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du jour où furent créées les vieilles filles et les chambrières : ce sont elles qui l'ont découvert, pratiqué et professé avec un zèle qui leur a mérité les hommages de toutes les nations de la terre. Les Sibylles sont le nec plus ultrà du genre.

Je déclare que je possède, sur l'origine de ce mot, une opinion profondément enracinée dans mon esprit, et je la proclame hautement. A mon avis, le cancan appartient à la famille du canard. En effet, le mot cancan n'est-il pas évidemment formé, par onomatopée, du chant ou plutôt du cri peu harmonieux du canard? et le bavardage médisant ne rappelle-t-il pas, par son incessante monotonie, le cri prolongé de l'oiseau aquatique? La seule difficulté sérieuse qui puisse embarrasser les érudits, est de savoir si le cancan dérive du canard, ou si le canard dérive du cancan. Quoi qu'il en soit, vous savez tous qu'on décore du nom de canard, ces nouvelles hyperboliques, fabuleuses, excentriques, mirobolantes, telles que les pérégrinations du fameux serpent de mer, la naissance du veau à je ne sais combien de têtes, et autres annonces merveilleuses qui s'étalent, au grand ébahissement des crédules, sur le tapis diapré des faits divers de quelques journaux. Vous savez tous aussi, que, par extension, on a nommé canards ces feuilles volantes, du genre pamphlet, imprimées avec des titres pittoresques qui, très souvent, constituent à eux seuls la valeur de l'écrit. Un canard sans titre, seroit un canard sans ailes; ni l'un ni l'autre ne trouveroient d'acheteurs. Voilà pourquoi le dictionnaire de Trévoux renferme l'article suivant :

CANARD. On dit proverbialement donner des canards à « quelqu'un, pour dire lui en faire accroire, ne lui pas tenir <«< ce qu'on lui avoit promis, tromper son attente: Decipere, a illudere aliquem.

Il seroit difficile de donner une meilleure définition du canard littéraire. Enfin, ce mot est reconnu par les bibliographes. L'une des subdivisions du journal de la librairie, est intitulée : Canards et pamphlets. »

Le cancan est quelque chose de plus léger : c'est un bruit,

une chanson, le célèbre on dit, ce bouc émissaire de la société médisante; c'est l'épingle qui égratigne, c'est l'aiguille qui pique et dont la blessure imperceptible échappe à tous les yeux. Scripta manent; tel est le canard. Verba volant; tel est le cancan. Un article bibliographique sur les cancans sent le paradoxe de plusieurs lieues à la ronde. Le cancan se glisse d'abord confidentiellement à l'oreille; de confidence en confidence, il grandit, puis il passe et repasse à satiété dans la conversation, et enfin il inspire quelquefois, à un poète malin, des couplets piquants que chacun répète à l'envi. Mais le cancan n'auroit jamais dû être écrit, encore moins imprimé. C'est un tort irréparable qu'on lui a fait éprouver; il auroit le droit de réclamer des dommages et intérêts.

J'ai connu autrefois une chanson intitulée les Cancans. Chaque couplet commençait par On dit que... C'étoit là le cancan dans toute sa pureté, le cancan primitif. Aussi cette chanson est-elle encore manuscrite; et à quoi bon la faire imprimer? Pour conserver les feuilles de rose ne les broyez pas sous la presse, laissez-les se dessécher naturellement; si elles perdent leur fraîcheur, elles ne perdront pas leur parfum.

Le cancan a bien d'autres sujets de plainte; pourquoi, par exemple, l'a-t-on oublié dans une circonstance fort intéressante de son existence multiple? Lorsqu'un musicien souffle de travers dans une clarinette effarouchée, on s'écrie: Dieux! quel affreux canard! expression complétement vicieuse. Ouvrez le Dictionnaire de l'Académie, et vous lirez :

◄ CANARDER, en terines de musique, tirer du hautbois ou de << la clarinette un son nasillard et rauque qui imite le cri du <<< canard. >>

Donc, c'est un canard qui joue de la clarinette; mais c'est la note imprévue, dont l'oreille est chatouillée, qui provoque l'exclamation. L'artiste canarde, c'est-à-dire, l'artiste exécute un cancan ou plusieurs cancans. Ne confondons jamais la cause avec l'effet. Je me réjouis d'avoir trouvé l'occasion de pro

tester contre cette locution désastreuse qui blesse les principes de la saine littérature.

Le cancan, essentiellement philosophe, professe quelquefois une morale tellement rigide, qu'elle ne convient pas à tout le monde. C'est de plus un conteur distingué, persuasif, insinuant; ses récits sont écoutés avec complaisance, commentés, revus, corrigés, et surtout embellis : c'est vraiment à ne pas y croire. Mais un arc toujours tendu s'affoiblit ou se brise. Pour éviter les suites fâcheuses de cette métaphore, le cancan cultive aussi les beaux-arts. Je viens de lui restituer ses succès dans l'art musical; personne n'ignore de quelle considération il a joui dans l'art chorégraphique.

Il est temps d'abandonner les hauteurs de la science étymologique, de la philosophie et des beaux-arts. Revenons, ou plutôt arrivons, s'il est possible, à la bibliographie des

cancans.

Lorsque le diable devint vieux, il se fit ermite; c'est un cancan manifeste dirigé contre l'ennemi du genre humain. J'en fais cependant usage sans aucun scrupule, car ce cancan est passé à l'état de proverbe, et l'on dit que les proverbes sont la sagesse des nations. Or, je ne suis point assez téméraire pour chercher à les priver de cette excellente réputation.

Le cancan devenoit vieux, mais il ne se fit point précisément ermite il fit plus mal. Dégoûté de la vie de garçon, blasé sur les pures jouissances que lui procuroient ses talents en tout genre, et les sociétés variées qui le choyoient comme un enfant gâté, il eut un jour le mauvais goût de s'allier à la Politique, cette commère capricieuse, atrabilaire, qui ne rit jamais. De cette liaison hétérodoxe, il advint ce qu'il devoit advenir : le cancan tourna au pamphlet; bientôt il s'assit entre deux gendarmes, sur le banc de la Cour d'assises, puis il devint ermite, par sentence,..... à Sainte-Pélagie. Le cancan au violon, au tribunal de simple police, voire même à la police correctionnelle, soit; mais le cancan en Cour d'assises! hélas!

rien n'est plus véridique, et nous l'allons montrer tout à l'heure.

Les temps historiques pour la bibliographie moderne des cancans commencent en 1815. Dans les premiers jours d'avril on publia; les CANCANS, chanson, avec accompagnement de lyre ou de guitare.

Je citerai, seulement pour mémoire:

Le premier (et unique) numéro du journal des QUANQUANS et d'une Société de musards, dédié à tous les flâneurs. In-4°, un quart de feuille. Paris, Mme Jeunehomme (fév. 1821).

L'auteur de cette mince brochure a prouvé sa profonde érudition en écrivant quanquans au lieu de cancans. Il devoit être, au moins, l'un de ces étudiants de dixième année, qui ont goûté l'ineffable bonheur de faire leur cours de philosophie en latin.

Deux ans après, le 25 septembre 1823, on représenta sur le théâtre des variétés :

Les CANCANS, ou les Cousines à Manette, comédie en un acte, mêlée de couplets, par MM. George Duval, Carmouche et Jouslin de Lasalle. Cette pièce fut imprimée à Paris, chez Hocquet.

L'année suivante vit éclore :

Les CANCANS et les Bagouts des rues de Paris, à l'usage des bons vivants de la ville et des faubourgs, recueillis pour l'instruction des générations présentes et à venir. In-18 d'une feuille et demie. Paris, Tiger, 1824.

Jusque-là, le cancan étoit dans son droit; il pouvoit, sans trop se compromettre, emprunter les accords de la lyre et le masque de Thalie (expression classique), ou faire parade dans un ana de sa profonde connoissance des travers de l'humanité.

Le 1 mars 1829 parut le premier numéro du journal des CANCANS judiciaires et littéraires, in-4°, par MM. Léon ̧ V**, Jules de Saint-Aure, Léon Alevy, Chabot, Eugène Ch**, Lardier, Alphonse Signol et autres.

Le 23 juillet suivant, ce journal changea de titre, et devint

le Censeur dramatique des arts et de la littérature.

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Mais vers le mois d'octobre de cette année on publia :

Les CANCANS POLITIQUES, par M. de Saint-Goux, couplets en vers de cinq syllabes. In-8° d'une demi-feuille. Paris, Tastu, 1829.

L'idée étoit semée; elle germa sous l'influence de la Révolution de Juillet 1830, et en 1831 elle poussa avec une exubérance formidable. Les Gisquets, les Partarieu-Lafosse et autres se mirent à l'œuvre, et cherchèrent à détruire cet arbuste vivace et piquant comme le houx. Mais chaque branche qu'ils abattoient étoit subitement remplacée par une branche nou⚫ velle plus épineuse que la première. Ce fut seulement en 1834 que ces infatigables bûcherons purent laisser reposer leurs coignées. Le cancan politique, ébranché jusqu'aux racines, avoit enfin péri de mort violente.

Le 1er juillet 1831, la carrière fut ouverte par':

Les CANCANS DIPLOMATIQUES, ou le Passe-temps du jour. In-8° d'une demi-feuille. Paris, impr. de Chaignieau.

Au mois d'août, on tenta d'organiser une publication à peu près périodique, sous le titre de :

Les CANCANS POLITIQUES. 1re livraison; in-4°, 1/2 feuille. Paris, impr. de Decourchant.

La semaine suivante, l'éditeur réimprima les Cancans politiques, et substitua à l'in-4° le format in-8°. Il avoit prévenu dans les deux éditions que les livraisons paroîtroient dès qu'on auroit recueilli de quoi remplir quatre pages. Cet essai net réussit pas. Mais un homme fougueux, hardi, opiniâtre, s'empara du titre et du sujet ; pendant deux ans et demi, malgré les condamnations, les emprisonnements et les amendes, il fit imprimer et répandit dans le public près de quatre-vingts demifeuilles in-8°, cancans d'une violence extrême, dirigés contre le roi Louis-Philippe, contre sa famille, et contre ses droits à la souveraineté de la France. L'auteur se nommoit Bérard (Pierre-Clément), ancien officier, puis courrier de la malle; ik

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