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Vallée avoit aussi annoncé, dès son jeune âge, des dispositions bien décidées pour les voluptés et les jouissances de la vie. D'un esprit borné, il ne s'étoit nullement attaché à suppléer par le travail et l'application à l'ingratitude de la nature envers lui, Occupé avant tout du soin de déployer dans ses habillements un grand luxe et une propreté raffinée, il avoit, dit-on, autant de chemises qu'il y a de jours dans l'année, et illes envoyoit laver en Flandre à une certaine fontaine fameuse par la limpidité de ses eaux. Cependant la vie de province ne pouvoit convenir plus longtemps aux goûts de Vallée. Il vint demeurer à Paris, et là il ne tarda pas à se lancer dans la société de quelques jeunes épicuriens, dont il étoit le coryphée. Au milieu de ce cercle de libertins, on entendoit bien Vallée dire quelquefois qu'il n'y avoit d'autre Dieu au monde que le plaisir, mais l'indifférence complète en matière de religion, et non l'athéisme proprement dit, paroissoit être surtout sa règle de conduite. Quoi qu'il en soit, le peu de raison conservé par Geoffroy finit par s'altérer sensiblement. Il se vanțoit d'être un modèle d'innocence et de pureté, comme adepte et frère de la Rose-Croix, Sa famille dut se hâter de lui nommer un curateur.

Quoique dépourvu de toute instruction, Geoffroy Vallée s'avisa de rédiger ce qu'il appeloit ses principes et de livrer ces belles maximes à l'impression. Il publia, sans nom de lieu, d'imprimeur et sans date, un petit opuscule de 8 feuillets, format in-8°, et il intitula ainsi son ouvrage :

La Béatitude des Chrestiens ou le fléo de la foy, par Geoffroy Vallée, natif d'Orléans, fils de feu Geoffroy Vallée et de Girardele-Berruyer, ausquelz noms des père et mère assemblez il s'y treuve: lere, geru, vrey fléo de la foy bygarrée et au nom du filz: va fléo règle foy, aultrement : quere la fole foy. Ces anagrammes vraiment barbares étoient suivis de cette devise résumant en quelque sorte tout le systême de l'auteur :

. Heureux qui sçait au savoir repos. » L'ouvrage ne circula d'abord que parmi quelques amis, puis il ne tarda pas à se

répandre comme tout livre renfermant des germes féconds de scandale.

La Béatitude des Chrestiens est un véritable chef-d'œuvre de confusion et d'obscurité; la langue n'y est pas même observée. Vallée ne prêche pas l'athéisme à proprement parler, tout son systême consiste à dire que l'homme ne doit rien appréhender de la justice divine; il veut un Dieu ne se mêlant en aucune manière de nos actions, indifférent au bien comme au mal, C'est un déisme commode qui n'admet ni peines, ni récompenses après la mort. L'auteur passe successivement en revue le vrai catholique, le papiste, le huguenot, l'anabaptiste, le libertin et l'athée qu'il appelle atheiste. Qu'on me permette quelques brièves citations; elles suffiront pour établir que le Fleo de la Foy est plutôt l'œuvre d'un fou que d'un véritable impie de profession:

Le vray catholique ou universel. Dieu, en Dieu n'ay que repos.

Jay ma volupté avec

<< Celluy qui croit par foy ou par craincte et peur qu'on luy faict ce peut divertir, changer et destourner quand il juge chose meilleure. Tel croire s'apelle le croire que lon engendre, parce qu'un autre homme lengendre en un autre.... ce croire la est tres mechant et tres miserable, et en viennent tous les maulx que nous avons eu jamais... »

Le papiste. - Je n'ay que craincte en Dieu, de Dieu je suis

peureux,

« Le croire que le papiste dict avoir est proferé et parolé, comme pourroit faire ung perroquet, et luy engendre ton de craincte et peur des le berceau, sans qu'il entende ne qu'on luy face jamais entendre que cest que croire.... ne peut estre plus miserable, et dampné qu'il est, privé d'intelligence, raison, justice, vérité et amytié, »

Le huguenot, Je n'ay que eraincte en Dieu; de Dieu j'ay espérance.

« Le croire du huguenot que on lui engendre, est engendré de foy et de craincte, et ne le rend si beste que le papiste dau

tant qu'il est instruict en quelque démonstration, et faulce intelligence, avec ceste craincte et coup de baston, que si ne croit il ne peut estre sauvé. S'il sçavoit en Dieu quelque peu de chose, on le pourroit ramener pour luy faire cognoistre et entendre que c'est.... »

L'anabaptiste. - Je suis peureux en Dieu; de Dieu j'ay espérance.

Le croire de l'anabaptiste est à peu pres que celuy du huguenot, hors qu'il n'a pas tant de craincte de Dieu, aussy n'est si fol et ignorant que le huguenot.... »

Le libertin, manté.

Je suis doupteux de Dieu; sans Dieu suis tour

« Le libertin ne croit, ny decroit, ne ce fiant, ne deffiant de tout, ce qui le rend tousiours douteux, pouvant venir s'il est bien instruict, ou qu'il medite souvant, à plus heureux port que tous les autres qui croient (pourveu qu'il ayt passé par la huguenotterie).... »

L'athéiste, — J'ay ma volupté sans Dieu; en Dieu n'ay que

tourmant,

-

L'athéiste, ou celluy qui se dit tel (parce qu'il n'est possible à l'homme d'estre sans Dieu) est de contraire croyance aux autres, et toutesfois croit, mais cest qu'il n'y a point de Dieu, Voila pourquoy en Dieu n'a que tourmant et affliction quand il y pense, dautant qu'il la quicté pour avoir la volupté du corps et exercer toutes ses affections,... >>

C'est là sans contredit le passage le plus sensé de cette triste composition que l'auteur termine par ces mots :

« Qui est en craincte, quelque craincte que ce soit, ne peult estre heureux, — Mais heureux sera celluy, comme David a prophetizay au commancement de son premier psalme, lequel n'aura point esté du conseil des meschans roys ou tirans, et qui ne ce sera point arresté à la voye, beut et chemin du vulgaire ignorant, croyant et ayant foy. Aussy qui naura pris charge, degré ou bénéfice es maisons de pestilence, blasphème et abbomination............ »

.: J'ai cru devoir rapporter ces quelques fragments avec d'autant plus de raison que nos divers bibliographes, tout en mentionnant l'ouvrage de Vallée, n'en relatent aucun extrait, d'où la conséquence qu'ils n'ont pas connu le livre et qu'ils ont dû équivoquer sur l'appréciation qu'ils en ont faite. Cela s'explique naturellement par l'excessive rareté de l'opuscule de Vallée. En effet, tous les exemplaires furent consumés par les mêmes flammes qui dévorèrent l'auteur, comme nous le verrons plus bas. Un seul exemplaire fut épargné, celui au moyen duquel on instruisit le procès de Vallée. Ce volume unique, et c'est là son plus grand mérite, a appartenu successivement à Lamonnoye, à l'abbé d'Estrées, mort en 1718, archevêque de Cambrai, à M. de Boze, au duc de la Vallière, enfin au marquis de Méjanes, l'illustre fondateur de la bibliothèque d'Aix.

Le Fléo de la Foy n'est pas une des moindres raretés de ce riche dépôt. Notre volume est relié en maroquin rouge avec filets sur plat et doré sur tranche. On lit en tête une note manuscrite de Lamonnoye. J'ajouterai que le Fléo de la Foy a été réimprimé en 1774; mais cette édition ne conserve aucune valeur.

Quelques bibliographes, entre autres Bayle et la Croix Dumaine, appellent notre auteur: De la Vallée, d'autres lui ont donné le nom de Godefroi du Val. Bayle et Chauffepié, son continuateur, prétendent que le livre est rempli d'impiétés et de blasphêmes contre Jésus-Christ, tandis qu'il n'est fait mention nulle part de la seconde personne de la Sainte-Trinité. Le jésuite Maldonat, quoique contemporain de Vallée, affirme, dans son commentaire sur saint Mathieu, qu'un libertin de son temps avoit composé un petit traité sous ce titre : Libellus de _arte nihil credendi. Or, quelques personnes en avoient conclu que le livre étoit écrit en latin, ne se doutant point que Maldonat avoit voulu exprimer le titre français par des mots latins équivalents. Aussi, Struvius, Introductio ad historiam rei litteraria, attribue deux ouvrages à Vallée: Le Fléo de la Foy et le traité De arte nihil credendi. Le P. Garasse, dans sa Doctrine

curieuse des beaux esprits de ce temps, liv. 2, page 142, dépeint Vallée comme un méchant homme, vagabond, dogmatisant pour l'athéisme, vomissant d'étranges blaspêmes, quoiqu'il les proférât d'une bouche toute sucrée et d'une mine doucette, mais non moins dangereuse en son extrémité. Enfin, le P. Nicéron seul me paroît avoir eu quelque connoissance du livre de Vallée. En effet, dans le but de démontrer, contre l'assertion de Bayle, que d'après le système de l'auteur, celui qui veut être athée doit être premièrement huguenot, il cite le passage où se trouve énoncée cette assertion (Mémoires de Nicéron, tom. 29, pag. 39).

Un bibliographe contemporain, recommandable à plus d'un titre, M. Peignot, est tombé dans, une étrange erreur au sujet de Vallée, dans son Dictionnaire des livres condamnés, tom. 2, pag. 170. Après avoir consacré quelques lignes à l'auteur, il cite, d'après Vogt, Catalogus librorum rariorum, deux passages tirés l'un du commencement, l'autre de la fin du Fléo de la Foy. Or, ces passages ne se trouvent point dans l'opuscule de Vallée et sont entièrement controuvés. Il suffit d'ailleurs d'en comparer le style avec la manière d'écrire de Geoffroy pour se convaincre de suite de la supposition. Voici, en effet, quelques lignes du dernier morceau rapporté par M. Peignot: « Je suivrai en tout les lumières et le penchant que donne la nature; elle n'est pas d'elle-même si corrompue que les hommes le veulent; je regarderai la raison comme un instinct déréglé... Plus de raison, plus de discours, plus de certitude, plus d'erreur, reviens nature! Ne discourons plus, sentons, vivons et ignorons tout avec tranquillité. Cette méprise de M. Peignot atteste une fois de plus combien les meilleurs esprits peuvent se laisser entraîner à l'erreur lorsqu'ils s'en rapportent au témoignage d'autrui, sans prendre la peine de remonter aux sources.

Je poursuis maintenant mes recherches sur Vallée et sur le funeste sort qui lui étoit réservé.

Dès que son livre eut vu le jour, les amis de Geoffroy trem

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