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core à cette plénitude: si les Eglises des Gaules peuvent à bon droit revendiquer pour elles la paternité des deux princes des Apôtres, Jean, le disciple bien-aimé, n'a point eu de part à un apostolat trop éloigné de la province d'Asie où son action restait concentrée; comment cependant le fils adoptif de Marie pourrait-il ne rien transmettre de lui-même aux lieux bénis des complaisances de Notre-Dame? Aussi, sous l'influence de l'apôtre déjà sorti de cette vie et plus éclairé encore sur les desseins de Dieu qu'il ne le fut à Pathmos, voici qu'apparait sur les rives du Rhône un groupe de nouveaux missionnaires; formés à l'école de Polycarpe, le plus fidèle disciple du vieillard d'Ephèse, qu'ils ont pu voir lui-même dans leur enfance, ils viennent communiquer à l'Occident ses traditions, son esprit, son amour du Fils de l'homme et de la divine Mère. Pothin leur chef, béni par Rome, s'arrête à Lyon. Au nom de Jean, il complète dans ces contrées l'oeuvre commencée au nom de Pierre et de Paul, un siècle plus tôt, par Crescent de Vienne, Trophime d'Arles et Paul de Narbonne. Pour un seul pays, quel concours de grâces significatives! Satan lui-même comprend enfin les desseins du Christ; il va chercher à les arrêter dans le sang.

L'espace nous manque pour retracer ici les phases diverses de la persécution qui s'alluma sous le souffle de l'enfer, au printemps de l'année 177. Trois ans auparavant, Marc-Aurèle, sauvé par les prières des soldats chrétiens dans sa guerre contre les Quades, avait paru vouloir protéger l'Eglise; mais la contrainte qu'il avait dû s'imposer alors coûtait au meurtrier de sainte Félicité, de saint Justin et de tant d'autres confesseurs immolés dès les premiers jours de son règne. La première oc

casion qui se présenterait d'oublier le service rendu par la Légion Fulminante, de remettre en vigueur les anciennes lois, cette occasion devait être bienvenue de l'empereur philosophe. Elle lui fut donnée par les soulèvements populaires que la réaction païenne, suffisamment édifiée touchant les dispositions du prince, excita dans les diverses parties de l'empire; comme l'incendie de Rome l'avait été pour Néron, l'émeute devenait un moyen de gouvernement pour Marc-Aurèle, cet idéal des princes chez nos modernes historiens! Ce fut de la Gaule que partit le signal de cette persécution doublement odieuse, qui devait s'étendre dans les autres provinces et jusqu'à Rome même, où, un an plus tard, elle couronnait l'immortelle Cécile et son glorieux cortège formé de l'élite de l'ancien patriciat; c'est au préfet de Lyon que fut adressé le rescrit sanguinaire, dont les termes firent loi pour tout l'empire et se retrouvent cités dans plusieurs Actes des martyrs de ce temps.

Et certes la Gaule, qui jusque-là avait vu seulement les exécutions isolées d'un petit nombre de chrétiens, montra suffisamment qu'elle était prête à fournir, elle aussi, ses hécatombes sacrées; l'Eglise de Lyon, fondée la dernière, puisa dans le sang de ses généreux fils une noblesse qui lui permettait de marcher à tout jamais l'égale des premières. Que ne pouvons-nous citer en entier l'admirable Lettre écrite par les survivants de la persécution à leurs frères d'Asie, pour leur raconter le triomphe des martyrs ! monument sans prix de l'antiquité chrétienne, où semble vivre toujours le bienheureux esprit des athlètes du Christ, et dont l'éloquence, si merveilleuse dans sa simplicité, avait la faculté d'émouvoir encore, au XVIe siècle, le cœur si refroidi pourtant des sec

taires de la prétendue Réforme. Rappelons du moins en peu de mots la succession des évènements, qui nous permettra de mieux comprendre tout à l'heure le récit liturgique emprunté à cette Lettre immortelle.

Le représentant de la puissance romaine était absent de Lyon, quand la populace, excitée par les calomnies des meneurs, se jeta sur les maisons des chrétiens. Dans ce premier moment, rien ne fut épargné contre eux de ce que peut une foule en délire; le tribun militaire, chargé de maintenir l'ordre, n'intervint au milieu de ces violences que pour traîner ceux qui en étaient la victime devant les magistrats de la cité; après un interrogatoire sommaire, et une première confession de leur foi que ne refoula point le bruit des vociférations de la multitude, ils furent jetés en prison jusqu'au retour du gouverneur. On devait être alors au mois de mai ou d'avril. L'arrivée du gouverneur, que plusieurs pensent avoir été Septime-Sévère le futur empereur, marqua l'ouverture de l'instruction légale de la cause. Vettius Epagathus, jeune homme d'une illustre naissance, se présenta courageusement au pied du tribunal, offrant de défendre les accusés; mais le juge refusa de l'entendre, et, sur sa déclaration qu'il était chrétien lui-même, il fut mis au nombre des confesseurs. On sait que, par un étrange renversement des notions reçues en matière d'instruction criminelle, la procédure romaine, dans les causes de christianisme, avait pour but d'arracher aux accusés la négation, et non l'aveu de leur prétendu crime. La violence des tortures juridiques employées à cette fin fut telle alors, que plusieurs malheureux y cédèrent; plus tard, ramenés par les larmes et l'exemple de leurs frères, ils réparèrent noblement le scandale, et

conquirent eux aussi la palme. En attendant, de plus courageux remplissaient les vides causés par ces défections momentanées; car les arrestations continuaient tous les jours, et aussi la torture. Descendus des chevalets le corps en lambeaux, les saints confesseurs étaient mis aux ceps dans les cachots, en attendant une comparution nouvelle; mais les souffrances de la prison étaient si grandes à elles seules, que beaucoup y moururent, comme le bienheureux Pothin, dont le grand âge et l'épuisement ne purent supporter plus de deux jours les privations de cette demeure affreuse.

D'autres, au contraire, semblaient puiser dans la prison et les tourments une force inconnue. Lorsque, le moment arrivé d'un nouvel interrogatoire, les geôliers croyaient n'avoir à traîner sur la place publique que des mourants incapables de se porter eux-mêmes, il se trouvait que les plaies reçues la veille avaient guéri celles des jours précédents. Les confesseurs s'avançaient rayonnant d'une douce allégresse, étonnant tous les yeux par la majesté et la beauté de leurs traits; leurs chaînes étaient comme l'ornement de l'épouse qui resplendit sous l'éclat de ses bracelets d'or; la bonne odeur du Christ s'échappait d'eux en toute vérité, et d'une manière si frappante pour les sens eux-mêmes, que plusieurs les croyaient parfumés d'un parfum terrestre. Dans ces préliminaires juridiques de la question préventive, plus terribles que le martyre même, on vit briller entre tous le néophyte Maturus, à peine sorti du bain sacré, et déjà l'égal des athlètes vieillis dans l'arène; Attale de Pergame, que l'éclat d'une illustre origine n'avait point empêché de quitter son pays pour devenir sur les rives du Rhône la colonne de l'Eglise ; Sanctus enfin, diacre de Vienne,

à qui la violence et la variété de ses tourments auraient valu la première palme, si le Dieu des humbles et des petits n'eût exalté au-dessus de toutes ces illustrations de la naissance, de la hiérarchie sacrée, du martyre même, Blandine l'esclave, dominant l'héroïque phalange où elle trône comme une mère au milieu de ses fils. Arrêtée des premières avec sa maîtresse, qui parcourut vaillamment, elle aussi, la carrière des supplices, Blandine, pareille à une plante délicate et fragile, semblait si faible de corps, que tous tremblaient qu'elle ne pût résister au premier effort de l'ennemi. Mais on vit ce que peut sur un corps débile la force d'âme qui vient du Christ. Sur cet être si frêle les bourreaux épuisèrent leur science et leurs forces, se succédant depuis l'aube jusqu'au soir; et, vaincus, à bout de leurs cruels secrets, ils déclarèrent que c'était merveille si la vie restait dans un corps disloqué à ce point, déchiré, troué de toutes parts, quand un seul des tourments qu'il avait subis aurait dù lui donner la mort. Mais la bienheureuse ranimait dans la confession de la foi ses forces et son courage; on eût dit qu'elle trouvait nourriture, repos, impassibilité, dans ces mots que la question pouvait seuls obtenir d'elle: « Je suis chrétienne, et il ne se fait point de mal parmi nous. >>

Cependant le gouverneur, jugeant la cause suffisamment instruite, se mit en devoir de prononcer la sentence. Il espérait toujours néanmoins que la mort de quelques confesseurs ébranlerait les autres, et commença dans ce but par condamner aux bêtes Maturus, Sanctus, Attale et Blandine. A cette occasion, usant de la haute juridiction que lui donnait son titre de légat impérial, il accorda au peuple un jour de fête dont l'immolation des

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