de l'enfant comprend quatre parties: il faut d'abord jeter dans son âme tendre les semences de la piété; en second lieu, lui faire aimer et apprendre parfaitement les sciences libérales; ensuite le for

(1) Érasme, avant Rabelais, Buffon et Rousseau, réclama contre les. vêtements superflus et les liens qui chargeaient le corps de l'enfant et genaient le libre développement de ses membres. V. t. V, p. 711, Mariage chrétien, et p. 891, Prédicateur.

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