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nous y convie; le désir inné du bien-être, du progrès; le besoin de nous répandre, de laisser sur la terre que nous foulons la trace de notre passage; tout la fatigue de l'inertie, les joies de l'activité, nos instincts les plus puissants, la nature, Dieu lui-même; et cependant le travail est chose maudite; pour le stimuler, il faut le froid, la faim, la misère, la peine forte et dure. Évidemment il y a ici une contradiction que l'économie politique est appelée à faire disparaître.

Elle semble l'avoir compris, du reste, en s'efforçant de faire accepter par tous les esprits les moyens qui, tout en multipliant les produits du travail, lui enlèvent ce qu'il peut avoir de pénible ou de rebutant; elle a salué avec raison, dans l'application de la science à l'industrie, moins encore une augmentation prodigieuse de la fortune publique que l'émancipation du travailleur, son élévation dans l'échelle sociale, l'économie de ses forces, la garantie de ses loisirs. Etonnée de la résistance qu'il opposait au concours des forces naturelles, elle a employé pour la vaincre le raisonnement et l'ironie en vain!

L'intérêt industriel, il est vrai, d'accord avec celui de la consommation, remporte des victoires successives et triomphe sur toute la ligne; l'air, l'eau, la vapeur, l'électricité, suppléent la force musculaire, et épargnent les sueurs humaines; mais à chaque découverte nouvelle, la lutte recommence, et le travailleur se plaint avec amertume d'être évincé du champ qu'on cultive pour lui.

Etrange erreur, dit-on, qui subordonne le but au moyen, qui, pour être conséquente avec elle mème, après avoir brisé la machine, rejeterait P'outil, et qui en viendrait à substituer à la locomotive le transport à dos d'homme. Erreur inexplicable en effet, si ce transport n'était l'unique valeur échangeable de celui qui en réclame le maintien; si la locomotive, dans sa marche triomphale à travers le monde, n'était destinée à broyer sous ses roues le portefaix inutile.

Sans doute, cette ignoble industrie, son unique gagne-pain, sera remplacée par une autre dont les ramifications donneront à des milliers de ses semblables une existence plus large et plus heureuse; mais vouloir qu'il se résigne sans murmure à cette expropriation de la vie, pour cause d'utilité publique, c'est aussi par trop demander à l'abnégation humaine

Quel problème donc plus sérieux et plus élevé l'économie politique peut-elle se proposer, que la conciliation des intérêts du progrès avec le respect des droits acquis? problème d'autant plus important à résoudre qu'il se présente et se présentera sans cesse! L'incendie des meules, le bris des machines, le posent avec l'ignorante brutalité du désespoir, et c'est devant les cours d'assises que se dénoue alors le triste drame. L'enquête à jamais mémorable de la chambre des communes, déclarant en 1840 qu'il y avait « 400,000 fileurs à la main dont l'occupation habituelle se trouvait anéantie, et dont on n'avait besoin nulle part, » l'a soumis à une juridiction plus élevée, celle de la science.

D'autres questions non moins urgentes se pressent à sa barre et en réclament des arrêts impartiaux et réfléchis, qu'elle est seule habile à rendre.

Plus on examine les relations économiques, plus les anomalies abondent.

Si, d'un côté, nous voyons le travailleur repousser les moyens qui rendent son travail plus facile et plus salubre, et qui, en lui procurant à un prix moins élevé tous les objets de sa consommation, rehaussent d'autant son salaire réel, nous voyons, d'un autre, l'offre de travail considérée comme un embarras dans un pays si pauvre que le revenu moyen de ses habitants n'est que de 63 centimes par tête et par jour.

Ici, j'écarte à dessein toute considération morale ou religieuse, pour ne voir que le côté économique de la question; l'intérêt de la production, non celui du producteur. Je ne dis pas, avec Montesquieu, « que l'État doit à tous les citoyens une subsistance assurée, la nourriture, un vêtement convenable et un genre de vie qui ne soit pas contraire à la santé, » ni avec Sismondi, « qu'il faut assurer l'existence, la propriété de tout homme qui a pour seule richesse le pouvoir de travailler, et faire que cette richesse lui suffise; » je ne m'indigne pas avec le poète écossais à la vue de

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Youder poor o' erlabored wight

So abject, mean and vile

Who begs a brother of the earth

To give him leave to toil.

Le moraliste, le philosophe, le poëte voient dans le travailleur un semblable, un concitoyen, un frère; l'économiste a raison de n'y voir qu'un être en chair et en os qui, en raison de certaines propriétés de cerveau, dont le fer et le bois sont dépourvus, ne saurait être complétement remplacé, et dont les forces, tous frais d'entretien remboursés, fournissent toujours un excédant à la production; et j'avoue ne pouvoir comprendre comment il se fait qu'on laisse ces forces sans emploi, surtout quand on reste obéré par les frais d'entretien.

Ce n'est pas le droit au travail qui m'occupe, mais bien son utilitė; je comprendrais à la rigueur que l'instrument, qui sait qu'on ne le brisera pas, quand même, refusât de fonctionner; mais non que ceux à qui incombe la charge onéreuse de le conserver n'en réclament pas en revanche les services qu'il est apte à leur rendre ; je concevrais surtout, si l'oisiveté est, comme quelques-uns le prétendent, le bonheur suprême, qu'on préférât le pain de l'aumône au pain obtenu par le travail; mais non que la société offre le premier et refuse le second. Si l'homme pouvait être mis au rebut comme une machine qui coûte plus qu'elle ne rapporte, rien de plus simple que de le laisser inactif; mais comme le

calcul donne un résultat tout opposé, et que dans tous les cas, qu'il en ait le droit ou non, il est convenu qu'il doit vivre, pourquoi, je le demande au plus simple bon sens, ne pas lui fournir les moyens de fonctionner?

Que la science, comptant sur la puissance de l'initiative individuelle, laisse à chacun la responsabilité de sa propre destinée, et proclame dans toute sa rigueur la doctrine de chacun pour soi, cela se conçoit; c'est une expérience à tenter; mais que l'État inscrive parmi ses lois le droit à l'assistance, et n'y inscrive pas à côté son droit au travail des assistés, voilà ce que je ne puis concevoir; - je dis son droit, quoique par une étrange interversion de rôles, ce soit l'individu qui offre, non l'État qui demande.

J'avoue en outre que les objections que soulève ce droit réclamé par l'individu, et que M. Baudrillart a résumées dans une étude particulière, ne me paraissent pas tout à fait sans réplique; ni les difficultés qu'il signale plus insurmontables que d'autres dont on dédaigne quelquefois de tenir compte.

Vous ne pouvez, dit-on, donner au travailleur que l'industrie privée laisse oisif le genre de travail auquel il est accoutumé, puisque déjà les produits que crée ce travail surabondent: cela est vrai en thèse générale ; mais une communauté peut attendre plus facilement qu'un individu l'écoulement de produits qui certes ne surabonderont pas toujours sur le marché du monde; et ce que fait un opulent manufacturier, malgré la stagnation des affaires et l'encombrement de ses magasins, pour empêcher la rouille de dévorer ses machines, on pourrait le faire, à plus forte raison, pour maintenir en bon état le personnel d'un atelier.

Vous ne pouvez non plus, ajoute M. Baudrillart, lui donner un autre genre de travail, « parce qu'il y est impropre, et qu'il y aurait une vraie barbarie à le lui imposer. » Prenons-y garde. Lorsque l'introduction des machines, la concurrence étrangère, un caprice de mode, jettent sur le pavé des milliers de travailleurs, que répond l'économie politique aux plaintes de ces êtres déclassés? « Faites autre chose. » Et, au fait, que leur dire?

« Donnerez-vous, continue l'auteur, 1 fr. 50 c. à un homme habitué à un salaire de 10 francs? » Hélas! oui; si ces 10 fr. il ne les gagne plus, et si vous n'avez que 1 fr. 50 c. à lui donner. Du reste, la question n'est pas dans le chiffre du salaire, mais dans sa forme de rémunération ou d'aumône.

« Enver rez-vous un Marseillais à Strasbourg? » Sans doute, si le travail qu'on offre à Marseille est demandé à Strasbourg. « C'est la transportation, la tyrannie! » Il me semble que c'est un simple déplacement, infiniment moins douloureux que celui proposé par M. Baudrillart, lorsque, dans son chapitre sur la propriété, il dit aux cultivateurs qu'il ne manque pas de terresaux antipodes!

« C'est, dit M. Léon Faucher, une action de l'individu contre la société, et sa dernière sanction c'est la force. »

On peut en dire autant de toutes les prérogatives que l'individu se réserve à son entrée en société, de tous les avantages qu'il attend de sa soumission à la volonté collective; et ce qui distingue les pays libres de ceux où règne l'arbitraire, c'est précisément la facilité avec laquelle cette action s'exerce, et par conséquent la criminelle inutilité d'un appel à la force, ce dernier argument, non-seulement des rois, mais des peuples, cette arme que manient tour à tour l'oppresseur et l'opprimé; cette cour suprême, également propre à casser ou à faire respecter les arrêts de la justice. Si le droit au travail faisait partie de ces prérogatives réservées,— question que je n'examine point, il aurait incontestablement la force pour triste et dernière sanction.

On ajoute qu'on se prévaudrait de ce droit pour réclamer des salaires trop élevés. Ce serait un abus qu'on ne saurait invoquer contre un usage légitime; on ne peut refuser ce qui est dû, sous prétexte que plus tard on demandera peut-être ce qu'on ne doit pas.

M. Baudrillart, d'accord cette fois avec M. Proudhon, considère le droit au travail comme incompatible avec le droit de la propriété; mais ce dernier en existe-t-il moins pour être déjà soumis à des servitudes qui, dans certains cas, loin de l'affaiblir, le légitiment et l'affermissent? On n'accusera certes pas l'Angleterre de manquer de respect pour la propriété; et cependant sa législation, qui donne une première hypothèque sur la terre non-seulement aux invalides, mais aux hommes valides sans travail, se charge de plus en plus de lui rappeler les devoirs qui correspondent aux droits; et ces paroles imprudentes prononcées par un grand personnage « Je ferai ce que je voudrai de ce qui est à moi, » y furent accueillies avec un sentiment de répulsion universelle.

« Le travail exercera son droit, » dit en terminant M. Baudrillart, » où et comme il pourra. » Hélas! c'est ce qu'il tente toujours, nous ne le savons que trop; ce sont les droits contestés ou mal définis qui aigrissent les esprits et excitent à la lutte.

M. Baudrillart a consacré en outre un chapitre au droit de propriété, ou plutôt à l'origine de la propriété foncière; mais c'est ici de la métaphysique pure, sans la moindre portée pratique. Quels qu'aient été les droits des possesseurs primitifs, les possesseurs actuels ne sauraient s'en prévaloir; les vagues de la conquête ont effacé depuis longtemps jusqu'aux derniers vestiges des titres écrits sur le sol; et la succession apostolique serait plus facile à établir que la filiation territoriale. D'un autre côté, qui serait assez insensé pour rendre les paisibles et laborieux propriétaires d'aujourd'hui responsables de l'acte de fraude ou de violence commis par un conquérant de l'an 1000?

Mais, à cette exception près, l'auteur du Manuel, comme on le voit, n'aborde les questions de droit et de devoirs que par leur côté matériel, la

perturbation qu'ils pourraient amener dans les relations du capital et du travail, du gouvernant et du gouverné; et en cela il a grandemement raison. Abstractivement, elles sont du ressort de la philosophie morale et religieuse, dont les décisions souveraines et sans appel servent de pierre de touche et de contre-épreuve aux théories de l'économie politique; mais jusqu'à ce que l'arrêt soit rendu et accepté par la conscience de l'humanité, il est juste, il est bon qu'on ouvre une enquête de commodo et incommodo; bien dirigée, elle aidera à la découverte du droit. La suprême utilité, c'est la justice!

Tout en se bornant à l'étude des faits qui ont rapport à la valeur, l'économie politique se trouve en présence de phénomènes assez compliqués pour occuper toute son attention. Ici, des produits qui demandent un débouché; là, des consommateurs plongés dans le dénùment, offrant en vain, en jéchange de produits sans emploi, un travail également sans emploi, malgré l'insuffisance notoire de l'approvisionnement général; partout, et au même moment, l'encombrement et la disette. Ici la propriété fondée sur le travail; là, par suite de l'accumulation, de la transmission légitime de cette même propriété, la séparation toujours plus complète de celui qui travaille et de celui qui possède; de sorte que les paroles de M. Baudrillart, a tout le travail d'un côté, de l'autre tous les produits du travail, c'est une injustice révoltante, » s'appliquent non moins au salarié qu'à l'esclave, dans les cas nombreux le travail de la femme, par exemple - où la concurrence réduit ce salaire au minimum nécessaire à l'existence, avec cette circonstance aggravante pour le salarié, que ce minimum même ne lui est pas assuré.

Certes, la science a beaucoup fait en démontrant la nécessité d'agrandir le marché où les diverses valeurs, travail et marchandises, se donnent rendez-vous; de niultiplier et de faciliter les échanges qui s'y effectuent; beaucoup aussi, au moins par voie d'exclusion, en prouvant l'inutilité, l'ineptie, le péril de l'aumône, sous toutes ses formes, légale, publique ou privée; de cette aumône qui excite du reste de plus en plus, chez ceux qui en sont l'objet, une répugnance honorable ou une sourde irritation. Elle a fait beaucoup pour éclaircir les positions, en établissant que, dans notre société, la valeur du travail en échange ne dépend et ne peut dépendre de son degré d'intensité, de durée, d'habileté ou d'utilité sociale, encore moins des besoins du travailleur, mais bien d'une règle de proportion, dont il ne peut ni changer ni prévoir les rapports.

Il lui reste à rechercher comment, en sauvegardant les principes de liberté, responsabilité et spontanéité humaines, dont elle a démontré la puissance productive, on pourra substituer à une règle dépourvue de toute sanction morale celle de la rémunération du travailleur à raison de son apport; comment on pourra donner à chacun un intérêt dire le produit de son travail, en l'affranchissant de la nécessité de

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