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les idées de grandeur qu'il pouvoit avoir. Les fentimens font fublimes, quand ils paroiffent être prefque au-deffus de la condition humaine, & qu'ils font voir, comme l'a dit Seneque, dans la foiblesse de l'humanité la conftance d'un dieu. L'Univers tomberoit fur la tête du jufte, fon ame feroit tranquille dans le tems même de la chûte. L'idée de cette tranquillité comparée avec le fracas d'un monde entier qui fe brife, eft une image fublime; & la tranquillité du jufte eft un fentiment fublime.

Il faut bien diftinguer entre le fublime du fentiment & la vivacité du fentiment. Le fentiment peut être d'une vivacité extrême, fans être fublime : la colere qui va jufqu'à la fureur, eft dans le plus haut degré de vivacité, & cependant elle n'est pas fublime. Au contraire le fentiment qui eft fublime, eft fans vivacité: il confifte dans le mouvement moins que dans le repos : & une grande ame eft plûtôt celle qui voit tout ce qui affecte les ames ordinaires, qui le fent même, fans en être émûe, que celle qui fuit aifément les impreffions des objets. Et peut-être qu'on

fublime n'eft pas vif, & que le fentiment vif n'eft pas fublime. Régulus s'en retourne paifiblement à Carthage, pour y fouffrir les plus cruels fupplices, qu'il fait qu'on lui apprête : ce fentiment eft fublime, fans être vif. Le poëte Horace se repréfente la tranquillité de Régulus dans l'affreufe fituation où il eft : ce fpectacle le frappe, l'emporte, il fait une ode magnifique; fon fentiment eft vif, mais il n'eft point fublime.

Cette diftinction fuppofée, voici la gé nération du fublime fyrique. Un grand objet frappe le poëte: fon imagination s'éleve, & s'allume: elle produit des fentimens vifs, qui agiffent à leur tour fur l'imagination, & augmentent encore fon feu. De-là les plus grands efforts pour exprimer l'état de l'ame : de-là les termes riches, forts, hardis, les figures extraordinaires, les tours finguliers. C'eft alors que les Prophetes voient les collines du monde qui s'abbaiffent fous les pas de l'éternité; que la mer fuit; que les montagnes treffaillent. C'eft alors qu'Homere voit le figne de tête que Jupiter fait à Thétis, & le mouvement de fon front immortel qui fait balancer l'Univers.

Voilà le fublime qui appartient à l'Ode, le fublime des images, celui qui produit le fentiment vif, & que le fentiment vif reproduit & augmente auffi à fon tour.

Le fublime des fentimens n'a ni paffions, ni emportemens, ni images fortes, ni expreffions hardies. Tout eft tranquille chez lui & fimple. L'ame pleinement maîtreffe d'elle-même, ne voit les chofes que comme elles font, & ne se met point en peine d'y rien changer. Une raifon éclairée & affermie fur elle-même la guide dans tous fes mouvemens : & la folidité de fes motifs lui fournit un appui que rien ne peut ébranler. Quand elle parle, c'eft toujours fimplement & fans chaleur: Arie fe donne un coup de poignard, pour donner à fon mari l'exemple d'une mort héroïque : elle retire le poignard, & le lui présente en disant : Patus, cela ne fait point de mal.

On difoit à Horace fils, allant combattre contre les Curiaces, que peut-être il faudroit le pleurer: il répond:

Quoi, vous me pleureriez mourant pour mon païs?

Et à Médée : Que vous refte-t-il contre tant

Cette efpece de fublime ne fe trouve point dans l'Ode, parce qu'il tient ordinairement à quelque action, & que dans l'ode il n'y a point d'action. C'est dans le dramatique qu'on le trouve principalement: Corneille en eft rempli.

D'après ces idées on pourroit donc définir l'ame foible ou baffe, celle qui est abbatue, ou emportée par une fecouffe médiocre de quelque paffion, colere, crainte, joie, trifteffe, &c.

L'ame commune, celle qui réfiste à cette fecouffe médiocre, mais qui ne peut y réfifter, quand il y a quelques degrez de force de plus.

L'ame vraiment fublime, celle qui a en foi un reffort qui la met non-feulement au- deffus de cette ame foible, qu'une feule fecouffe médiocre terraffe, ou déplace; mais encore au-deffus de cette vertu qui réfifte jufqu'à un certain point. C'est le rocher tant vanté dans les allégories des poëtes, aux pieds duquel les vagues viennent fe brifer inutilement.

Il y a dans cette fphere fublime des degrez dont une ame médiocre ne peut fe former aucune idée, quand même on les lui montreroit dans des exemples.

La vérité de ces notions femble être prouvée fuffifamment par les traits fublimes que nous avons déja citez. En voici quelques autres encore qui achéveront de les mettre dans le jour dont elles ont befoin.

La reine Henriette d'Angleterre dans un vaiffeau, au milieu d'un orage furieux, raffuroit ceux qui l'accompagnoient, en leur difant d'un air tranquille: Que les Reines ne fe noyoient pas.

Curiace allant combattre pour trie, difoit à Camille fa maîtreffe,

fa

pa

qui

pour le retenir, faifoit valoir fon amour:

Avant que d'être à vous, je fuis à mon païs.

Augufte ayant découvert la conjuration que Cinna avoit formée contre la vie, & l'ayant convaincu, lui dit :

Soyons ami, Cinna, c'eft moi qui r'en convie

Voilà des fentimens fublimes: la Reine étoit au-deffus de la crainte ; Curiace audeffus de l'amour; Augufte au-deffus de la vengeance; & tous trois ils étoient audeffus des paffions, & des vertus communes. Il en eft de même des autres traits de fentimens fublimes.

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