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exemple de forme, & cette forme ne pourroit être représentée dans aucune traduction. D'ailleurs quand les ouvrages font portez à un certain degré de délicateffe, ils font intraduifibles. Je ne fais fi Madame Deshoulieres, dont le tour d'efprit approchoit tant de celui de Catulle, auroit été aflez heureuse pour en rendre une partie. Peut-être que Catulle lui-même en auroit perdu beaucoup, s'il eut pris l'hexametre, ou le pentametre, ou l'iambe, au lieu de l'hendecafyllabe qui a feul cette fimplicité prefque profaïque, qui va fi bien avec le fentiment.

Il y a la même chofe à faire dans nos vers françois que dans ceux des latins; foit pour toute la piéce, qui doit être tantôt en vers héroïques, tantôt en petits vers; foit pour le mélange des vers, qui peuvent être grands ou petits; foit pour l'assortiment des rimes, qui faifant symmétrie de proche en proche, ou, de loin à loin, produifent fur l'oreille des effets très-différens felon la différence des arrangemens. On le fentira dans cette épigramme de Rouffeau :

Chryfologue toujours opine
C'eft le vrai Grec de Juvenal.

Tout ouvrage, toute doctrine
Reffortit à fon tribunal.
Faut-il décider de Physique?
Chryfologue eft phyficien.
Voulez-vous parler de musique ?
Chryfologue eft musicien.

Que n'eft-il point? docte critique,
Grand poëte, bon scolastique,
Astronome, grammairien,
Eft-ce tout? il eft politique,
Jurifconfulte, hiftorien,
Platonifte, cartéfien,

Sophifte, rhéteur, empirique :
Chryfologue eft tout, & n'eft rien.

Si cette piéce eut été en grands vers, les rimes revenant moins fouvent, auroient moins de fois frappé l'oreille, & par-là l'énumération dont il s'agit, auroit été moins fenfible. Il a fallu pour la même raifon, que les rimes fuffent les mêmes depuis le commencement de l'énumération jufqu'à la fin. Enfin fi le poëte eût fait un mélange de vers grands & petits, l'harmonie auroit été moins vive, & le nombre moins marqué: or il falloit qu'il le fût beaucoup dans une énuméra

tion.

Si on ne peut pas fe rendre affez maître de la forme de la pensée pour que le

vers foit de même d'un bout à l'autre de l'épigramme; il faut au moins que la chute ait la forme qui lui convient. Peutêtre même que ce fera un mérite pour l'épigramme d'avoir des vers de différentes mefures: elle en aura plus de naïveté & plus de force, parce que chaque partie de la pensée fera rendue avec jufteffe, & fans fuperfluité, ce qu'on fouhaite furtout dans l'épigramme.

Le fecond objet qu'on doit confidérer dans la maniere de préfenter la penfée de l'épigramme, c'eft qu'elle ait tout fon fel & tout fon éclat. Un Ecrivain habile qui fait un difcours fuivi, rencontre quelquefois, en chemin faifant, des épigrammes; mais il en brise la pointe, afin de les faire entrer mieux dans le tiffu de l'ouvrage, & qu'elles y faffent corps avec le refte. L'Epigrammatifte, au contraire, tire une penfée d'un difcours, où elle faifoit partie; & l'aiguife avec une forte d'affectation, pour la faire briller. Pour fentir cette différence, il fuffit de comparer l'épigramme de Rouffeau que nous venons de citer avec l'endroit de Juvenal cité par Rouffeau lui-même. « Ce pe

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2

mairien, rhéteur, géometre, peintre, baigneur, augur, danfeur de corde, » médecin, magicien, il fait tout: il ira » au ciel, fi vous voulez. » La même penfée rendue par le poëte françois a beaucoup plus d'éclat, à caufe de l'antithèse, qui préfente, dans un vers très-petit, deux idées que leur choc fait étinceller : Chryfologue eft tout, & n'eft rien. Le poëte latin a jugé à propos de laiffer à fon lecteur le foin de tirer cette conféquence: il s'est contenté de le mettre fur les voies : ce qu'il a fait, en attribuant au petit Grec, des talens qui ne peuvent fe réunir dans la même perfonne.

Le troifiéme objet regarde l'élocution, le ftyle. Il eft permis dans un ouvrage de longue haleine de fommeiller quelquefois. On pardonne alors un moment d'oubli : fouvent même une petite tache ne s'apperçoit point. Mais dans une épigramme on ne pardonne rien, & le moindre défaut faute aux yeux fur le champ. On veut que toutes fes parties foient liées entr'elles intimement; qu'elles jouent avec aifance; que l'oreille ne foit furchargée d'aucun mot, d'aucune fyllabe; qu'elle ne foit offenfée d'aucun fon dur, fec,

traînant, fifflant; que l'efprit ne foit embaraffé d'aucune conftruction peineuse d'aucune ellipfe forcée, d'aucune idée inutile, ou trop recherchée; en un mot, que la pensée foit habillée d'une façon décente & ferrée, & que cependant elle foit à fon aife. Cela doit être dans tout ouvrage bien écrit: mais on l'exige furtout dans l'épigramme. D'où il fuit qu'il n'eft point jufte de dire que, pourvû que la pointe foit rendue heureusement, tout eft fait dans l'épigramme. La pointe eft la partie principale, il eft vrai; mais elle doit néanmoins quelque chofe de fon mérite aux autres parties qui la préparent & qui l'annoncent.

genre

Il n'eft pas difficile après tout ce que nous venons de dire, de marquer les défauts qui fe rencontrent dans le épigrammatique. Nous ne parlons point. des obfcénitez, qui ne peuvent plaire qu'à la canaille, & que les Payens mêmes ont condamnées par-tout. Nous ne parlons point des épigrammes méchantes, qui déchirent la réputation : chacun eft intéreffé à les haïr: elles marquent de l'inhumanité dans ceux qui les font, & au moins

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