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conseils, il eut une cour et des flatteurs ; il étonna ses maîtres par sa docilité, et les Athéniens par la licence de sa conduite. Socrate, qui prévit de bonne heure que ce jeune homme serait le plus dangereux des citoyens d'Athènes, s'il n'en devenait le plus utile, rechercha son amitié, l'obtint à force de soins, et ne la perdit jamais : il entreprit de modérer cette vanité qui ne pouvait souffrir dans le monde ni de supérieur ni d'égal; et tel était dans ces occasions le pouvoir de la raison ou de la vertu, que le disciple pleurait sur ses erreurs, et se laissait humilier sans se plaindre.

Quand il entra dans la carrière des honneurs, il voulut devoir ses succès moins à l'éclat de sa magnificence et de ses libéralités qu'aux attraits de son éloquence. Il parut à la tribune un léger défaut de prononciation prêtait à ses paroles les grâces naïves de l'enfance; et, quoiqu'il hésitât quelquefois pour trouver le mot propre, il fut regardé comme un des plus grands orateurs d'Athènes. Il avait déjà donné des preuves de sa valeur; et, d'après ses premières campagnes, on augura qu'il serait un jour le plus habile général de la Grèce. Je ne parlerai point de sa douceur, de son affabilité, ni de tant d'autres qualités qui concoururent à le rendre le plus aimable des hommes.

Il ne fallait pas chercher dans son cœur l'élévation que produit la vertu; mais on y trouvait la hardiesse que donne l'instinct de la supériorité. Aucun obstacle, aucun malheur ne pouvait ni le surprendre ni le décourager: il semblait persuadé que, lorsque les âmes d'un certain ordre ne font pas tout ce qu'elles veulent, c'est qu'elles n'osent pas tout ce qu'elles peuvent. Forcé par les circonstances de servir les ennemis de sa patrie, il lui fut aussi facile de gagner leur confiance par son ascendant, que de les gouverner par la sagesse de ses conseils. Il eut cela de particulier, qu'il fit triompher le parti qu'il favorisait, et que ses nombreux exploits ne furent jamais ternis par aucun revers.

Dans les négociations, il employait tantôt les lumières de son esprit, qui étaient aussi vives que profondes; tantôt des ruses et des perfidies, que des raisons d'Etat ne peuvent jamais autoriser; d'autres fois, la facilité d'un caractère que le besoin de dominer ou le désir de plaire pliait sans effort aux conjonctures. Chez tous les peuples, il s'attira les regards, et maîtrisa l'opinion publique. Les Spartiates furent étonnés de sa frugalité; les Thraces, de son intempérance; les Béotiens, de son amour pour les exercices les plus violens; les Ioniens, de son goût pour la paresse et la volupté; les Satrapes de l'Asie, d'un luxe qu'ils ne pouvaient égaler. Il se fût montré le plus vertueux des hommes, s'il n'avait jamais eu l'exemple du vice; mais le vice l'entraînait sans l'asservir. Il semble que la profanation des lois et la corruption des mœurs n'étaient à ses yeux qu'une suite de victoires remportées sur les mœurs et sur les lois; on pourrait dire encore que ses défauts n'étaient aussi que des écarts de sa vanité. Les traits de légèreté, de frivolité, d'imprudence, échappés à sa jeunesse ou à son oisiveté, disparaissaient dans ies occasions qui demandaient de la réflexion et de la constance. Alors il joignait la prudence à l'activité, et les plaisirs ne lui dérobaient aucun des instans qu'il devait à sa gloire ou à ses intérêts.

Sa vanité aurait tôt ou tard dégénéré en ambition; car il était impossible qu'un homme si supérieur aux autres, et si dévoré de l'envie de dominer, n'eût pas fini par exiger l'obéissance après avoir épuisé l'admiration. Aussi fut-il toute sa vie suspect aux principaux citoyens, dont les uns redoutaient ses talens, les autres ses excès, et tour à tour adoré, craint et haï du peuple qui ne pouvait se passer de lui. Et comme les sentimens dont il était l'objet devenaient des passions violentes, ce fut avec des convulsions de joie ou de fureur que les Athéniens l'élevèrent aux honneurs, le condamnèrent à la mort, le rappelèrent, et le proscrivirent une seconde fois.

Dans un moment d'ivresse, le petit peuple proposait de rétablir la royauté en sa faveur ; mais comme il ne se serait pas contenté de n'être qu'un Roi, ce n'était pas la petite souveraineté d'Athènes qui lui convenait, c'était un vaste Empire qui le mit en état d'en conquérir d'autres.

Né dans une république, il devait l'élever au-dessus d'elle-même, avant que de la mettre à ses pieds. C'est là, sans doute, le secret des brillantes entreprises dans lesquelles il entraîna les Athéniens. Avec leurs soldats il aurait soumis des peuples, et les Athéniens se seraient trouvés asservis sans s'en apercevoir.

Sa première disgrâce, en l'arrêtant presqu'au commencement de sa carrière, n'a laissé voir qu'une vérité : c'est que son génie et ses projets furent trop vastes pour le bonheur de sa patrie. On a dit que la Grèce ne pouvait porter deux Alcibiade; on doit ajouter qu'Athènes en eut un de trop (1).

LE MÊME. Ibid.

Alexandre.

Je vis alors cet Alexandre, qui depuis a rempli la terre d'admiration et de deuil. Il avait dix-huit ans, et s'était déjà signalé dans plusieurs combats. A la bataille de Chéronée, il avait enfoncé et mis en fuite l'aile droite de l'armée ennemie. Cette victoire ajoutait un nouvel éclat aux charmes de sa figure. Il a les traits réguliers, le teint beau et vermeil, le nez aquilin, les yeux grands, pleins de feu, les cheveux blonds et bouclés, la tête haute, mais un peu penchée vers l'épaule gauche, la taille moyenne, fine et dégagée, le corps bien proportionné et fortifié par un exercice continuel. On dit qu'il est très-léger à la et recherché dans sa parure. Il entra dans Athènes

course,

(1) Voyez les Leçons Latines anciennes, t. I.

sur un cheval superbe qu'on nommait Bucéphale, que personne n'avait pu dompter jusqu'à lui, et qui avait coûté treize talens.

Bientôt on ne s'entretint que d'Alexandre. La douleur où j'étais plongé ne me permit pas de le suivre de près. J'interrogeai dans la suite un Athénien qui avait longtemps séjourné en Macédoine; il me dit : « Ce Prince joint à beaucoup d'esprit et de talens un désir insatiable de s'instruire, et du goût pour les arts qu'il protége sans s'y connaître. Il a de l'agrément dans la conversation, de la douceur et de la fidélité dans le commerce de l'amitié, une grande élévation dans les sentimens et dans les idées. La nature lui donna le germe de toutes les vertus, et Aristote lui en développa les principes. Mais au milieu de tant d'avantages règne une passion funeste pour lui, et peutêtre pour le genre humain; c'est une envie excessive de dominer, qui le tourmente jour et nuit. Elle s'annonce tellement dans ses regards, dans son maintien, dans ses paroles et ses moindres actions, qu'en l'approchant on est pénétré de respect et de crainte. Il voudrait être l'unique Souverain de l'univers, et le seul dépositaire des connais sances humaines. L'ambition et toutes ces qualités brillantes que l'on admire dans Philippe, se trouvent dans son fils, avec cette différence que chez l'un elles sont mêlées avec des qualités qui les tempèrent, et que chez l'autre la fermeté dégénère en obstination, l'amour de la gloire en frénésie, le courage en fureur : car toutes ses volontés ont l'inflexibilité du destin, et se soulèvent contre les obstacles, de même qu'un torrent s'élance en mugissant au-dessus d'un rocher qui s'oppose à son cours.

« Philippe emploie différens moyens pour aller à ses fins: Alexandre ne connaît que son épée. Philippe ne rougit pas de disputer aux jeux Olympiques la victoire à de simples particuliers; Alexandre ne voudrait y trouver pour adversaires que des Rois. Il semble qu'un sentiment secret avertit sans cesse le premier qu'il n'est parvenu à cette

haute élévation qu'à force de travaux; et le second, qu'il est né dans le sein de la grandeur.

« Jaloux de son père, il voudra le surpasser; émule d'Achille, il tâchera de l'égaler. Achille est à ses yeux le plus grand des héros, et Homère le plus grand des poëtes, parce qu'il a immortalisé Achille. Plusieurs traits de ressemblance rapprochent Alexandre du modèle qu'il a choisi: c'est la même violence dans le caractère, la même impétuosité dans les combats, la même sensibilité dans l'âme. Il disait un jour qu'Achille fut le plus heureux des mortels, puisqu'il eut un ami tel que Patrocle, et un panégyriste tel qu'Homère (1). :

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LE MÊME. Ibid.

Même sujet.

ALEXANDRE fit une grande conquête. Les mesures qu'il prit furent justes. Il ne partit qu'après avoir achevé d'accabler les Grecs; il ne laissa rien derrière lui contre lui. Il attaqua les provinces maritimes, et fit suivre à son armée de terre les côtes de la mer, pour n'être point séparé de sa flotte. Il se servit admirablement bien de la discipline contre le nombre; et, s'il est vrai que la victoire lui donna tout, il fit aussi tout pour se procurer la victoire. Dans le commencement de son entreprise, c'est-à-dire dans un temps où un échec pouvait le renverser, il mit peu de chose au hasard : quand la fortune le mit au-dessus des événemens, la témérité fut quelquefois un de ses moyens. Lorsqu'il s'agit de combattre les forces maritimes des Perses, c'est plutôt Parménion qui a de l'audace, c'est plutôt Alexandre qui a de la sagesse. La bataille d'Issus lui donna Tyr et l'Egypte; la bataille d'Arbelles lui donna toute la terre. Voilà comme il fit ses conquêtes; il faut voir comment il les conserva.

(1) Voyez les Leçons Latines anciennes, t. I et II.

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