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ligue, qui feroit affurément peu d'honneur au goût de notre fiécle, fi elle n'étoit pas l'ouvrage de l'humeur, ou de l'intérêt. Car nous ne parlons point de ceux qui fuivent le torrent, & qui aiment mieux répéter ce qu'ils entendent dire aux autres, que de voir par leurs yeux, & de juger par leur goût.

Pour juger du merite de M. Defpréaux, il ne faut que voir ce qu'il a fait.

L'Art poëtique eft un chef-d'œuvre de raifon, de goût, de verfification. Tous fes vers font autant d'oracles du bon fens, rendus avec toute la netteté & toute la force poffible. Perfonne ne le nie: excepté ceux qui fe font fait une regle de nier

tout.

Le Lutrin eft un ouvrage tout de génie, bâti fur la pointe d'une aiguille, comme le difoit M. de Lamoignon : c'eft un château en l'air,qui ne fe foutient que par l'art & la force de l'Architecte. Il y a le génie qui crée, le jugement qui difpofe, l'ima gination qui enrichit, la verve qui anime tout, & l'harmonie qui répand les graces. Ses Satires & fes Epîtres, à en juger que nous venons de citer, font pleines de fel, de vivacité, de traits

par

le morceau

!

vifs. Et après cela, on ofe dire que Defpréaux n'eft pas poëte, & qu'il n'a point d'efprit. Les mots ont-ils donc changé de fignification, par rapport à Defpréaux feulement ?

Il manquoit de goût : il a blâmé le Taffe, Corneille, Quinaut. Nous venons de parler du Taffe, il ne s'agit mainte nant que de Corneille & de Quinaut.

On ne

nier que peut Corneille, tout grand qu'il eft, n'ait fes taches & fes défauts. Il pouvoit donc être l'objet de la critique & de la cenfure. Mais Defpréaux lui a préféré Racine: 1°. cela ne fe peut prouver nettement par aucun de fes ouvrages. Defpréaux étoit l'ami particulier de Racine, il eftimoit fes pièces; mais jamais il ne les a préferées ni à Horace ni à Cinna, ni à Rodogune, &c. Quand même il l'auroit fait, combien de gens aujourd'hui penfent de même ? Mais il n'aimoit point Corneille. Qu'est-ce que cela fait au public maintenant ? Est-ce de l'homme qu'il s'agit pour nous ? N'eft-ce pas de l'Auteur? Qu'il y ait eu du froid, de l'indifférence, de l'inimitié même entre Defpréaux & Corneille, cela leur ôte-til, ni à l'un ni à l'autre, leurs talens ou leur

Quinaut, dit-on, qui eft un homme unique dans fon genre, a été traité fort mal dans fes Satires. Cela eft vrai : mais rien encore contre le mémême en

cela ne prouve
rite de Defpréaux : cela prouve

fa faveur.

Zêlé partifan de la vertu, homme fans paffion, & prefque fans goût pour les plaifirs, porte par fon caractère vers une certaine auftérité, M. Defpréaux devoitil, pouvoit-il trouver fort bons, des vers doux, qui ne prêchent que la moleffe, qui n'étalent que des fentimens dangereux pour les mœurs? Qu'on donne Quinaut à un homme férieux & fenfé, qui fe foit tenu pendant toute fa vie dans les regles d'une probité, exacte, rigoureuse, & par conféquent beaucoup plus ftricte, fur-tout dans certains points, que celle qui fait la regle des gens du monde : & 'on lui faffe lire les fcènes des Médors, des Renauds, des Rolands, &c.; cette moleffe qui y regne, ne fera-t-elle pour lui que de la moleffe? Sera-t-il condamné à l'admirer par-tout, fous peine de paffer pour un homme fans goût? Defpréaux devoit juger Quinaut comme il l'a fait ; de même que la plupart de ceux qui l'admirent

qu'

mirent tant, ont auffi leurs raifons pour l'admirer. La feule conféquence qu'on peut tirer de fon jugement, c'eft qu'il n'avoit pas le goût qu'il falloit avoir pour l'approuver. Mais non, on conclut, en général, qu'il n'avoit pas de goût. Que nous ferions à plaindre, fi pour un feul raifonnement, qui paroîtroit n'être jufte, nous étions décidez efprits faux, raifonnans fans logique, & de mauvaise foi!

pas

Si on fe contentoit de dire que le métier de fatirique, que Defpréaux a profeffé pendant toute fa vie, ne marque pas affez d'humanité, & encore moins de charité : que cet efprit de critique, cette envie de mordre & de cenfurer n'eft pas une qualité louable dans un citoyen ; on pourroit fe rendre à cette obfervation pourvû qu'elle vînt de gens eux-mêmes charitables & bons citoyens. Mais que penfer de ce ton radouci, quand on ne le prend que pour porter plus fûrement fes coups, & pour fe donner en même tems, fous un voile fpécieux, l'honneur de paroître bon, & le plaifir d'être méchant ? Quand il s'agit de juger de fi grands hommes, il ne faut jamais le faire qu'avec refpect:

& s'il falloit abfolument fe tromper fur leur compte, il vaudroit beaucoup mieux que ce fût en approuvant tout, qu'en blâmant trop. C'eft Quintilien qui l'a dit : Modeftè tamen & circonfpecto judicio de tantis viris pronunciandum eft, ne (quod plerifque accidit) damnent quæ non intelligant. Ac fi neceffe fit in alterutram errare partem, omnia eorum legentibus placere, quàm multa difplicere maluerim.

Si on veut rapprocher les caractères des principaux Auteurs fatiriques, pour voir en quoi ils fe reffemblent, & en quoi ils different: il paroît d'abord qu'Horace & Boileau, ont entr'eux plus de reffemblance, qu'ils n'en ont ni l'un ni l'autre avec Juvenal. Ils vivoient tous deux dans un fiécle poli, où le goût étoit pur, & l'idée du beau fans melange. Juvenal au contraire vivoit dans le tems même de la décadence des Lettres latines, lorfqu'on jugeoit de la bonté d'un ouvrage fa richeffe, plûtôt que par l'économie

par

des ornemens.

Horace & Boileau avoient un efprit plus doux, plus fouple: ils aimoient la fimplicité, ils choififfoient les traits, & les préfentoient fans fard & fans affecta

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