le tombeau de saint Bonaventure qui avait appuyé cette fête; que la sainte Vierge avait de l'horreur pour les Cordeliers, ne pouvant goûter qu'ils la fissent égale à son fils; que Scot qu'ils s'efforçaient de faire canoniser à Rome était damné; et qu'enfin, la ville de Berne tendait à sa ruine par la retraite qu'elle donnait à des religieux qui pouvaient être considérés comme des pestes en religion. » Après que Jetser eut accompli, ainsi que tout le couvent, les mortifications auxquelles il s'était engagé, le moine lui apparut de nouveau; mais cette fois Jetser crut reconnaître dans l'esprit qui lui parlait la voix du prieur de la maison mais, ne pouvant imaginer qu'il y eût de la fraude en tout ceci, il se ravisa bientôt. >> A quelques jours de là, le même moine apparut à Jetser, sous la forme d'une femme toute rayonnante de gloire, laquelle lui dit qu'elle était sainte Barbara pour laquelle il avait toujours eu une grande dévotion; qu'elle venait lui annoncer qu'il recevrait bientôt la visite de la Vierge. Plein de joie, Jetser assembla les moines du couvent à qui il fit part de cette nouvelle apparition. On juge de la joie de la communauté, et quelques jours après, apparut à Jetser une femme habillée des atours de la Vierge aux grands jours de fête, laquelle avait à ses côtés quelques anges qui n'étaient autres que de petites statues qu'on mettait sur les autels, et qui, jouant au moyen de quelques cordes attachées à une poulie pendue au plancher de la chambre, s'élevaient en l'air et voltigeaient autour de la Vierge. Celle-ci aborda le moine par quelques caresses et lui fit compliment sur ses mortifications et son amour pour elle. Après quoi, elle lui dit qu'elle était conçue en péché, que le pape Jules II, qui régnait alors, mettrait fin à la dispute qui s'était élevée à ce sujet, et abolirait la fête de la Conception que Sixte IV avait instituée, et qu'enfin, lui, Jetser, serait celui qui s'emploierait pour porter cette vérité dans l'esprit du pape et l'en persuader. La Vierge accompagna ces paroles d'un présent qu'elle fit au moine de trois gouttes du sang de son Fils, qu'elle lui dit être les trois larmes qu'il avait répandues sur Jérusalem, et qu'elle les lui donnait pour lui faire entendre qu'elle avait demeuré trois heures dans le péché originel, après lequel temps elle en aurait été tirée par la miséricorde de son Fils; car pourvu que les Dominicains vinssent à bout de justifier que la Vierge avait été conçue en péché, ce qui était le point en question entre eux et les Cordeliers, ils consentaient d'un autre côté à se relâcher autant qu'il était possible sur ce sujet, jusques à enseigner qu'elle n'était demeurée dans le péché qu'un très-petit espace de temps. La Vierge fit aussi présent à Jetser de cinq gouttes de sang qui formaient une croix et qu'elle lui dit être les larmes de sang qu'elle avait répandues lorsque son Fils fut attaché sur la croix. Enfin, elle lui donna une hostie qui d'abord lui parut comme une hostie ordinaire, mais qui devint bientôt d'un rouge foncé. >> Après maintes autres apparitions, la fausse Vierge, qui caressait le moine de plus en plus, en vint une nuit à lui dire qu'elle voulait lui faire avoir des marques si sensibles de l'amour que son Fils lui portait, que la chose ne pût être révoquée en doute, pour cela qu'elle voulait imprimer sur son corps cinq stigmates pareils à ceux dont sainte Lucie et sainte Catherine avaient été en leur temps gratifiées, c'est-à-dire des stigmates réels et véritables. Sur quoi elle lui commanda de tendre la main; et comme le moine hésitait, elle la lui prit de force et la traversa de part en part d'un gros clou, qui le fit passer d'une fausse extase dans une véritable agonie. Puis il sentit qu'on lui frottait la main de quelque onguent; mais son confesseur finit par lui persuader que c'était un pur effet de l'extase où il pouvait être alors. » Dès la nuit suivante, la fausse Vierge apparut apportant au moine quelques linges qui devaient avoir la vertu d'adoucir son mal comme étant de ceux dans lesquels JésusChrist avait été enveloppé. Elle lui donna, en outre, un brevage qui le jeta dans un si profond assoupissement, qu'elle put lui imprimer les quatre autres stigmates qui lui manquaient, sans qu'il en sentît rien. Ce breuvage était une composition que le sous-prieur avait faite en particulier, dans laquelle il avait fait entrer de l'eau de fontaine, du chrème, du poil des sourcils d'un enfant, du vif-argent, quelques grains d'encens, quelque peu de cire d'un cierge de Pâques, du sel consacré et du sang d'un enfant non baptisé. >> Jetser, ainsi stigmatisé à sa grande joie, car il n'avait rien senti, fut exposé sur le grand autel, à la vue du peuple, qui ne manqua pas de venir repaître ses yeux de ce miraculeux spectacle, ce qui mortifia fort les Cordeliers. Les moines lui firent encore prendre d'autres breuvages, qui le jetaient dans de grandes convulsions, au milieu desquelles une voix se faisait entendre, qui semblait sortir d'une image de la Vierge tenant Jésus dans ses bras. La Vierge pleurait parce que, disait-elle, elle avait la douleur de voir qu'on lui faisait part d'un honneur qui n'appartenait qu'à son Fils, en soutenant, comme on faisait, qu'elle avait été conçue sans péché. >> Mais Jetser ayant fini par découvrir la fraude, il résolut de la publier et d'abandonner l'ordre. Il commença par assommer un moine qui venait de lui apparaître sous la forme de la Vierge, ayant cette fois une couronne au front. Il n'en fallut pas davantage pour que les moines prissent le parti de se défaire de Jetser, qui pouvait perdre la réputation de l'ordre. C'est pourquoi ils résolurent de l'empoisonner. Mais il se tenait sur ses gardes, et bien lui prit de cette circonspection; car s'il eût mangé, par exemple, d'un certain pain préparé avec des épices, qui lui fut un jour présenté, c'en était fait de lui; car ayant jeté ce pain à de jeunes loups qu'on nourrissait dans le couvent à cause de |