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plaintif. (Remarquons qu'il est plein; et que ce mot serve de leçon aux comédiens et aux orateurs qui donnent à la plainte un accent grêle, un cri aigu, qui ne déchire que l'oreille ). L'accent de la crainte est faible, tremblant, étouffé. Celui de la violence est fort et véhément, et d'une intensité pressante et menaçante. Celui de la volupté s'exhale avec effusion; il est doux, il est tendre, tantôt brillant de joie, tantôt abattu de langueur. Celui de l'affliction, quand la pitié ne l'amollit point, a un certain caractère de gravité, et une continuité de sons monotones et soutenus avec lenteur.

Or, ajoute Crassus, le geste doit se conformer à tous ces accents de la voix, et ce ne sont pas les mais la chose et la totalité du sentiment et

mots,
de la pensée, que l'action doit exprimer.

Quant à l'expression du visage, c'est là que tout se réunit. «< Sed in ore sunt omnia. In eo autem ipso dominatus est omnis oculorum..... Animi « enim est omnis actio; et imago animi vultus est, « indices oculi... Quare oculorum est magna mode<< ratio: nam oris non est nimiùm mutanda species, « ne aut ad pravitatem aliquam deferamur. Oculi << sunt, quorum tùm intentione, tùm remissione, « tùm conjectu, tùm hilaritate, motus animorum significemus apte cùm genere ipso orationis. Est « enim actio quasi sermo corporis, quo magis mer<< ti congruens esse debet. Oculos autem natura <«< nobis, ut equo et leoni setas, caudam, aures, <«< ad motus animorum declarandos dedit. Quare in hâc actione secundùm vocem vultus valet; is

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<< autem oculis gubernatur *. » ( De Orat. III,

59.) Ce beau passage de Cicéron me rappelle ce que j'ai entendu dire d'un prédicateur jésuite appelé Teinturier, médiocre quant à l'élocution, mais qui faisait plus d'effet en chaire que les hommes les plus éloquents. << Tant que j'aurai mes yeux, disait-il, je

«

<< ne les crains pas. >>

A l'égard de la voix, Cicéron (de Orat., III, 61) observe encore que chaque voix a son medium, et que c'est dans ce ton moyen que l'orateur doit commencer, pour s'élever ensuite ou s'abaisser selon que le demandent l'accent de la nature et celui de la langue. Ceux qui n'ont pas l'oreille assez juste pour reprendre leur ton moyen ne trouvent plus dans l'élévation ou l'abaissement de la voix le même espace à parcourir; et c'est là tout simplement à quoi servait la flûte qu'employait l'orateur Gracchus **.

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.....

Mais tout dépend de la physionomie, dont le pouvoir réside surtout dans les yeux...en effet, c'est l'âme qui donne de la force et de la vérité à l'action; l'âme dont le visage est le miroir, et dont les yeux sont les interprêtes... il faut donc régler avec beaucoup de soin le mouvement des yeux : quant au visage même on ne peut en altérer les traits sans le rendre ridicule ou difforme. C'est en mettant dans ses regards de la force et de la douceur, de la vivacité ou de l'enjouement que l'on peut exprimer à la fois et la passion dont on est animé, et le caractère de son discours. L'action étant en quelque sorte le langage de corps, elle doit traduire exactement la pensée. Or la nature nous a donné les yeux pour exprimer ce que nous sentons, comme elle a destiné à la même fin les oreilles du cheval, la queue et la crinière du lion. Ainsi, dans l'action, après la voix, la physionomie est ce qu'il y a de plus puissant, et ce sont les yeux qui la gouvernent. » ( Trad. de M. Gaillard, Cic. de M. J. V. Leclerc.)

Quintilien (XI, 3) s'exprime presque de même : « Sed in ipso vultu plurimùm valent oculi, per quos maximè animus emanat. »

H. P.

** « C. Gracchus, dit Cicéron ( de Orat. III, 60.) faisait cacher der

J'ajouterai que chaque voix a aussi son étendue naturelle ou acquise, et, dans le haut comme dans le bas, une certaine échelle de tons au-delà desquels elle est forcée. Ainsi l'orateur doit connaître les facultés de son organe, et s'appliquer avec un soin extrême à ne donner jamais à sa déclamation des tons qui dans le bas seraient sourds, rauques, étouffés, ou qui dans le haut seraient grêles et glapissants à force d'être aigus. Quant à l'attitude et aux mouvements du corps, Cicéron en dit peu de chose qui nous convienne : « Status erectus et celsus.... nulla mol<< litia cervicum, nullæ argutiæ digitorum... trunco magis toto se ipse moderans, et virili laterum «< flexione, brachii projectione in contentionibus, << contractione in remissis (Orat., 18) **. » Et en effet, il est difficile de prescrire autre chose à l'orateur à l'égard du geste, si ce n'est de le modérer, et de se souvenir que, dans les mouvements mêmes les plus passionnés, il n'est pas un comédien,

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Dans l'hypothèse théâtrale, l'acteur est le personnage même qui est malheureux, souffrant, tourmenté de telle passion : l'orateur au contraire n'est le plus souvent que l'ami, le confident, le témoin, rière lui, lorsqu'il parlait en public, un musicien habile qui lui donnait le ton sur une flûte d'ivoire, et l'empêchait ainsi de trop baisser la voix, ou de s'abandonner à des éclats trop violents. » (Trad. de M. Gaillard, Cic. de M. J. V. Le Clerc ) Aulu-Gelle, I, 11, transcrit ce passage célèbre, bien souvent expliqué, et sur lequel on ne s'accorde pas encore. H. P.

**

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Qu'il tienne le cops droit et élevé... il ne penchera point la tête nonchalamment; il ne gesticulera pas avec les doigts...enfin qu'il règle tous Les mouvements du corps, qu'il leur laisse toujours de la dignité. On étend le bras quand on parle avec force; on le ramène, quand le ton est plus modéré. (Trad. de M. J. V. Le Clerc.)

le solliciteur, le défenseur de celui qui souffre. Alors il doit y avoir entre sa déclamation et celle de l'acteur la même différence que la nature a mise entre pâtir et compâtir: or on sent bien que la compassion est une passion affaiblie : ce n'est qu'un reflet de douleur. Celui qui fera la peinture d'une situation cruelle et désolante l'exprimera des plus vives couleurs : l'expression de la parole n'a pour lui d'autres bornes que celles de la vérité, que celles mêmes de la vraisemblance. Mais quant à la déclamation, elle doit se réduire, dans l'orateur, à ce qu'un tiers peut éprouver d'un malheur qui n'est pas le sien.

Supposez même que l'orateur plaide sa propre cause, ou qu'en parlant pour un autre que lui il ne laisse pas d'exprimer la passion qui lui est propre, comme l'indignation, la pitié, la douleur; encore ne doit-il pas se livrer aux mêmes mouvements que l'acteur de théâtre. Son premier soin doit être de conserver, soit dans la tribune, soit dans la chaire, soit au barreau, son caractère de dignité, de bienséance, d'organe de la vérité, d'homme qui ne vient pas seulement émouvoir ou son auditoire ou son juge, mais l'instruire et lui présenter l'honnête, l'utile ou le juste. Il faut donc que dans les mouvements même les plus passionnés on s'aperçoive qu'il se possède dans toute son intégrité. C'est ce qu'on voit dans les péroraisons de Cicéron, où la douleur même qui lui arrache des larmes est décente et majestueuse : c'est ce qu'on voit dans les invectives de Démosthène, où, après une apostrophe soudaine, rapide et violente, il reprend de

sang-froid le fil de son récit ou la suite de son raisonnement, semblable au sanglier qui d'un coup de défense éventre un dogue et poursuit son chemin. Un orateur qui s'abandonne et qui s'égare, comme on en voit souvent, perd ses droits à la confiance: car on n'en doit aucune au désordre des passions.

C'est peut-être une raison pour nous de ne pas regretter l'espace de la tribune ancienne et celui des chaires d'Italie. On voit par un mot de Cicéron que les orateurs de son temps abusaient quelquefois de la liberté de leurs mouvements: Rarus incessus, recommandait-il, nec ità longus, excursio moderata, eaque rara *. (Orat. XVIII.)

On dit que les prédicateurs d'Italie auraient souvent besoin de la même leçon. En France, la forme de nos chaires, et la situation de nos avocats au barreau, ne laissent que l'action du buste : c'en est assez pour les orateurs éloquents, et c'en est beaucoup trop encore pour les mauvais déclamateurs. MARMONTEL, Éléments de Littérature.

*

".....

Il peut faire quelques pas, mais rarement et sans trop s'écarter; qu'il évite encore plus de courir dans la tribune. ›

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. M. J. V. Le Clerc, qui traduit ainsi ce passage dit en note, que Cléon général athénien et orateur, qui avait une sorte d'éloquence véhémente, impétueuse, emportée, fut le premier chez les Grecs qui donna l'exemple d'aller et de venir sur la tribune en haranguant. Il y avait à Rome des orateurs qui couraient étourdiment tantôt d'un côté tantôt de l'autre. Cicéron dans le Brutus (XXXVIII), en louant l'action de l'orateur Antoine, parle du mouvement de ses pieds, de sa démarche, supplosio pedis, incessus. On peut voir sur ce sujet dans le Cicéron de M. J. V. Le Clerc, une excellente note (79) de M. Burnouf, à la suite de la traduction du Brutus. H. PATIN.

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