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CORRESPONDANCE INEDITE DE CH. NODIER.

Lettre écrite en octobre 1827 sur la publication du
COMBAT DES TRENTE BRETONS. (1)

Tout le monde sait que pendant trois siècles nous avons été religieusement Grecs en littérature et en histoire. Des pédans, dont le nom même est devenu ridicule, avoient donné cette étrange impulsion à notre génie national, des hommes du goû le plus pur et de l'esprit le plus cultivé s'y étoient livrés avec un abandon plus étrange encore tout sembloit annoncer que nous suivrions jusqu'à la fin la trace de nos devanciers, et l'école d'Alexandrie étoit arrivée déjà à la suite de l'école d'Athènes, quand une révolution inopinée nous a ramenés d'un peu loin aux idées de la patrie. Nous nous sommes avisés tout à coup que nous n'étions pas tombés, comme les pierres de Pyrrha, sur un sol sans souvenirs, que nous avions des aïeux, des monuments, une religion, et que, chose merveilleuse, il y avoit dans tout cela de la grandeur, de l'héroïsme et de la poésie. Quel fut l'étonnement, grand Dieu ! d'une génération que j'ai connue, quand on lui apprit qu'il existoit des constructions bien plus anciennes, bien plus solennelles que les pyramides; qui attestoient un état de civilisation bien antérieure au siècle du roi Cheops et de la courtisane Rhodope; qui avoient exigé des travaux mille fois plus incompréhensibles, et tels que l'imagination du peuple les attribuoit encore à une espèce intermédiaire entre Dieu et l'homme; et que ces merveilles inconnues se trouvoient dans le monde connu, en Europe, en France, à cent lieues de Paris! C'étoit peu. Il fallut convenir que le moyen-âge lui-même, si long-temps appelé barbare, avoit lutté de grandeur et d'imagination, dans le plan et l'exécution de ses édifices, avec les chefs-d'œuvre des

(1) Voyez le catalogue de la neuvième série 1850. n. 66.

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Grecs, et qu'il l'avoit emporté sur eux peut-être par une ap-propriation plus parfaite d'expression au sentiment religieux du christianisme; qu'il étoit plus vaste, plus magnifique, plus imposant dans l'ensemble de ses compositions; plus varié, plus ingénieux, plus élégant dans leurs détails, et que l'art de faire le grand, secret incontestable de ces sauvages qui sembloient bâtir dans l'infini et pour l'éternité, valoit bien celui de cette science perfectionnée qui étoit parvenue à réduire le grand aux proportions du petit, et qui s'applaudissoit de resserrer l'immensité dans un tour de compas.

Ces impressions réveillèrent celles de l'histoire. On se demanda tout à coup pourquoi les Druïdes avec leurs forêts mélancoliques et leur gui sacré, pourquoi les prêtresses avec leurs couronnes d'épis et leurs serpes d'or, avoient moins occupé nos poètes que l'Hiérophante et la Sibylle. Nous connoissions les Volsques et les Veïes, et les Albins et les Sabins; et la poésie françoise se taisoit sur les Eduens et sur les Sequanois. On nous apprenoit comment César avoit été vainqueur à Pharsale, et non pas comment il avoit été vaincu à Gergovia, près de Clermont. On faisoit des vers à la gloire de nos conquérants dans le pays d'Arioviste. N'imaginez pas qu'il s'agit dans ces écoles où le nom d'une femme jeune et pure fait doublement palpiter le cœur, de Jeanne Hachette ou de Jeanne d'Arc; il n'y étoit question que de Lucrèce ou de Clélie, noms glacés s'il en fut jamais pour l'âme la plus accessible à toutes les impressions. Si l'on demandoit un fait d'armes héroïque, on nous citoit les Horaces et les Curiaces, ou d'autres vieilleries équivoques, illustrées par nos propres poètes, contestées souvent par les critiques de l'antiquité, mais dont on s'occupoit exclusivement au collége dans le pays où s'est livré le combat des Trente. Il est vrai que ce combat des Trente ne décidoit que d'une partie de notre gloire et de nos libertés, qu'il n'y alloit de rien moins dans la fable de Tite-Live que de consacrer l'usurpation d'un village classique, volé par la ville éternelle, il y a environ trois mille ans, comme pour préluder

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a l'asservissement du monde. A ce grand intérêt près, de la chûte d'une bicoque disputée entre deux familles, on convenoit que notre chronique ne manquoit pas d'intérêt et de majesté; que le stratagême de guerre de Guillaume de Montauban étoit plus hasardeux et plus noble que la défection d'assassin de l'aîné des Horaces, et que la Cour des Dames, convoquée pour distribuer le prix d'honneur entre les nobles chevaliers, offroit à l'imagination une scène plus poétique et plus gracieuse que le hideux procès d'un fratricide; mais on se gardoit bien d'avancer hautement de pareilles hérésies. Il a fallu toute la licence d'une époque où l'amour de la solide instruction est devenu contagieux, pour qu'on osât parler des souvenirs de la France et d'y trouver quelque gloire; heureusement le premier pas est fait, et la pensée nationale ne se laissera déposséder ni de ses acquisitions ni de ses héritages.

Les recherches des philologues, les travaux des typographes, l'élan de la jeune littérature, ont beaucoup contribué à cette conquête. Nous ne parlerons aujourd'hui que des premiers, ou pour mieux dire nous ne parlerons que du Combat des Trente, publié par M. Crapelet, parce que c'est incontestablement le specimen le plus curieux de ce nouveau genre de productions qui enrichit depuis peu d'années nos bibliothèques. Cette pièce, extraite avec un soin sans doute fort religieux, et par d'excellents amateurs, MM. de Fréminville et de Penhouet, d'un manuscrit inexploré de la Bibliothèque du roi, parut en 1819 à Brest, en une brochure de trente-neuf pages, que je crois tirée à fort peu d'exemplaires, car la connoissance ne m'en étoit pas parvenue. On conçoit aisément que la difficulté et l'embarras des transcriptions, à une si grande distance de la capitale, aient occasionné dans cette édition, d'ailleurs si rare, nombre de ces erreurs qu'il est presque impossible d'éviter, à Paris, même dans la meilleure imprimerie, et quand on a le manuscrit sous les yeux; l'heureuse découverte de M. de Fréminville avoit donc besoin d'être consacrée par une édition plus correcte, plus riche, plus monumentale, et qui

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appuyât d'une autorité authentique et incontestable le témoi-. gnage historique de d'Argentri, qui ne se fardoit guère au temps où il écrivoit que sur un livre contemporain, faict en mauvaise rythme. » Aujourd'hui son récit ne laisse plus de doute.

S'il est devenu inutile de recommander à un lecteur françois ces traditions pittoresques et animées de la vieille histoire de France, qui vivent dans les poèmes et dans les chroniques, il n'est guère plus nécessaire d'insister sur le mérite des publications de M. Crapelet, sur le goût de saine critique et de profonde érudition qu'il porte dans toutes ses entreprises, sur l'admirable perfection de ses presses déjà depuis longtemps célèbres, et dont il maintient avec tant d'éclat la renommée héréditaire. M. Crapelet figure trop haut parmi les notabilités de cette époque, où l'amour du bon savoir et des travaux utiles fait les notabilités les plus essentielles et les plus durables, pour que l'approbation d'un amateur obscur puisse ajouter quelque prix à ses triomphes. La succession des Etienne, des Morel, des Turnèbe, des Vascosan, vaut mieux que tous les éloges, et peu de personnes peuvent la lui disputer dans la typographie pour le choix des ouvrages et pour la beauté de l'exécution. Ses types gothiques sont d'un goût remarquable, quoique susceptibles d'être améliorés encore et appropriés avec plus d'exactitude aux époques dont ils représentent les événements; mais on conçoit trop bien que cette appropriation si multiple, si variée, se dérobe aux facultés de la plus riche industrie.

Le Specimen fac-similaire du poème est ce que j'ai vu de plus extraordinaire en ce genre.

Je crains qu'il ne fasse regretter aux amateurs de l'ancienne typographie qu'un pays où l'on a conservé le secret d'une telle industrie ait renoncé à son usage, et que les chefs-d'œuvre des anciens et des modernes soient livrés à la destruction et à l'oubli sur ce chiffon spongieux, sans corps, sans consistance,

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sans durée, qu'on appelle du papier vélin, et qu'on se croit autorisé à faire aussi mauvais, aussi altérable que possible au tact, à l'air et à l'eau, moyennant qu'il n'ait ni pontuseaux, ni vergeures. Le papier vélin de M. Crapelet ne présente pas ces inconvéniens, parce qu'un homme tel que M. Crapelet, qui ne travaille point pour sa fortune, et qui n'a en vue que l'honorable gloire de bien faire, n'emploie que des matériaux excellents; mais il est vrai de dire que ces matières premières qui reçoivent et qui transmettent la pensée de l'homme, ont beaucoup perdu de leur valeur depuis quelques centaines d'années, et que les industriels qui nous redonneront l'encre brillante de Jenson ou de Lavignia, et les papier fermes, élastiques et sonores des vingt premières années de l'imprimerie, auront bien mérité de l'art et de la littérature. Il faudroit seulement peut-être, pour obtenir ces résultats, encourager dignement la haute librairie et la typographie intelligente. Il n'y auroit dans ce genre d'illustration rien de si hardi, ni de si nouveau. Guttemberg fut créé gentilhomme de la chambre de l'électeur de Mayence; Mentel reçut de l'empereur Frédéric III des lettres de noblesse et un blason d'honneur. Le pape Sixte IV investit ce Jenson, dont je parlois tout à l'heure, du titre et des priviléges de comte Palatin.

Si une pareille impulsion pouvoit jamais se renouveler, ce seroit du ministère de M. de C. que nous aurions quelque droit de l'attendre; je ne vois pas, et le journal où j'écris m'en est témoin, qu'il se soit concilié les écrivains qui adjugent en vers ingénieux et en prose spirituelle les palmes d'une renommée hebdomadaire; mais il n'y a point d'opposition qui ne reconnoisse l'heureuse influence que son savoir et sa protection ont exercée sur les recherches d'érudition et de littérature positive, si malheureusement dédaignées depuis la fin du dix-septième siècle. Nous lui devons en grande partie les utiles publications de nos chroniques, les éditions précieuses et correctes de nos vieux romanciers, données par les estimables MM. Méon et Pluquet, lennes études de M. Robert sur

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