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Vers la fin de 1891, le ministre des affaires étrangères des Pays-Bas, M. Van Tienhoven, était saisi par M. Asser, son ancien collègue à l'Université d'Amsterdam, d'une proposition tendant à la réunion d'une Conférence diplomatique chargée de poser les bases d'une entente internationale pour la codification du droit international privé. Cette fois, les choses ne devaient pas se borner à une manifestation d'intention, mais devaient ètre poussées jusqu'au bout avec une ardeur, une tenacité qui font grand honneur au gouvernement néerlandais, pour avoir fait sienne la proposition, mais surtout, il faut le dire, à M. Asser. Il était bien préparé au rôle qu'il allait jouer par ses travaux personnels, son enseignement dont un excellent traité avait attesté le caractère à la fois élevé et pratique (1), sa profession d'avocat dans une ville aussi importante, aussi commerciale qu'Amsterdam, son titre de conseiller du ministère des affaires étrangères. Il avait été associé au travail de Mancini à l'Institut de droit international et avait signé avec lui le rapport d'une commission chargée de formuler les principes pouvant servir de base à la codification du droit international privé. Il avait ensuite participé aux études que l'Institut de droit international a poursuivies dans le sens indiqué, dès 1874, par le rapport de Mancini. Depuis 189 M. Asser s'est voué avec une ardeur infatigable à l'œuvre de la codification, il a présidé les diverses Conférences internationales qu'il a su animer de son zèle, de sa foi dans la réussite qui, au début, paraissait bien improbable même dans son pays. Son intelligence vive, sa parfaite connaissance de plusieurs langues, son esprit de courtoisie, convenaient admirablement à son rôle de directeur de travaux difficiles, poursuivis par des hommes différents de nationalité, de tendances, d'habitudes d'esprit. Il ne s'est pas contenté de diriger; dans maintes circonstances, il a écarté des difficultés spéciales par des propositions personnelles très ingénieuses, toujours inspirées

(1) Eléments de droit international privé, édition française, par Rivier. NOUVELLE SÉRIE 2

LXI.

par un vif désir de concilier les intérêts en présence. Si les Conférences de La Haye ont, comme j'essaierai de le prouver, bien mérité de la civilisation, en mettant un peu plus de justice dans les relations internationales de droit privé, c'est incontestablement à leur éminent Président qu'elles le doivent surtout et il n'est que juste qu'il soit à l'honneur après avoir été constamment à la peine. C'est un modeste lieutenant qui, après avoir eu le plaisir de combattre sous ses ordres, est heureux de lui rendre ce témoignage d'admiration et de reconnaissance.

Il y a lieu de noter aussi le rôle utile que jouent les Etats d'importance politique secondaire dans le règlement des relations internationales. Ils excitent moins les susceptibilités si faciles à éveiller en toute matière, ils ont plus de persévérance, parce que les questions purement politiques les détournent moins des projets une fois entrepris. La Suisse et la Belgique sont l'àme de diverses Unions internationales qui ont rendu et rendent encore de grands services à l'ensemble des Etats. Grâce à M. Asser, soutenu par les divers ministres des affaires étrangères qui se sont succédé à La Haye depuis 1893, les Pays-Bas ont également bien mérité de la communauté européenne dans une entreprise particulièrement ardue.

Les vues du gouvernement néerlandais s'étaient modifiées depuis 1874. Dans le mémoire communiqué aux puissances en 1892, il appelait principalement l'attention sur la nécessité, de plus en plus ressentie, de règles précises et uniformes pour la solution des conflits de lois, surtout en ce qui concerne le droit des personnes, les droits de famille et de succession, ainsi que plusieurs parties de la procédure civile. Le mémoire n'omettait pas cependant la question de l'exécution des jugements, mais il la plaçait au second plan. Il était accompagné d'un programme, rédigé en forme de questionnaire, comprenant les Principes généraux (état et capacité des personnes, biens et droits réels, forme

des actes) et les Droits de famille (mariage, paternité et filiation, adoption, puissance paternelle, tutelle, interdiction, successions et testaments). Les principaux problèmes à résoudre étaient ainsi indiqués, mais aucune solution n'était proposée. La conséquence de ce mode de procéder, qui témoignait de la discrétion et de la réserve du gouvernement néerlandais, était que les délégués des gouvernements ne pouvaient avoir que des instructions fort larges et étaient en réalité laissés à eux-mêmes. C'est seulement lors de l'ouverture de la Conférence que les délégués reçurent un avant-projet résumant les vues du gouvernement néerlandais sur les Dispositions générales qui pouvaient être adoptées,

Le gouverment néerlandais avait, semble-t-il, invité à la Conférence presque tous les États de l'Europe. L'invitation pouvait être facilement acceptée, puisqu'il s'agissait non d'établir une législation uniforme, mais d'aviser au règlement de conflits qui se présentent dans tous les pays et qui partout amènent des résultats fâcheux. On ne proposait pas non plus d'arrêter des résolutions définitives, mais seulement de rechercher s'il y avait un terrain d'entente. Comment refuser d'échanger des idées, de s'éclairer mutuellement? Quel inconvénient cela peut-il entrainer? Quels avantages peuvent au contraire en résulter même en l'absence de toute entente formelle! Ces considérations n'ont cependant pas dirigé la conduite de tous les pays invités. Le 12 septembre 1893, étaient réunis à la Haye des représentants des pays suivants: Allemagne, Autriche, Belgique, Danemark, Espagne, France, Hongrie, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, Portugal, Roumanie, Russie et Suiss. La Serbie n'avait pas répondu et la Grèce s'était excusée; la Suède et la Norvège devaient se faire représenter en 1894. Ce qu'il convient surtout de remarquer, c'est l'abstention de la Grande-Bretagne, motivée officiellement par la nature spéciale du droit anglais. C'est un peu sommaire et dédaigneux. Il est permis de se demander à qui profite cet isolement insulaire affirmé et pratiqué. A diverses reprises,

sont parties d'Angleterre les plaintes les plus vives au sujet de mariages qui y avaient été célébrés, qui y étaient tenus pour réguliers, alors que les tribunaux du pays auquel appartenaient les époux les déclaraient non valables: des plaintes de ce genre se sont même produites au Parlement. Les autorités anglaises marient les étrangers sans se préoccuper aucunement de la loi de ces étrangers et elles s'étonnent, se scandalisent même de ce que, dans la patrie de ces étrangers, on ne considère pas que le passage du détroit suffise pour s'affranchir de prescriptions gênantes. Cette situation, si fâcheuse à tous les égards, aurait pu donner lieu à un échange d'observations instructives pour tout le monde et les délégués britanniques auraient pu en faire leur profit dans la mesure où ils l'auraient jugé bon, puisqu'il n'était pas question de prendre un engagement quelconque. Le Foreign Office n'a pas jugé que ce fût utile. Il est cependant assez curieux de noter que lorsqu'en 1881, le gouvernement italien, par l'organe de Mancini, fit des ouvertures pour un accord sur certains conflits de lois, la réponse du gouvernement anglais n'avait pas été aussi intransigeante. Lord Granville avait indiqué comme pouvant être l'objet d'une entente les questions de nationalité, de mariages mixtes, de domicile, de successions, d'exécution des sentences émanées des tribunaux étrangers (1). J'aurais à faire des réserves sur cette énumération, mais je me borne à relever que la possibilité d'une entente n'était pas écartée. Y aura-t-il un jour un revirement en ce sens ? M. Asser paraît l'espérer. Il convient, du reste, de remarquer que certains jurisconsultes britanniques ne se tiennent pas à l'écart du mouvement des idées en cette matière, y participent même, notamment dans les délibérations de l'Institut de droit international. Peut-être finiront-ils par amener un rapprochement officiel entre leur patrie et les pays de l'Europe continentale.

(1) Cf. Journal de Clune 1864t,.

Dans le discours prononcé par le Ministre des affaires étrangères, M. van Tienhoven, à l'ouverture de la Conférence, je relève un passage caractéristique de l'esprit dans lequel se sont poursuivis ses travaux. Après avoir constaté la communauté des principes essentiels servant de bases aux diverses législations des pays représentés, l'existence de nombreuses conventions réglant des intérêts communs, et exprimé l'espoir de la réussite de l'œuvre entreprise, le Ministre ajoutait: Il y a en outre une raison d'un ordre plus élevé qui nous confirme dans cette confiance, c'est qu'au-dessus des souverainetés des peuples s'élève la souveraineté de la justice et du droit devant laquelle s'inclinent toutes les nations civilisées. Il ne s'agit pas en effet ici d'une conséquence découlant de la Comitas gentium, ni d'une nécessité créée exclusivement par des intérêts matériels, mais ressortant du principe primordial de justice qui veut qu'à chacun soit attribué ce qui lui revient, jus suum cuique. Le triomphe de ce principe, appliqué à toutes les situations, dans tous les pays, n'est qu'une question de temps. Voilà bien l'idée fondamentale de la matière, trop longtemps obscurcie et, chose curieuse, spécialement dans le pays représenté par l'orateur. D'après la théorie formulée par les jurisconsultes hollandais de la fin du xvne siècle, les États, à raison de leur souveraineté, ont le droit d'écarter de leur territoire les lois étrangères; il convient cependant qu'en certains points chaque nation en tolère l'application, suivant les expressions de Jean Voet, ex comitate, liberaliter et officiose ultro citroque, nullo alioquin ad id jure obstricta. L'application des lois étrangères serait donc une affaire de courtoisie, non de justice; elle résulterait d'une concession gracieuse de chaque législateur. C'est encore l'idée qui prévaut dans la jurisprudence anglo-américaine (1). Elle est heureusement répudiée par la plupart des juriscon

(1) Des jurisconsultes anglais, comme Sir Walther Phillimore, traitent du droit international privé sous le nom de Comity.

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