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la science nous avons tenu par la foi la plupart des vérités que nous tenons aujourd'hui par l'expérience et nos propres lumières. Il est même à remarquer que souvent la science a d'autant mieux succédé à la foi que celle-ci a plus été complète et l'esprit plus docile. Ensuite, alors même que l'autorité n'est pas assez établie pour mériter créance, elle nous instruit encore en éclairant nos doutes ; elle ouvre des avis indispensables et prodigue maints conseils prudents. Il faut donc l'écouter alors même qu'on ne peut la suivre. Bref, bien que l'autorité ne donne pas la science par elle-même, cependant elle doit être consultée assidûment par le savant et surtout par le philosophe, s'il ne veut se condamner à de graves erreurs.

288. Critique de Descartes et de Cousin. C'est pourquoi nous nous séparons de Descartes, qui affecte, dans son Discours de la Méthode, d'ignorer les opinions d'autrui et de philosopher seul, sans songer même qu'il y a un genre humain; parce que l'évidence personnelle est le dernier fondement de toute philosophie, il oublie, il ignore tout ce qui ne la lui donne pas. On connaît les conséquences de cette méthode.

Cousin et les autres éclectiques modernes l'ont corrigée en partie : ils ont compris que le philosophe devait s'éclairer de toutes les opinions. De là tant de travaux, souvent remarquables, sur l'histoire de la philosophie. La juste mesure a même été dépassée et l'on s'est préoccupé de l'histoire beaucoup plus que de la doctrine.

Cependant l'école de Cousin, malgré cette exagération, n'a point accordé aux traditions et à l'autorité tout ce qu'elles méritaient. Elle a étudié assidûment, il est vrai, les philosophes anciens et modernes, mais fort peu les scolastiques; elle n'a jamais pris conseil sérieusement de l'autorité de l'Eglise. Elle s'est condamnée d'avance au rationalisme. Elle aurait dû cependant, au lieu de jeter le discrédit sur la théologie, s'éclairer impartialement de toutes les traditions et avec d'autant plus de soin qu'elles

sont plus respectables et qu'elles occupent une plus grande place dans l'histoire de l'humanité. Expliquons cette pensée.

L'esprit humain ne possède toutes ses ressources qu'à la condition de tirer le meilleur parti du milieu où il se développe naturellement. Ce milieu c'est la société présente, qui elle-même ne se sépare pas de son passé et des traditions dont elle tient les derniers anneaux. Le philosophe doit donc écouter ses contemporains et ses contradicteurs; il doit écouter aussi toutes les grandes voix de l'histoire. Et si l'on nous objecte que la philosophie est une œuvre d'indépendance et de raison, et non pas un acte d'obéissance, nous répondrons que la raison se doit à elle-même de consulter toutes les autorités, surtout les plus hautes et les mieux écoutées; son affranchissement est à ce prix; vouloir juger sans prendre conseil, c'est renoncer à d'indispensables ressources, c'est se désarmer avant de combattre et courir au-devant d'une défaite certaine..

L'homme moral, aussi bien que l'homme physique, est un être sociable ; plus encore que la lutte contre les maux sensibles, la lutte contre l'ignorance et l'erreur est celle de l'humanité tout entière, dans tous les temps et dans tous les lieux ; la raison, le jugement, le bon sens, toutes les facultés ne se cultivent, ne se développent et ne s'affermissent, ne trouvent tous leurs objets, toutes leurs inspirations et toute leur fécondité que dans la société, au contact répété d'autres esprits et dans un commerce assidu avec le passé, sans séparer jamais du passé profane le passé religieux.

289. La philosophie traditionnelle et chrétienne. C'est pourquoi la philosophie, sans cesser d'être indépendante et autonome, et précisément pour acquérir cette indépendance et cette autonomie, s'éclairera de toutes les traditions, parmi lesquelles celle de la religion chrétienne. Partie d'un examen impartial, elle sera amenée

par l'évidence même à être traditionnelle, c'est-à-dire qu'elle justifiera les meilleures traditions et les plus saines doctrines qui prévalurent toujours dans le passé : philosophia perennis (1). La philosophie traditionnelle, à son tour, se rencontrera tôt ou tard avec la scolastique, et celle-ci, forte de ce concours, toujours attendu, justifiera pleinement la philosophie chrétienne, en montrant le parfait accord de la raison avec la foi, de l'évidence personnelle avec toutes les autorités légitimes. (Cf. no 17.)

(1) Cf. Louis BAILLE, Philosophia perennis (Etudes 20 janvier 1908, p. 145-166.)

CHAPITRE XV

DES UNIVERSAUX

Revenons maintenant sur les trois opérations fondamentales de l'esprit humain : l'appréhension (avec l'idée, qui en est le moyen), le jugement et le raisonnement. C'est d'elles que nous parlerons encore, en traitant des universaux ou idées générales, des premiers principes ou jugements suprêmes et des sciences, qui ne sont que des systèmes de raisonnements.

290. Le traité des universaux vient en logique. Parlons d'abord des universaux. Pourquoi en traiter en logique plutôt qu'en métaphysique? Le cardinal Zigliara pense devoir traiter des universaux en métaphysique. La seconde partie de la logique, dit-il, doit se borner aux critériums; aussi saint Thomas traite-t-il des universaux dans son opuscule de Ente et essentia, qui est métaphysique. Mais on peut répondre que les universaux sont des critériums tout aussi bien que l'idée claire de Descartes et l'être idéal de Rosmini, auxquels on ne refuse pas la qualité de critérium; les universaux sont des critériums en ce sens que nous voyons tout par nos idées. Ensuite, si saint Thomas traite des universaux dans son opuscule de Ente et essentia, c'est en tant qu'il considère l'être et l'essence logiques (1).

(1) Voici, en effet, ses paroles : « Quia parvus error in principio magnus est in fine, secundum Philosophum, ens autem et essentia sunt quæ primo in intellectu concipiuntur, ut dicit Avicenna, ideo primo... dicendum est quid nomine essentiæ et entis significetur et quomodo in diversis inveniantnr, et quomodo se habeant ad intentiones logicas, scilicet genera, species et differentias. »

D'ailleurs voici nos raisons de traiter ici des universaux. L'universel considéré formellement, c'est-à-dire en acte, en tant qu'un, est un être logique ou de raison, et non pas réel. Il faut donc en traiter en logique. Si l'universel appartient à la métaphysique par sa matière, il appartient à la logique par sa forme, c'est-à-dire par ce qui le détermine et le rend tel. Aussi saint Thomas dans son opuscule des Universaux, écrit-il ces paroles : «Les autres sciences (à part la logique) ne considèrent pas l'universel sous son premier aspect, car elles ne considèrent pas ce qui le rend formellement tel » (1).

291. Définition et division de l'universel. L'universel est ce qui, de plusieurs choses n'en fait qu'une, ou, plus clairement encore ce que l'on trouve de commun en plusieurs choses.

Il est logique, formel, réflexe, actuel, ou bien métaphysique, matériel, direct, en puissance; car tous ces termes signifient au fond la même chose et la même opposition. L'universel logique, c'est l'universel en tant que tel, c'est à-dire formel, réfléchi: ainsi les genres, les espèces, tous les êtres abstraits ou de raison. L'universel métaphysique, c'est l'universel réel, objectif, sur lequel se porte d'abord l'esprit avant qu'il prenne sa propre pensée pour objet. Il y a d'autres distinctions plus ou moins subtiles, mais qui toutes rentrent dans ces deux distinctions fondamentales. Ainsi l'universel en tant qu'il existe dans les individus, c'est l'universel métaphysique ; de même l'universel considéré concrètement: par ex. l'homme, dit substance seconde par rapport aux individus, Pierre ou Paul, qui sont dits substances premières. Au contraire, l'universel considéré dans l'esprit ou abstraitement, c'est l'universel logique par ex. l'humanité, prise comme étant ce par quoi les hommes sont de l'espèce humaine.

(1)« Aliæ scientiæ (præter Logicam) non considerant universale sub prima ratione universalis, cum non considerent illud quod facit formaliter universale. >>

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