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malheureux et des opprimés, pourquoi Cenell Bovadilla ne m'a-t-il pas tué lorsqu'il nous dépouilla, mon frère et moi, de l'or qui nous avait coûté si cher, et nous envoya chargés de chaînes en Espagne, sans jugement, sans délit, sans l'ombre même du crime? Ces chaînes, hélas! sont aujourd'hui mon seul trésor, et elles seront enterrées avec moi, si j'ai le bonheur d'avoir un cercueil ou un tombeau : car je veux que le souvenir d'une action si tragique et si injuste meure avec moi, et que, pour l'honneur du nom Espagnol, elle soit à jamais oubliée. S'il en eût été ainsi, ô bienheureuse Vierge! Obando ne nous aurait pas laissés, pendant dix à douze mois, prêts à périr par une méchanceté aussi grande que nos malheurs. Ah! que cette nouvelle infamie ne souille pas encore le nom Castillan; et puissent les siècles futurs ne jamais savoir qu'il y eut dans celui-ci des misérables assez vils pour croire se faire un mérite auprès de Ferdinand, én détruisant l'infortuné Colomb, non pour ses crimes, mais pour avoir découvert et donné à l'Espagne un nouveau monde !

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Ce fut vous, ô grand Dieu, qui m'inspirâtes et m'y conduisîtes! Montrez-moi quelque pitié, daignez faire grâce à cette malheureuse entreprise que la terre entière, et que tout ce qui dans l'univers aime la justice et l'humanité, pleure sur moi; et vous, saints Anges du Ciel qui connaissez mon innocence, pardonnez au siècle présent trop envieux et trop endurci pour me plaindre ! Sûrement ceux qui sont à naître pleureront un jour lorsqu'on leur dira que Colomb avec sa propre fortune, avec peu de frais, ou même aucun de la part de la Couronne, au hasard de sa vie et de celle de son frère, en vingt années et quatre voyages, a rendu de plus grands services à l'Espagne que jamais Prince ou Royaume n'en a reçu d'aucun homme; que cependant, sans l'accuser du moindre crime, on l'a laissé périr pauvre et misérable, après lui avoir tout enlevé, excepté ses chaînes; de ma

nière que celui qui a donné à l'Espagne un nouveau monde, n'a pu trouver, ni dans celui-ci ni dans l'ancien, une chaumière pour sa misérable famille et pour lui. Mais si le Ciel doit me persécuter encore, et semble mécontent de ce que j'ai fait, comme si la découverte de ce nouveau monde devait être fatale à l'ancien; s'il doit par châtiment mettre un terme, en ce lieu de misère, à ma malheureuse vie, vous, saints Anges, qui secourez l'innocent et l'opprimé, faites parvenir ce papier à mon illustre maîtresse : elle sait combien j'ai souffert pour sa gloire et pour son service, et elle aura assez de justice et de piété pour ne pas souffrir que le frère et les enfans d'un homme qui a donné à l'Espagne des richesses immenses, et qui a ajouté à ses domaines de vastes Empires et des Royaumes inconnus, soient réduits à manquer de pain ou à vivre d'aumônes. Elle verra, si elle vit, que l'ingratitude et la cruauté provoqueront la colère céleste. Les richesses que j'ai découvertes appelleront tout le genre humain au pillage, et me susciteront des vengeurs, et la nation un jour souffrira peut-être pour les crimes que commettent aujourd'hui la méchanceté, l'ingratitude et l'envie.

Anne de Boulen au Roi Henri VIII, son mari.

SIRE,

Le mécontentement de Votre Grandeur et mon emprisonnement me paraissent des choses si étranges, que je ne sais ce que je dois écrire, ni sur quoi je dois m'excuser. Vous m'avez envoyé dire par un homme que vous savez être mon ennemi déclaré depuis longtemps, que, pour obtenir votre faveur, je dois reconnaître une certaine vérité. Il n'eut pas plus tôt fait son message, que je m'aperçus de votre dessein. Mais si,

comme vous le dites, l'aveu d'une vérité peut me procurer ma délivrance, j'obéirai à vos ordres de tout mon cœur, et avec une entière soumission. Que Votre Grandeur ne s'imagine pas que votre pauvre femme puisse jamais être amenée à reconnaître une faute dont la seule pensée ne lui est pas venue dans l'esprit. Jamais Prince n'a eu une femme plus fidèle à tous ses devoirs, plus remplie d'une tendresse sincère, que celle que vous avez trouvée en la personne d'Anne de Boulen, qui aurait pu se contenter de ce nom et de son état, s'il avait plu à Dieu et à Votre Grandeur de l'y laisser. Mais, au milieu de mon élévation et de la Royauté où vous m'avez admise, je ne me suis jamais oubliée au point de ne pas craindre quelque réveil pareil à celui qui m'arrive aujourd'hui. Comme cette élévation n'avait pas un fondement plus solide que le goût passager que vous avez eu pour moi, je ne doutais pas que la moindre altération dans les traits qui l'ont fait naître ne fût capable de vous faire tourner vers quelque autre objet.

Vous m'avez tirée d'un rang inférieur pour m'élever à la Royauté et à l'auguste rang de votre compagne; cette grandeur était fort au-dessus de mon mérite, ainsi que de mes droits. Cependant, si vous m'avez crue digne de cet honneur, ne souffrez pas, grand Prince, qu'une inconstance injuste ou que les mauvais conseils de mes ennemis me privent de votre faveur royale. Ne permettez pas qu'une tache aussi noire et aussi indigne que celle de vous avoir été infidèle, ternisse la réputation de votre femme et celle de la jeune Princesse votre fille.

Ordonnez donc, ô mon Roi, que l'on instruise mon procès, mais que l'on y observe les lois de la justice, et ne permettez pas que mes ennemis jurés soient mes accusateurs et mes juges. Ordonnez même que mon procès me soit fait en public: ma fidélité ne craint point d'être flétrie par la honte. Vous verrez mon innocence justifiée, vos soupçons levés, votre esprit satisfait, et la ca

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lomnie réduite au silence, ou mon crime paraîtra aux yeux de tout le monde. Ainsi, quoi qu'il plaise à Dieu ou à vous d'ordonner de moi, Votre Grandeur peut se garantir de la censure publique; et mon crime étant prouvé en justice, vous serez en liberté devant Dieu et devant les hommes, non seulement de me punir comme une épouse infidèle, mais encore de suivre l'inclination que vous avez fixée sur cette personne qui est la cause du malheureux état où je me vois réduite, et que j'aurais pu vous nommer il y a long-temps, puisque Votre Grandeur n'ignorait pas jusqu'où allaient mes soupçons à cet égard.

Enfin, si vous avez résolu de me perdre, ét que ma mort, fondée sur une infâme calomnie, vous doive mettre en possession du bonheur que vous souhaitez, je prie Dieu qu'il veuille vous pardonner ce grand crime, aussi bien qu'à mes ennemis qui en sont les instrumens, et qu'assis au dernier jour sur son trône devant lequel vous et moi comparaîtrons bientôt, et où mon innocence, quoi qu'on puisse dire, sera ouvertement reconnue ; je le prie, dis-je, qu'alors il ne vous fasse pas rendre un compte rigoureux du traitement cruel et indigne que vous m'aurez fait.

La dernière et la seule chose que je vous demande, est que je sois seule à porter tout le poids de votre indignation, et que ces pauvres innocens gentilshommes qui, m'a-t-on dit, sont retenus à cause de moi dans une étroite prison, n'en reçoivent aucun mal. Si jamais j'ai trouvé grâce devant vous, si jamais le nom d'Anne de Boulen a été agréable à vos oreilles, ne me refusez pas cette demande, et je ne vous importunerai plus sur quoi que ce soit au contraire, j'adresserai toujours mes-ardentes prières à Dieu, afin qu'il lui plaise vous maintenir en sa bonne garde, et vous diriger en toutes vos actions. De ma triste prison à la Tour, le 6 mai,

Votre très-fidèle et très-obéissante femme,

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Réponse du Vicomte d'Orte, commandant de Bayonne, à Charles IX, qui lui avait ordonné de faire massacrer les

Protestans.

SIRE,

J'ai communiqué le commandement de Votre Majesté à ses fidèles habitans et gens de guerre de la garnison : je n'y ai trouvé que de bons citoyens et braves soldats, mais pas un bourreau. C'est pourquoi eux et moi supplions très-humblement Votre Majesté de vouloir bien employer nos bras et nos vies en choses possibles : quelque hasardeuses qu'elles soient, nous y mettrons jusqu'à la dernière goutte de notre sang.

Balzac au Cardinal de la Valette.

MONSEIGNEUR,

L'espérance qu'on me donne depuis trois mois que vous devez passer tous les jours en ce pays, m'a empêché jusqu'ici de vous écrire, et de me servir de ce seul moyen qui me reste de m'approcher de votre personne.

A Rome, vous marcherez sur des pierres qui ont été les Dieux de César et de Pompée; vous considérerez les ruines de ces grands ouvrages, dont la vieillesse est encore belle, et vous vous promènerez tous les jours parmi les histoires et les fables; mais ce sont des amusemens d'un esprit qui se contente de peu, et non pas les occupations d'un homme qui prend plaisir de naviguer dans l'orage. Quand vous aurez vu le Tibre, au bord duquel les Romains ont fait l'apprentissage de leurs victoires, et commencé ce long dessein qu'ils n'achevèrent qu'aux extrémités de la terre; quand vous serez monté au Capi

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