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triginta quoque volumina librorum suorum, et A canonicum licet invenire. Editis jam 288 duas nomulta alia.♪

Ab omnibus fere ætatis suæ historicis dilauda tur Ivo Lucerna quippe occidentalis, orbis decus, ornamentum ac fulgor Ecclesiæ Gallicanæ > honorifice appellatur a cardinale Baronio. Et certe recondita ac præcellenti eruditione conspicuus, juris divini humanique scientia, et victuris in ævum operum monumentis celeberrimus, eximiis ac plane consentaneis summo præsuli virtutibus, ævo suo non tantum cæteris regni, sed et omnibus Carnotensis Ecclesiæ, si fas affirmare, præluxit episcopis. Præter decretum quod concinnavit, reliquit plurimas epistolas, in quibus quidquid spectat ad jus

vas adjecit Mabillonius in tomo quinto Annalium. Plurima quoque continent quæ ad historiam Ecclesiæ Gallicanæ, imo et universalis, plurimum lucis afferant. Sunt etiam inter ejus opera 24 sermones, quorum quartus a nonnullis Fulberto restituitur. De ipso Ivone plura habentur in editione ejus Operum, quæ in lucem prodiit anno 1647. Cujus opera, videat lector curiosus in præfatione J.-B. Souchet ad Vitam sancti Bernardi abbatis Tironensis, ejusdemque Veritatis Defensione edita Carnoti anno 1651. Videndi quoque Baronius Annal. tomis undecimo et duodecimo, Spondanus, Possevinus, Bellarminus et alii.

§ 1.

HISTOIRE DE SAINT YVES.

Yves (1), la lumière et l'oracie de l'Eglise de France en son temps, on pourrait même dire de tout l'Occident, naquit au territoire de Beauvais vers l'année 1040. Son père se nommait lugues d'Auteuil, et sa mère Hilemburge. L'opinion commune porte que sa famille était noble; mais Yves témoigne lui-même te contraire dans plusieurs de ses lettres (2). Dès sa plus grande jeunesse il fut appliqué à l'étude des arts libéraux; après en avoir été instruit en son pays (3), ou même à Paris selon d'autres (4), il alla au Bec perfectionner ce qu'il en savait et étudier les sciences ecclésiastiques. Il y eut pour maître le célèbre Lanfranc, et pour condisciples grand nombre de jeunes gens distingués par leur naissance et leurs mœurs, dont plusieurs furent élevés dans la suite aux premières dignités de l'Eglise. C'était par conséquent avant l'année 1062, que Lanfranc quitta le Bec, et alla à Caen remplir la place d'abbé de Saint-Etienne. Le goût pour les lettres et la piété qu'Yves prit au Bec, il le cultiva avec autant de succès que de soin. Toute son occupation, lorsqu'il reparut dans le monde, fut l'étude de l'antiquité ecclésiastique et la pratique de la vertu. L'on en a la preuve dans les écrits de sa façon qu'il a laissés à la postérité, et l'honneur qu'il fit à tous les divers états qu'il remplit. D'abord il fut chanoine de Nesle, illustre collégiale en Picardie (5), d'où son mérite le fit tirer, pour gouverner la nouvelle maison (6) que Gui, évêque de Beauvais, venait de fonder pour des clercs, à la porte de sa ville épiscopale. Cet établissement fut commencé, non en 1078, comme l'avancent la plupart des écrivains, mais dès 1067, et finit au bout de deux ans, sous l'invocation du martyr saint Quentin. Yves en était déjà supérieur quelques années avant 1079, d'abord sous le titre de prélat, ensuite sous celui d'abbé, quoique dans ses lettres il ne se qualifie que simple prêtre.

Bientôt cette nouvelle communauté s'acquit une réputation merveilleuse. Non-seulement Yves en augmenta' les revenus, en y transportant quelques domaines de son patrimoine (7); mais il fit encore observer une régularité conforme en tout aux anciens canons, et y ouvrit une école célèbre, où il prenait luimême soin de faire des leçons de théologie. Cette manière de vivre établie à Saint-Quentin, a fait regarder Yves comme un des plus illustres instituteurs de l'ordre des chanoines réguliers. Cet ordre était déjà connu à Rome et à Reims plusieurs années auparavant (8); mais Yves le porta à sa perfection. Dès son vivant il eut la consolation de voir que sa maison servit à l'étendre en divers lieux de la France, et que son école fournit d'excellents évêques à plusieurs églises. Ce fut dans le repos de sa retraite qu'il composa les deux recueils de canons (9), l'un plus court, l'autre plus étendu qu'on a de lui, et dont il sera parlé plus amplement dans la suite. Ces écrits, joints au soin qu'il prit lui-même d'enseigner, lui acquirent dès lors le titre de docteur renommé, et des plus renommés de l'Eglise de France: Inter præcipuos Francia doctores eruditione litterarum, tam divinarum quam sæcularium floruit (10). A cela près, il ne figura pas encore alors beaucoup dans l'Eglise. Le concile d'Issoudun tenu en 1081, fut la seule action d'éclat où on le vit paraître (11).

Il y avait environ quatorze ou quinze ans qu'il gouvernait l'abbaye de Saint-Quentin, lorsque Geoffroi 1, évêque de Chartres, deux fois déposé par le pape Grégoire VII pour cause de simonie, se trouvant coupable encore d'autres crimes, se reconnut indigne de l'épiscopat, et y renonça (12). Le pape Urbain II, qui le détermina à prendre ce parti, écrivit en même temps aux Chartrains, pour les inviter à élire un

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autre évêque, et leur indiqua le vénérable abbé de Saint-Quentin, dont il connaissait tout le mérite. L'élection étant tombée sur lui, l'on se saisit de sa personne, de peur que son humilité ne le fit enfuir, et on le présenta au roi Philippe, de qui il reçut le bâton pastoral (13). Mais Richer, archevêque de Sens et métropolitain de la province, à qui appartenait de droit l'ordination du nouvel élu, refusa son ministère sous divers prétextes. Dans la réalité, il se trouvait piqué de ce qu'on avait déposé Geoffroi sans sa participation. Yves, voyant les choses à ce point, voulait renoncer à son élection (14), et en écrivit sur ce pied au pontife romain. On le détermina toutefois à aller trouver le pape avec les députés de l'église de Chartres (15), qui lui portèrent leurs plaintes touchant le refus de leur archevêque. Urbain, pour couper court, ordonna lui-même le nouvel élu, et le renvoya avec deux lettres en date du vingt-quatre et vingtcinquième de novembre, l'une au peuple de Chartres, l'autre à l'archevêque Richer.

Presque tous nos écrivains sont partagés sur l'année précise et le lieu de cette ordination. Mais dom Mabillon montre par des preuves qui ne souffrent point de réplique (16), qu'elle se fit à Alatri, où le pape se trouvait alors (17), sur la fin de novembre 1091. Yves, quoiqu'ordonné évêque de Chartres (18), retint encore l'abbaye de Saint-Quentin, et ne s'en démit qu'au bout de quelque temps entre les mains de Foulques, évêque de Beauvais. Alors il écrivit aux Chanoines réguliers, qui la desservaient, pour leur permettre d'élire un autre abbé, et les exhorter à faire un bon choix (19). Il ne laissa pas néanmoins dẹ continuer à la protéger tout le temps qu'il vécut (20).

De retour de son voyage d'Italie en France, il prit possession de son Eglise en vertu de l'investiture du roi, et de l'ordination du pape attestée par ses lettres (21). Mais Richer, son métropolitain, bien loin de le regarder comme évêque, lui écrivit une lettre pleine d'amertume, de mépris, d'injures, et ne le traitait rien moins que d'intrus (22). Yves y répondit avec politesse, mais en même temps avec beaucoup de force, offrant de se justifier canoniquement. A cet effet, il se présenta au concile d'Etampes, où Richer et les évêques de Paris, de Troyes et de Meaux avaient concerté de le déposer, et de rétablir Geoffroi (23). Ils avaient pour prétexte, qu'il était allé contre l'autorité royale, et avait violé les droits de l'église Gallicane, pour s'être fait ordonner ailleurs (24). Mais Yves arrêta le cours de la procédure par un appel au saint siége; et le pape trouva le secret de pacifier toutes choses à cet égard. Yves fut maintenu dans son siége, et Geoffroi concentré dans la partie du diocèse de Chartres, qui était sous la domination de Robert duc de Normandie (25).

A peine cependant notre prélat commençait à jouir de ce calme, qu'il eut le malheur de tomber dans la disgrace de son prince (26). Ne pouvant en conscience, ni en honneur donner le moindre signe d'approbation à son scandaleux mariage avec Bertrade, comtesse d'Anjou, il refusa généreusement de s'y trouver, quoique le roi l'y eût invité. Il fit encore plus; il le blama hautement dans ses lettres à divers évêques, et en écrivit au roi même avec une vigueur digne d'un évêque des premiers siècles, sans sortir néanmoins des bornes du respect dû à la majesté royale. C'était en 1092; et dès-lors ce zèle apostolique coûta la liberté au généreux prélat (27). Hugues, seigneur du Puiset et vicomte de Chartres, se saisit de sa personne, et l'enferma au château du Puiset même, pour tâcher de l'abattre et faire par là sa cour au roi Philippe. Yves n'en devint que plus ferme, et Dieu ne le laissa point sans consolation dans ses liens. Guillaume de Ros, abbé de Fécamp, entre autres, l'y visita par ses lettres, où il le félicitait de souffrir pour la même cause qu'autrefois Elie et saint Jean-Baptiste (28). Les Chartrains de leur côté, extrêmement attachés à leur évêque, formèrent le dessein de l'aller délivrer à main armée (29); mais le pacifique prélat en étant averti, arrêta le coup par une lettre admirable. Hoel, évêque du Mans, vint aussi à son secours, et agit si efficacement avec le pape Urbain, qu'ils réussirent à lui procurer son élargissement (39). Yves au reste prit de justes mesures pour que son troupeau n'eût point à souffrir de son absence (31). Rendu à son église, il se trouva dans une extrême disette, à raison des ravages que les gens du roi avaient faits dans les domaines de l'évêché, et se vit encore chargé de fausses accusations (32). Assuré de son innocence, il en écrivit à Philippe, offrant de s'en justifier juridiquement, soit en concile ou à la cour même du prince. Il refusa néanmoins quelque temps après d'assister à celui de Reims, tenú en 1094, quoiqu'il y eût été invité, par la raison qu'il ne devait pas être jugé hors de sa province (35). Ce fut apparemment sur le même principe qu'il ne voulut point prometire de se trouver à un autre convoqué à Troyes pour le dimanche après la Toussaint, sans avoir eu, au préalable, l'avis du pape Urbain (54). On ne connaît point autrement ce concile; et l'on ignore si notre prélat en fut. Seulement on sait que les archevêques de Reims, de Sens et de Tours en devaient être, et apparemment les évêques de leurs provinces.

En 1095 fut célébré le grand concile de Clermont en Auvergne, auquel le pape présida en personne (35). Yves fut du nombre des évêques qui le composèrent, et eut l'honneur, après la tenue de cette assemblée, d'accompagner le pontife romain jusqu'à Tours (56). Urbain y tint un autre concile auquel Yves assista, comme il avait fait à toutes les autres assemblées que ce pape avait célébrées sur sa route. Le concile de Tours fut tenu au mois de mars 1096; et l'année suivante Yves se trouvait dans le Nivernais, sans qu'on sache à quelle occasion, à moins que ce ne fût encore pour quelque concile (37). En ce voyage il dédia solennellement l'église du monastère de Saint-Etienne, assisté de Gui, évêque diocésain, de Gautier de Châlons-sur-Saône, et d'Humbaud d'Auxerre.

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Il ne se passa presque point de choses considérables dans l'Eglise de France durant son épiscopat. auxquelles il n'eût beaucoup de part. Il fut du concile d'Etampes en 1099, et de celui de Poitiers l'année suivante, où le roi Philippe et Bertrade furent excommuniés de nouveau, et où les bons évêques eurent beaucoup à souffrir de la part du comte de Poitiers (58). Le légat Richard, évêque d'Albane, en ayant couvoqué un autre à Troyes en 1104, Yves s'excusa d'abord d'y aller, et ne laissa pas de s'y trouver (39). Le sujet de l'assemblée était l'absolution du roi, qui fut néanmoins différée à un autre temps. Le trentième de juillet de la même année se tint un autre concile à Beaugency pour le même sujet. Yves y assista encore, et rendit compte au pape Pascal II de ce qui s'y était passé (40). L'absolution du roi ayant été encore retardée, Yves engagea le souverain pontife à l'accélérer, et à user de quelque indulgence envers ce prince. Il se justifia par là du blâme dont le chargeaient quelques-uns, d'avoir eu le plus de part à son excommunication. Dès auparavant il avait donné des preuves du contraire, puisqu'il avait agi auprès d'Urbain 11, pour suspendre l'exécution de ce dessein, et en avait fait donner avis au roi par le premier officier de sa cour (41.) Enfin Philippe fut solennellement absous à Paris au commencement de décembre 1105, et voulut qu'Yves fût de la cérémonie (42). Avant cette époque, il lui avait déjà rendu l'honneur de ses bonnes grâces, comme il paraît par un diplôme accordé à sa prière en faveur de l'église de Chartres (43).

Au bout de trois ans, ce prince étant mort le vingt-neuvième de juillet 1108, on conseilla aussitôt après ses funérailles, à son fils Louis le Gros de se faire sacrer sans délai (44). Ce fut Yves, ce prélat si respectable et si rempli de sagesse, dit l'abbé Suger, qui ouvrit cet avis. En conséquence, on manda Daïmbert archevêque de Sens, qui en fit la cérémonie à Orléans le second jour d'août suivant, assisté de tous ses suffragants, du nombre desquels était notre prélat. A peine était-elle fiuie, que les députés de l'église de Reims, qui prétendait être la seule en droit de sacrer nos rois, arrivèrent et firent leur opposition. Yves se chargea de leur répondre et de justifier le sacre de Louis (45). C'est ce qu'il exécuta par une belle lettre circulaire adressée à l'église Romaine et à toutes celles qui avaient connaissance de la plainte du clergé de Reims; y montrant que sa prétention n'est fondée ni sur la raison, ni sur la coutume, ni sur la loi. Yves ne borna pas là son affection pour son prince. Il l'engagea encore à se marier, pour l'affermissement de la maison royale, et la tranquillité de l'Eglise et de l'état (46).

En 1112 Josceranne, archevêque de Lyon, indigné, comme plasieurs autres, du traité conclu l'année précédente entre le pape Pascal et l'empereur Henri V, touchant la concession des investitures faites à ce prince, voulut assembler un concile à Anse pour s'y opposer (47). Y ayant invité les évêques de la province de Sens, Yves ne fut point d'avis qu'ils y assistassent; et ils ne s'y trouvèrent point en effet. Il craignait sans doute de rallumer un feu qui paraissait eteint, et qui se ralluma bientôt après. Ne pouvant y apporter d'autre remède, il en écrivit d'une manière pathétique à Brunon, archevêque de Cologne, qu'il savait avoir grand crédit à la cour impériale, afin qu'il l'employât à faire cesser un schisme, qui depuis plus de trente ans divisait le sacerdoce et l'empire (48).

Ce zèle et cette sollicitude pastorale pour le bien de l'Eglise en général éclataient dans toutes les occa sions où il s'agissait du violement du bon ordre, même de la part des papes et de leurs légats (49). Nous en avons diverses preuves dans le recueil de ses lettres. En cette sorte de rencontre l'amour des règles l'emportait sur toute considération; et Yves ne reconnaissait pas même ses meilleurs amis. Il était fort lié avec Hugues, archevêque de Lyon, légat du saint siége, et lui avait donné des marques de son attachement, lorsque le pape Urban l'eut rétabli dans cette dernière dignité, dont il avait été destitué par Victor III (50). Néanmoins Hugues, s'étant avisé d'arrêter le sacre de Daimbert, archevêque de Sens, jusqu'à ce qu'il eut reconnu la primatie de Lyon sur cette autre métropole, Yves lui écrivit à ce sujet avec une vigueur vraiment épiscopale (51). Hugues s'en tint offensé, et en porta ses plaintes au pape, qui en conçut du refroidissement pour notre généreux évêque (52). Mais celui-ci n'en devint que plus ferme, comme il parait par sa lettre à ce pontife, et en prit occasion de faire voir qu'il ne tenait à l'épiscopat, que pour en soutenir l'honneur et le droit des églises; fermeté qui lui aurait peut-être attiré la disgrâce du pape et de l'archevêque, sans la médiation de Geoffroi abbé de Vendôme, qui, se trouvant alors à Rome, justifia Yves auprès du pontife Romain, et passant ensuite par Lyon à son retour en France, fit sa paix avec le légat Hugues (53).

Au bout de quelques temps, Yves ayant appris qu'on voulait donner à l'église de Beauvais pour évêque Etienne de Garlande, dont il connaissait l'incapacité et les autres défauts, mit tout en œuvre pour traverser son élection et empêcher son sacre; en quoi il réussit (54). Au contraire il favorisa et appuya de tout son pouvoir celle qu'on fit ensuite de Galon abbé de Saint-Quentin, dont le mérite lui était parfaitement connu (55).

Ce n'est pas seulement par rapport au maintien des canons et de la discipline ecclésiastique, en ce qui regarde le spirituel, que paraissait la généreuse intrépidité de notre prélat; elle se montrait encore en ce qui concerne les coutumes ou devoirs temporels des églises envers les souverains. Yves en a laissé des exemples bien marqués. Le roi Philippe lui ayant ordonné de se trouver avec les troupes de l'égl.se de Chartres en un certain endroit où il devait avoir une entrevue avec Henri roi d'Angleterre et duc de Normandie, mais y ayant joint des conditions qui n'étaient pas d'usage, Yves prit la liberté de lui en faire des remontrances aussi fortes que respectueuses (56). De même Etienne, comte de Chartres et de Blois, exigeant de l'église de Chartres un devoir inusité, Yves s'y opposa avec une vigueur digne d'un évèque attaché aux intérêts de son église (57).

Tant d'occasions où il donna des marques éclatantes de son habileté dans toutes sortes d'affaires, de

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son amour et de son zèle dans le maintien du bon ordre, firent passer sa réputation dans les pays étrangers. Rome qui le connaissait mieux que les autres, le craignait et le respectait en même temps. L'Angleterre révérait son mérite, sa vertu, et avait souvent recours à ses lumières. C'est ce qu'on voit par les liaisons qu'avait Yves avec le roi Henri 1, la reine Mathilde et plusieurs évêques du royaume. Mathilde entre autres avait pour le pieux évêque une estime singulière, dont on découvre de grands traits dans les lettres qu'il lui écrivait (58). A sa considération, elle fit à l'église de Chartres un riche présent en cloches, dont le prélat sut lui faire un remerciement d'un excellent goût pour ce temps-là,

Si l'Église entière et les pays étrangers tirèrent tant de secours de l'épiscopat d'Yves, celle de France en particulier, et principalement le diocèse de Chartres en tirèrent encore davantage. Pour en donner une juste idée, il faudrait faire ici une analyse presque entière du recueil de ses lettres. On y verrait par ses avis et ses décisions à toutes sortes de personnes, qu'il fut en son temps le conseil des évêques et l'oracle des simples fidèles. On y verrait par les instructions et les éclaircissements qu'elles contiennent, combien il aimait la pureté de la foi et des mœurs, et l'observation de la bonne discipline, et combien il a travaillé en faveur de l'une et de l'autre. Ce n'est point pousser les choses trop loin, que de dire à sa gloire, qu'on fut particulièrement redevable à ses soins de l'espèce de renouvellement qui se fit alors dans l'église gallicane, tant parmi les clercs que les laïques, et que ses écrits servirent à maintenir dans la suite.

Quelque sévère au reste que fût Yves dans ses décisions sur les points de morale et de discipline, sa conduite était pleine de lumière, de sagesse, de modération, de douceur. Ce fut par là qu'il sut gagner le cœur de ceux dont il avait combattu les passions. On a pu en remarquer un exemple en la personne du roi de France Philippe I. On en a un autre à l'égard d'Etienne comte de Chartres et de Blois qui, après avoir eu quelques contestations avec le zélé prélat, lui rendit tellement ses bonnes grâces, qu'à sa prière il abolit la perniciense coutume établie par ses prédécesseurs, de piller, à la mort de l'évêque de Chartres, la maison épiscopale et tous les domaines de sa dépendance (59) mais sa douceur n'alla jamais à tolérer le vice. Entre les autres preuves qu'il en donna, il le fit voir particulièrement dans ce qu'il mit en usage pour faire cesser la conduite scandaleuse que tenaient un seigneur de son diocèse, nommé Guillaume, et Adélaïde proche parente d'Adèle comtesse de Chartres (60). Ce fut par sa sagesse et sa douceur qu'il ouvrit les yeux à l'infortuné Roscelin qui, après avoir renoncé à ses erreurs, embrassa la pénitence, comme on l'a vu dans son histoire (61).

A tant d'excellentes qualités, Yves joignait encore un cœur compatissant envers ceux qui étaient dans l'oppression, ou en quelque autre genre de peine. Dans ces occasions, il se faisait un plaisir et un mérite d'employer en leur faveur le crédit qu'il avait auprès des grands. Entre grand nombre de traits de cette générosité bienfaisante que nous fournissent les lettres du tendre prélat, il suffit de dire que saint Godefroi évêque d'Amiens, Geoffroi archevêque de Rouen, et Hubert évêque de Senlis se trouvant dans le cas, en sentirent d'heureux effets (62) le premier auprès de Louis le Gros, les deux autres auprès du pape Pascal II. Ce pontife ayant été obligé de se réfugier en France, Yves eut l'honneur de le recevoir chez lui, où il célébra la fête de Pâques en 1107, et l'y retint le plus qu'il lui fut possible (63). Geoffroi, abbé de Vendôme, contraint de quitter son monastère par les vexations du seigneur du lieu, trouva une retraite aussi gracieuse qu'honorable auprès de notre généreux évêque (64).

Mais rien ne fut au-dessus du soin qu'Yves prit de l'instruction de son clergé et de son peuple, autant que les besoins de l'Eglise et de l'état auxquels il était obligé de se prêter, le lui pouvaient permettre (65). Sitôt qu'il eut pris possession de son église, il se mit à instruire, à corriger, à détruire et à planter. Il avait du talent et du zèle pour le faire; et il trouva de quoi exercer l'un et l'autre. Les sermons qui nous restent de lui, tant imprimés que manuscrits, et qui ne sont apparemment que la moindre partie de ceux qu'il prononça devant son peuple, font foi qu'il lui distribuait souvent le pain de la parole. Non content de lui parler de vive voix, il lui adressait aussi quelquefois des lettres pastorales, dont nous avons un beau modèle dans le recueil de ses autres lettres (66).

Pour ce qui est de sa conduite particulière, quelque occupé qu'il fût du soin de son troupeau et de tant d'autres affaires étrangères, il était aussi intérieur et recueilli en Dieu que lorsqu'il vivait à Saint-Quentin de Beauvais (67). C'est cette piété que Robert de Torigui n'a pas oublié de relever dans l'éloge de ce grand évêque, qui le portait à se plaindre dès le commencement de son épiscopat, d'être obligé de se prêter à des occupations tumultueuses, qui le privalent de l'union intime avec Dieu, et de cette aimable tranquillité que demande la prière (68). C'est encore cette piété qui lui inspira de favoriser tant de pieux établissements où Dieu devait être servi en esprit et en vérité. Outre ce qu'il avait déjà fait en faveur de Saint-Quentin de Beauvais, il fonda de nouveau à la porte de sa ville épiscopale l'abbaye de Saint-Jean en Vallée pour des Chanoines réguliers (69). Le célèbre Bernard, moine de Saint-Cyprien de Poitiers, s'étant retiré au diocèse de Chartres, et y ayant obtenu du seigneur du lieu un fonds pour y construire un monastère, Ives se porta à cet établissement avec tant de zèle et de succès, qu'il a mérité d'en être regardé comme le fondateur conjointement avec le B. Bernard (70). Le monastère se nomma Tiron, du nom de la petite rivière voisine, et devint dans la suite chef d'ordre. Celui de Hautes-Bruyères de religieuses de l'ordre de Fontevrault doit aussi sa fondation au même prélat, qui établit encore un hôpital pour les malades, et fut bienfaiteur de l'ordre de Cluny (71), et des abbayes de Marmoutier, de Bonneval et de Bourgmoyen à Blois (72).

Ives, dans ses pieuses libéralités, n'oublia point sa propre église (73). On a déjà parlé du service signalé qu'il lui rendit, en la faisant décharger de ces criantes coutumes, qui étaient de vrais pillages. I prit soin d'embellir la cathédrale, et de la fournir de livres et d'ornements. Il renouvella et agrandit considérablement la maison épiscopale, à laquelle il joignit une maison de campagne pour les divers usages des

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(66) Ep. 44.

(67) Baillet, 23 dec., p. 288.

(68) Rob., Add. ad Sig., p. 750; Ivo, ep. 6.
(69) Vit., n. 16.

(70) Ep. 283; Mab. ib., 1. LXXI, n. 39, 111.
(71) Ivo, Vit,, ib.

(72) Ep. 211; Mab. ib., n. 16.

(75) Rob., add. ad Sig., ib; Ivo, Vit., n. 2.

évêques. Les écoles étaient fort fréquentées dès le temps de saint Fulbert, et le lieu où elles se tenaient devait être fort spacieux Yves le fit rebâtir tout à neuf, et laissa encore à son église et à ses chanoines diverses autres marques de sa généreuse bienveillance. Enfin, il eut quelque part à la fondation de l'abbaye de Saint-Victor, à Paris, qui se fit en 1113 (74): au moins la souscription se lit-elle au bas de la charte du rọi Louis le Gros pour cet établissement.

Il reste à dire quelque chose des liaisons de notre saint prélat. Sans parler des papes, des rois, des princes et princesses, il en avait avec presque tous les grands personnages de son temps. On en voit paraître la plupart dans les inscriptions de ses lettres; mais nous ne rappellerons ici que ceux avec qui il était lié d'une manière plus intime. De ce nombre étaient saint Bernard de Tiron, dont il vient d'être parlé, et le B. Robert d'Arbrisselles. Il avait donné au premier la Fénédiction abbat ale; et, à la considération de l'un et de l'autre, il s'était employé à la fondation de l'abbaye de Tiron et du monastère de Hautes-Bruyères. S'étant lié d'amitié, dès qu'il étudiait au Bec, avec saint Anselme, ils continuèrent toujours leur union, depuis que celui-ci fut abbé, et ensuite archevêque de Cantorbéry (75). Ils eurent la mutuelle consolation de se voir, lorsqu'en 1403 Anselme vint en France, pour de là aller à Rome (76). Ayant pris sa route par Chartres, l'évêque Ives le reçut avec beaucoup d'honneur, et lui persuada avec la comtesse Adele, d'attendre l'automne pour ce long voyage, afin d'éviter les chaleurs de l'été. A son retour sur la fin de juin de l'année 1105, Anselme passa de nouveau à Chartres, et eut le plaisir d'y voir encore son bon ami (77) ; il y fit même un séjour considérable; puisqu'y ayant souscrit une charte en faveur des chanoines de Bourmoyen de Blois, le vingt-quatrième de juín, il n'en partit que pour se rendre à l'Aigle, le vingt-deuxième de juillet suivant.

Il y avait aussi une étroite union entre Yves et Lambert, évêque d'Arras, comme il paraît par une lettre du premier, insérée parmi celles de l'autre, qui lui en a écrit une des siennes, pour le remercier d'un service signalé qu'lves venait de rendre à l'Eglise d'Arras, et des autres qu'elle en avait déjà reçus en d'autres occasions (78). Depuis que notre prélat eut béni Geoffroi, abbé de Vendôme, ce qu'il fit le vingttroisième de septembre 1093, il se forma entre eux une amtié persévérante, qui est attestée par les dixneuf premières lettres du second livre du recueil de celles de Geoffroy, toutes écrites à l'évêque de Chartres (79). L'épitre par laquelle Hugues de Sainte-Marie, moine de Fleuri, et l'un des savants de son siècle, lui dédia en 1110 sa grande chronique, montre qu'ils avaient ensemble des liaisons de littérature (80). Yves vécut jusqu'à la vieillesse, et mourut plein de gloire, de mérites et en odeur de sainteté (81). Mais les écrivains tant anciens que modernes sont fort partagés sur le jour précis et l'année de sa mort. Les uns la placent dès l'année 1114; d'autres lui assignent l'année suivante, Ceux-ci la marquent au premier de janvier 1116; ceux-là, comme Robert de Torigny, la renvoient en 1117: enfin, d'au res la fixent au vingt-troisième de décembre (82) 1116; et leur opinion mérite la préférence, étant celle des historiens Helinand de Froidmont et d'Albéric de Troisfontaines (83). Ives pouvait être alors dans la soixante dix-septième année de son âge, et avait passé vingt-cinq ans et un mois dans l'épiscopat, à compter du jour de son ordination. Il fut enterré dans le choeur de l'église abbatiale de Saint-Jean en Vallée, dont il était le fondateur, comme il a été dit (84). On a trois épitaphes consacrées à sa mémoire : l'une est de la façon de Philippe, abbé de Bonne-Espérance; mais on ignore qui sont les auteurs des deux autres. Celle que nous copions ici, et que nous préférons aux autres, par la raison qu'elle exprime mieux le caractère de ce grand évêque, a été tirée d'un ancien manuscrit du président Barnabé Brisson, et se trouve imprimée en divers recueils.

EPITAPHE.

Mente, manu, lingua, doctrina corporis usu,
Prudens, munificus, affabilis, utilis, insons;
Firma columna domus Domini, quam jure salubri

Fovit, munivit, instruxit, jugiter auxit,

Consilio, scriptis quo viveret ordine, rebus
Cujus opem gratis æger, rem sensit egenus,

Istius urbis apex, memorandus episcopus Ico,

Hac situs exspectat adventum judicis urna

Outre ces trois épitaphes qui contiennent un précis de l'histoire de notre prélat, le P. Fronteau, chanoine régulier de Sainte-Geneviève, a composé sa vie qui est imprimée à la tète de son décret dans la dernière édition, et que les successeurs de Bollandus ont fait entrer dans leur grande collection d'actes des saints, avec quelques remarques de leur façon (85). M. Baillet, de son cóté, en a publié une autre au vingt troisième de décembre, entre ses Vies des saints (86). Enfin un troisième écrivain donna vers le même temps un petit volume in-12 portant ce titre L'esprit d'Yves de Chartres dans la conduite de son

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pape Anastase IV, vers le milieu de ce siècle, et le fait disciple de Gilbert de la Poirée. André Thevet dans sa cosmographie s'en est encore bien plus éloigné, en le renvoyant à la fin du xve siècle, sous le roi de France Charles VIII (©).

18;

(83) Hist. Chr., p. 454, I; Ivo, Vit., n. 2,
Cist. Bib., t. VII, p. 178; Kob., add. ib.; Alb.
Chr. par. 1, p. 228; Mab., ib., 1. Lxxi, n. 125;
Egas. Bul., t. I, p. 615; Cave, p. 541.

(84) Rob. add. ib.; Gall. Chr. vet. t. III, p. 488, 2; Boll. ib., p. 248.

(85) Boll., 20 Maii, p. 247-252.
(86) Bail., ib., p. 282-288.

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