Rouffeau dans fes pfeaumes étoit pénétré auffi réellement que David? enfin, fi nos acteurs, qui montrent fur le théâtre des pallions fi vives, les éprouvent fans le fecours de l'art, & par la réalité de leur fituation? Si tout cela est feint, artificiel, imité ; la matiere de la poëfie lyrique être dans les fentimens, n'en doit pour donc pas être moins foumife à l'imitation. L'origine de la Poëfie ne prouve pas plus contre ce principe. Chercher la poëlie dans fa premiere origine, c'eft la chercher avant fon exiftence. Les élémens des arts furent créez avec la nature. Mais les arts eux-mêmes, tels que nous les connoiffons, que nous les définiffons maintenant, font bien différens de ce qu'ils étoient, quand ils commencerent à naître. Qu'on juge de la Poëfie par les autres arts, qui, en naiffant, ne furent ou qu'un cri inarticulé, ou qu'une ombre crayonnée, ou qu'un toît étayé. Peut-on les reconnoître à ces définitions? Que les cantiques facrez foient de vraies poëfies fans être des imitations; cet exemple prouveroit-il beaucoup contre les poëtes, qui n'ont que la nature pour les infpirer? Etoit-ce l'homme qui chantoit dans Moyfe, n'étoit-ce point l'Efprit de Dieu qui dictoit? Il eft le maître: il n'a pas befoin d'imiter, il crée. Au lieu que nos poëtes dans leur ivreffe prétendue, n'ont d'autre fecours que celui de leur génie naturel, qu'une imagination échauffée par l'art, qu'un enthousiasme de commande. Qu'ils aient eu un fentiment réel de joie c'eft dequoi chanter, mais un couplet, ou deux feulement. Si on veut plus d'étendue; c'eft à l'art à coudre à la piéce de nouveaux fentimens qui reffemblent aux premiers. Que la nature allume le feu; il faut au moins que l'art le nourrifle & l'entretienne. Ainfi l'exemple des Prophetes, qui chantoient fans imiter, ne peut tirer à conféquence contre les poëtes imitateurs. D'ailleurs, pourquoi les cantiques facrez nous paroiffent-ils, à nous, fi beaux ? N'est-ce point parce que nous y trouvons parfaitement exprimez les fentimens qu'il nous femble que nous aurions éprouvez dans la même fituation où étoient les Prophetes? Et fi ces fentimens n'étoient que vrais, & non pas vraisemblables, nous devrions les refpecter; mais ils ne pourroient nous faire l'impreffion du plaifir. 1 3 e Deforte que, pour plaire aux hommes, il faut, lors même qu'on n'imite point, faire comme fi l'on imitoit, & donner à la vérité les traits de la vraisemblance. La Poëfie lyrique pourroit être regardée comme une efpece à part; fans faire tort au principe où les autres fe réduisent. Mais il n'eft pas befoin de la féparer : elle entre naturellement & même néceffairement dans l'imitation; avec une feule différence, qui la caractérise & la distingue: c'eft fon objet particulier. Les autres efpeces de poëfie ont pour objet principal les actions : la Poëfie lyryque eft toute confacrée aux fentimens, e c'est fa matiere, fon objet effentiel. Qu'elle s'éleve comme un trait de flamme en frémiffant, qu'elle s'infinue peu à peu, & nous échauffe fans bruit, que ce foit un aigle, un papillon, une abeille; c'eft toujours le fentiment qui la guide ou qui l'emporte. 1 I I. La nature & les regles de la Poëfie lyrique. La Poëfie lyrique, en général, eft deftinée à être mise en chant. C'est pour cela qu'on l'a appellée lyrique, & parce qu'autrefois, quand on la chantoit, la lyre accompagnoit la voix. Le mot ode a la même origine : il fignifie chant, chanfon, hymne, cantique. Il fuit de-là que la Poëfie lyrique & la Musique doivent avoir entr'elles un rapport intime, fondé dans les chofes mêmes; puifqu'elles ont l'une & l'autre les mêmes objets à exprimer. Et fi cela eft, la Mufique étant une expreffion des fentimens du cœur par les fons inarticulez; la Poëfie muficale, ou lyrique, fera l'expreffion des fentimens par les fons articulez, ou, ce qui eft la même chofe, par les mots. Il ne s'agit que de développer cette idée. Les hommes ont en eux une intelligence & une volonté, deux facultez dont les opérations font des connoiffances & des mouvemens. Ces opérations ne fe féparent guères plus les unes des autres, que les facultez mêmes qui les produifent ne fe féparent dans notre ame. Quand nous penfons, nos goûts fe mêlent dans nos penfées. Quand nous fentons, nos penfées fe mêlent dans nos goûts. Ainfi, foit que nous parlions, ou que nous écrivions, il y a ordinairement dans ce que nous difons, de la lumiere & de la chaleur de la lumiere, elle tient à l'intelligence & à la penfée: de la chaleur, elle tient à la volonté, au fentiment, au goût. J'ai dit ordinairement, parce qu'il y a des genres, où la lumiere eft feule: par exemple, la Géométrie ; & qu'il y en a d'autres où la chaleur eft feule auffi, comme la Mufique. Mais ici nous ne parlons que des ouvrages en vers ou en profe, qui ont pour objet de plaire & d'inftruire en même tems; des ouvrages qu'on appelle, ouvrages de goût. Il y a néceffairement dans ces fortes d'ouvrages, lumiere & chaleur ; parce que fans l'une le lecteur pourroit s'égarer: & que fans l'autre il s'ennuiroit. Ces deux qualitez ne doivent être unies l'une à l'autre que dans des degrez proportionnez, & à la matiere qu'on traite, & à la fin qu'on fe propofe. Si c'eft la vérité qu'il s'agit de préfenter à l'efprit, ce fera la lumiere qui dominera. Si c'est le cœur qu'on entreprend de toucher, ce fera la chaleur. L'Hiftoire, les Differtations, les Argumentations demandent fur-tout à être claires & lumineufes. L'Oraifon, l'Epo |