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Cet esprit de l'homme universel poursuit, maintient l'unité de ses travaux, lors même que les individus l'ignorent, et se déploie, plus qu'on ne pense, avec ensemble et harmonie. L'admirable lumière du xvIIa siècle en offre l'exemple le plus insigne. C'est ainsi que Bossuet et Leibniz ont déployé, précisé l'idée générale du grand siècle, chacun par une application inattendue, et dont ils ne voyaient peut-être pas eux-mêmes le rapport à l'ensemble. Bossuet a appliqué l'idée générale à la Théologie, et Leibniz aux mathématiques.

II.

L'œuvre de Bossuet, œuvre véritablement immense par ses résultats et par sa profondeur, est une œuvre d'application de la Philosophie à la Théologie, et réciproquement. « La Théologie, dit << saint Thomas d'Aquin, peut recevoir quelque <<< chose de la Philosophie', non quant au fond, <«< mais pour le développement et la plus grande << manifestation de ses propres données. » La Théologie tout entière, du reste, qu'est-elle autre chose

1 Ja. q. 1, art. 5 ad 2m.

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qu'une application de la Philosophie à la religion? N'a-t-on pas dit et n'a-t-on pas pu dire de saint Thomas d'Aquin, « qu'il ne fit que traduire en Philosophie la simplicité de l'Évangile '? » La Théologie se développe, comme le dit saint Vincent de Lérins, d'âge en âge et de siècle en siècle, et la sagesse, l'intelligence, la science du genre humain et de l'Église elle-même devient de plus en plus précise et lumineuse : la donnée sainte et sacrée reste la même; mais l'idée que les hommes en prennent devient plus étendue, plus analysée, plus savante. Or Bossuet, par ses travaux, sa lutte et sa victoire sur Fénelon, a rendu clair un point capital de Théologie mystique qui n'avait jamais été précisé, et où l'Église se prononça par la condamnation du livre de Fénelon. Et ce point quel est-il? C'est la grande et universelle question du rapport du fini à l'infini, prise du côté le plus pratique, le plus touchant, le plus utile au genre humain. Au lieu de l'infini, mettez Dieu; au lieu de fini, mettez l'âme; au lieu de rapport, mettez amour. Comment l'âme s'unit-elle à Dieu par l'amour? C'est la question que Bossuet précisa, et dont il fit poser la solution par un jugement de l'Église.

1 Amelotte. Vie du P. de Condren. Préface.

Mais n'aperçoit-on pas le rapport de cette question à celle des preuves de l'existence de Dieu ? Comment l'esprit peut-il atteindre Dieu par la raison? Comment la volonté va-t-elle à Dieu par la liberté? Comment l'âme s'unit-elle à Dieu par le divin amour? Ces trois questions, sans être identiques, sont analogues. Il est possible qu'une même idée universelle s'applique à toutes, et qu'une même formule métaphysique générale les renferme comme cas particuliers. C'est ce que nous croyons.

En effet, quel est le procédé de la raison pour prouver et connaître Dieu ? Nous l'avons dit, ce procédé consiste à affirmer à l'infini, par la négation des limites, tout l'être, toute la beauté, toutes les qualités positives dont nous voyons dans le monde quelque trace, et dont nous trouvons en nous quelque idée. Et c'est là réellement le procédé qu'emploie la Philosophie, aussi bien que la poésie, aussi bien que le bon sens vulgaire, pour prouver Dieu et le connaître.

Or, aujourd'hui encore, malgré la Philosophie de tous les siècles, et, qui plus est, malgré le sens commun du genre humain et la poésie de toutes les âmes, la Sophistique, toujours vivante, conteste à la raison la légitimité du procédé. Vous voyez,

dit le sophiste, l'être borné, c'est-à-dire l'être et sa limite : pourquoi affirmez-vous l'Être infini, cè qui anéantit la limite, et pourquoi, au contraire, n'affirmez-vous pas la limite à l'infini, ce qui anéantirait l'Être? Qui vous dit que la vérité absolue n'est pas là? Vous choisissez librement entre l'Être et le néant, mais sans raison. Pourquoi ce choix?

Cette question est la question dernière entre là Sophistique et la Philosophie.

Or, au xvII° siècle, les faux mystiques posèrent en Théologie la même question. Ils la posèrent si subtilement, que Fénelon lui-même manqua d'exactitude, et ne vit pas toute la difficulté, ni toute la grandeur de l'abîme que creusait le faux mysticisme. La question était celle-ci : L'âme pour trouver Dieu par l'amour doit-elle anéantir son être propre? doit-elle effacer ses idées, détruire ses forces et supprimer ses facultés? ou bien sera-ce l'inverse? Développera-t-elle ses forces, ses facultés, ses idées, et déploiera-t-elle tout son être, en reculant et anéantissant, s'il se peut, les limites de son être? On voit le rapport ou plutôt l'identité métaphysique des deux questions.

Bossuet avec une inébranlable fermeté, avec l'ardeur que donne la vue de la vérité, et la conscience d'un grand danger à repousser, commence

contre le faux mysticisme, contre ce qu'il nomme l'anéantissement pervers, cette guerre qui, malgré la passion que l'homme y put mêler, est son plus beau titre de gloire, et le plus grand service qui ait été rendu, en ce siècle, à l'esprit humain et à la vie intérieure des âmes.

Que faut-il anéantir? Il faut anéantir la limite, la borne, l'obstacle, non pas l'Être : telle est la règle générale de la connaissance rationnelle de Dieu, aussi bien que de la croissance morale de l'âme en Dieu, aussi bien que de l'union surnaturelle de l'âme à Dieu dans l'Esprit saint, aussi bien que du passage du fini à l'infini géométrique. De sorte que la Théologie mystique, par le travail de Bossuet et la décision de l'Église, vient retentir jusque dans la Philosophie spéculative, et en confirmer la méthode.

Toute la guerre faite au quiétisme, tout le beau livre des États d'oraison, le livre intitulé Mystici in tuto, et l'autre Schola in tuto, ont pour but de combattre, comme Bossuet même s'exprime, « les "pernicieuses significations que quelques-uns don<< nent au mot de néant et d'anéantissement '; afin de confondre ces faux mystiques, qui anéantis

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1 T. vii, p. 3.

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