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rez par la diversité de vos grâces, comme par des rayons, les cœurs de vos divers serviteurs, vous savez, et moi je sens que je l'aime pour vos dons et pour ses mérites; mais vous savez aussi combien je l'aime, et moi je l'ignore. Oui, Seigneur, vous qui avez inspiré cet amour, vous savez dans quelle mesure vous me l'avez inspiré pour lui, et dans quelle mesure vous le lui avez inspiré pour moi. Or, comment l'un de nous, à qui vous ne l'avez pas révélé, ose-t-il dire « J'aime plus que je ne suis aimé», à moins que par hasard il ne voie déjà sa lumière dans la vôtre, c'est-à-dire qu'il ne connaisse dans la lumière de votre vérité, combien le feu de la charité brûle en lui?

3. Pour moi, Seigneur, je me contente de voir mes ténèbres dans votre lumière, en attendant que vous me visitiez dans mon obscurité et à l'ombre de la mort où je suis assis, que vous découvriez les pensées des cœurs, que vous manifestiez les choses cachées dans la nuit, et que, les ténèbres s'étant dissipées, on ne voie plus dans votre lumière que de la lumière. Je sens bien que par votre grâce je l'aime, mais je ne vois pas encore dans votre lumière si je l'aime assez. Je ne sais pas, en effet, si je suis déjà parvenu à cette charité que personne ne peut surpasser, et où on donne sa vie pour ses amis. Qui se glorifiera d'avoir un cœur chaste, encore bien moins un cœur parfait?OSeigneur, qui allumez en moi cette lampe avec laquelle je vois déjà mes ténèbres qui me font horreur, mon Dieu, éclairez encore ces ténèbres ellesmêmes, afin que, sachant et aimant ce qu'il faut aimer, combien et pourquoi il faut aimer, et ne voulant moi-même être aimé qu'en vous et qu'autant que je dois l'être, j'aie la joie de voir en moi la charité bien ordonnée. Malheur à moi en effet si, ce que je crains fort, je suis plus aimé de lui que je ne le mérite, ou s'il est moins aimé de moi qu'il n'en est digne. Si cependant ce sont les meilleurs qui doivent être le plus aimés, et les meilleurs sont ceux qui aiment le plus, que dirai-je sinon que lui, qui est le meilleur assurément, m'aime davantage, et que moi, qui vaux moins, je l'aime moins que je ne dois?

4. Mais plus il y a en vous de charité, c'est à vous, mon père, que je parle, moins vous devez mépriser notre impuissance; car, quoique vous aimiez plus que moi, parce que vous valez davantage, vous n'aimez cependant pas au-delà de ce que vous pouvez. Nous, au contraire, quoique nous aimions moins que nous ne devons, nous aimons autant que nous pouvons,

et nous ne pouvons pas plus que nous n'avons reçu. Entraînez-nous après vous, afin que nous vous atteignions, qu'avec vous nous recevions davantage pour aimer avec plus d'ardeur. Pourquoi donc vous efforcez-vous de nous atteindre et vous plaignez-vous de ne pas le pouvoir? Vous nous avez atteint, si vous l'avez essayé; et, quand vous le voudrez, vous atteindrez encore à ce que nous sommes, sinon à ce que vous supposiez de nous. Car je ne sais ce que vous croyez voir en nous qui n'y est pas, ce que vous poursuivez au lieu de nous et qui est différent de ce que nous sommes. C'est pour cela que vous ne l'atteindrez pas, car nous ne pouvons vous le présenter; ce n'est pas nous qui vous manquons, c'est Dieu qui vous manque en nous, comme vous vous en plaignez justement dans votre lettre. Si maintenant ces choses que je me suis amusé à vous dire, vous plaisent, mandez-le moi et je continuerai; car, en vous obéissant, je ne craindrai pas de passer pour téméraire. Je n'ai pas en ce moment à ma disposition la petite préface que vous m'ordonnez de vous envoyer; car je ne l'ai pas encore dictée, ne pensant pas qu'elle vous fût nécessaire. Que celui qui vous donne de vouloir, vous donne aussi d'accomplir, en raison de votre volonté, tout ce que vous désirez de juste pour vous ou pour vos amis, mon pieux et très-révérend père, vous qui avez tous les droits à mon amitié.

LETTRE LXXXVI. (Écrite vers l'an 1130.)

AU MÊME.

Il lui renvoie un moine déserteur qu'il a durement réprimandé et qui doit encore l'être. Il conseille à Guillaume de persévérer et de ne point songer à la vie privée, dans laquelle celui-ci méditait de rentrer.

Le frère Bernard de Clairvaux, à son ami: tout ce qu'on souhaite à un ami.

1. Vous m'avez transmis cette formule de salut dans votre lettre : « Son ami, tout ce que souhaite un ami. » Recevez ce qui vous appartient et reconnaissez dans cette usurpation le signe d'une union parfaite; mon cœur n'est pas loin de l'homme avec lequel je n'ai qu'un même langage. Je dois, en raison du temps, répondre brièvement à votre lettre. Le jour où elle m'est parvenue, le fête de la Nativité de Notre-Dame avait déjà commencé, et cette

1

1 C'est probablement à l'exemple des Cisterciens dont tous les monastères étaient dédiés à la très-sainte Vierge qu'on

dévotion me réclamant à bon droit tout entier, ne me permettait pas de penser à autre chose. Mais le messager, pressé de s'en retourner, voulut à peine attendre jusqu'au lendemain, pour que, sorti des occupations de la fête, je vous écrivisse ces quelques mots. Après avoir réprimandé durement et comme il convenait à la dureté de son cœur ce frère fugitif, je n'ai rien pu faire de mieux en attendant, que de le renvoyer au lieu d'où il s'était enfui; car je n'ai pas dû, contre nos usages, le garder dans notre maison sans le consentement de son abbé. Il faut que de même vous le réprimandiez sévèrement, que vous le poussiez à une humble satisfaction et qu'ensuite vous l'encouragiez par la lettre que vous adresserez pour lui à son abbé.

2. Je ne puis rien répondre de plus précis aux questions que vous me posez sur ma maladie, sinon que j'ai été malade et que je le suis encore, ni moins, ni beaucoup plus qu'à l'ordinaire. Ce qui a fait que je ne vous ai pas envoyé la personne que je devais vous envoyer, c'est que j'ai craint le scandale de plusieurs âmes, plus que le danger d'un seul corps. Maintenant, pour ne rien oublier de ce que vous m'avez mandé, j'arrive à vous. Vous m'avez écrit que vous désiriez savoir ce que je voulais que vous fissiez, comme si je connaissais toutes vos affaires. Mais, quand bien même je vous le dirais, vous ne le pourriez pas, si je ne me trompe, et je ne vous le conseillerais pas. Je veux de vous en effet ce que vous en voulez1 vous-même depuis longtemps, je ne l'ignore pas. Mais, en mettant de côté, comme il est juste de le faire, votre volonté et la mienne, je trouve de la sécurité pour moi à vous conseiller de préférence ce que je crois que Dieu veut de vous, et si je vous convaincs, ce sera pour vous sans inconvénient. Ainsi d'après mon avis, attachez-vous à ce que vous avez, restez où vous êtes, appliquez-vous à être utile à ceux que vous gouvernez et ne fuyez pas le gouvernement tant que vous pouvez y faire du bien. Car, malheur à vous, si vous commandez sans être utile; mais, malheur plus encore, si vous évitez d'être utile, parce que vous craignez de commander.

commença à l'appeler du nom de Notre-Dame. Aussi Pierre de Celle dit-il de saint Bernard, liv. VI, let. 23: Il fut l'écolier chéri de Notre-Dame, à laquelle il dédia, non pas une basilique, mais toutes celles de l'ordre de Citeaux.

1 Guillaume désirait se démettre de la dignité d'abbé et se retirer à Clairvaux; saint Bernard ne l'ayant pas permis, il se retira à Igny.

LETTRE LXXXVII.

(Écrite vers l'an 1126.)

A OGER, CHANOINE RÉGULIER 1.

Il le désapprouve de s'être démis de la charge pastorale, bien qu'il l'eût fait par amour pour un saint repos; il lui donne des instructions sur la vie privée qu'il doit mener dans le monastère.

Au frère Oger, chanoine, en l'embrassant de toute l'ardeur de sa charité, le frère Bernard, moine, mais pécheur: qu'il mène jusqu'à la fin une vie digne de Dieu.

1. Si je vous semble avoir répondu trop tard à votre lettre, sachez que c'est surtout parce que l'occasion du courrier m'a manqué. La lettre que vous allez lire est dictée depuis longtemps, croyez-le; mais faute de porteur, comme je vous l'ai dit, j'ai tardé à vous la transmettre sans avoir tardé à vous l'écrire. Dans la vôtre j'ai lu que vous aviez déposé la charge des fonctions pastorales qui vous étaient lourdes à porter; vous en avez obtenu, non sans peine, la permission de l'évêque, ou plutôt vous la lui avez arrachée par votre importunité et sous cette condition que, demeurant dans son diocèse, en quelqu'endroit que ce fût, vous ne vous soustrairiez point à son autorité. Mais comme cela ne vous plaisait pas, vous êtes alle trouver l'archevêque et recevant de lui, en sa qualité de supérieur, toute sécurité, vous êtes retourné à votre première demeure et auprès de votre abbé. Après cela vous me demandez de vous enseigner comment vous devez y vivre. Illustre docteur et maître incomparable que moi en effet, qui, après avoir entrepris de vous enseigner ce que j'ignore, commencerai alors à m'apercevoir que je ne sais rien. La brebis demande-t-elle ainsi de la laine à la chèvre, le moulin de l'eau au four, le sage des paroles à l'insensé ? Vous m'élevez ensuite au-dessus de moi-même dans tout le cours de votre lettre par les grands éloges que vous entremêlez sur mon compte; mais j'ai conscience de ne les point mériter; je les attribue à votre bon vouloir et je les pardonne à votre

1 Oger était un chanoine régulier du Mont-Saint-Éloi, près d'Arras; il fut tiré de son monastère par Simon, évêque de Tournai, qui le mit à la tête de l'église de Saint-Médard sur les bords de l'Escaut. Il éleva là une église toute de pierre en l'honneur de saint Nicolas, båtit également les dépendances nécessaires et y rassembla un grand nombre de personnes ecclésiastiques et séculières, hommes et femmes. Ce fut l'abbaye de Saint-Nicolas-du-Pré, près de Soissons, dont Oger fut le premier abbé. La dédicace de l'église eut lieu en 1125. Voy. Herman, Histoire de la restauration du monastère de Saint-Martin de Tournai.

ignorance. Car vous voyez le visage, mais Dieu voit le fond du cœur. Or, si sous son regard terrible, je me considère avec soin, il est certain que je me connais moi-même mieux que vous ne me connaissez, parce que je regarde de plus près. Aussi j'ai plus de confiance en ce que je vois sur mon compte, qu'en ce que vous pensez de moi, vous qui ne me voyez point. Que si, par hasard, vous m'avez entendu dire quelque chose qui pût vous être utile, rendez-en grâces à Dieu, entre les mains de qui nous sommes, nous et nos paroles.

2. Vous vous justifiez envers moi de n'avoir pas suivi mon conseil, lorsque je vous encourageais et que je vous engageais à ne pas perdre courage, à ne pas vous laisser vaincre par la timidité, mais à porter avec patience ce fardeau qui vous était imposé et qu'il n'était plus permis de quitter, après l'avoir une fois accepté. Je vous excuse là-dessus moi-même, comme vous le demandez. Connaissant bien la stérilité de ma sagesse, ou plutôt me défiant toujours de ma folle témérité, je n'ose ni ne dois m'offenser, quand on ne fait pas ce que j'approuve, et je désire que chacun se conduise d'après des conseils meilleurs que ceux qu'il a reçus de moi. Mais toutes les fois qu'on choisit mon avis et qu'on s'y tient, je me sens, je l'avoue, accablé d'un grand poids, et j'attends toujours avec crainte, jamais avec sécurité, l'issue de l'affaire. C'est à vous de voir cependant, si Vous avez eu raison de vous écarter de mon conseil en cette circonstance. Que ceux dont les avis plus sages, s'il s'en est rencontré, vous ont dirigé là-dessus voient également si vous avez agi raisonnablement; qu'ils voient, dis-je, s'il est permis à un chrétien de se soustraire avant la mort à l'obéissance qui lui est imposée, quand le Christ s'est rendu obéissant envers son père jusqu'à la mort. Mais, direz-vous, est-ce défendu, même avec une permission; car je l'ai demandée à l'évêque et je l'ai obtenue? Bien, vous l'avez demandée; mais comme il ne vous était permis de le faire, par-là, vous ne l'avez pas reçue, mais arrachée. Or, une permission arrachée ou contrainte n'est pas une permission, mais une violence. Par conséquent, ce que l'évêque a fait ainsi malgré lui et vaincu par votre importunité, n'a pas dénoué, mais a déchiré vos liens.

3. Je vous félicite cependant d'avoir été déchargé, mais je crains qu'aussi Dieu n'ait été par vous privé d'honneurs, autant qu'il a dépendu de vous; car vous résistez sans nul doute son ordre, lorsque vous descendez de la place

à laquelle il vous avait élevé. Que si vous donnez pour excuse la pression de la pauvreté, la pauvreté procure une couronne; si vous alléguez la difficulté, l'impossibilité, tout est possible à celui qui croit. Répondez, au contraire, ce qui est plus vrai c'est que votre repos vous a plû davantage que l'utilité d'autrui. Cela n'est pas étonnant; je suis content, moi aussi, je l'avoue, que ce repos vous plaise, pourvu toutefois que ce ne soit pas avec excès. Or, il y a excès toutes les fois qu'un bien nous charme à tel point que, ne pouvant légitimement l'obtenir, nous désirons cependant l'avoir, même d'une manière qui n'est pas permise; et ainsi, comme nous ne l'obtenons pas légitimement, ce n'est plus un bien. Il est écrit, en effet: Si vous offrez bien et que vous divisiez mal, vous péchez1. Il fallait donc, ou ne point vous charger de la garde du troupeau du Seigneur, ou ne jamais l'abandonner après vous en être chargé, selon cette parole: Êtes-vous uni à une femme, ne cherchez point de rupture 2.

4. Mais pourquoi m'appuyer sur ces raisonnements? Vous persuaderai-je de revenir vous charger de ce gouvernement, quand il n'y a plus moyen de le reprendre; ou bien ai-je l'intention de vous désespérer, comme si vous vous étiez engagé dans une faute dont vous ne puissiez être absous? Nullement; mais je veux seulement que vous ne la négligiez pas comme un mal nul ou minime; je veux, au contraire, que vous craigniez toujours; que toujours vous vous repentiez, que jamais vous ne soyez en sécurité; car il est écrit: Bienheureux l'homme qui est toujours dans la crainte3. Vous voyez certainement quelle crainte je tâche de vous inculquer, non pour qu'elle vous soit comme le lacet du désespoir, mais pour qu'elle vous obtienne l'espérance de la béatitude. Il est, en effet, une terreur inutile, triste, cruelle, qui n'attend pas le pardon, parce qu'elle ne le cherche pas, et il est une terreur pieuse, humble, féconde, qui obtient facilement miséricorde à tout pécheur quel qu'il soit. Une telle crainte engendre, nourrit et conserve l'humilité et avec elle la mansuétude, la patience, la résignation. Qui ne sera pas charmé d'une si illustre lignée! La misérable descendance de l'autre est au contraire l'opiniâtreté, la tristesse immodérée, l'aigreur, l'effroi, le mépris et le désespoir. Redoutant donc que vous n'ayez pas ou que vous n'ayez qu'à un faible degré, non cette crainte qui engendre le désespoir, mais

1 Gen., IV, 7. Vers. des Sept. 2 I Cor., VII, 27. - 3 Prov., XXVIII, 14.

celle qui engendre l'espérance, j'ai cru qu'il fallait ainsi vous rappeler votre faute.

5. Il est encore autre chose que je redoute plus pour vous; c'est que, semblable à ceux dont il est écrit, qu'ils se réjouissent lorsqu'ils ont mal fait et qu'ils triomphent dans les plus mauvaises actions1, vous ne soyez séduit vous aussi : que non seulement vous ne vous croyiez pas coupable, mais encore, ce qu'à Dieu ne plaise! que vous ne vous glorifiiez dans votre cœur d'avoir fait quelque chose de grand et que peu de gens ont coutume de faire, lorsque vous avez méprisé l'autorité qui vous faisait commander librement aux autres, et que vous avez mieux aimé vous soumettre de nouveau à un supérieur. Fausse humilité qui amène un véritable orgueil dans le cœur de celui qui a de telles pensées. Car, quoi de plus orgueilleux que d'attribuer à une volonté spontanée et présentée comme libre, ce que la force de la nécessité ou une lâche faiblesse nous contraignent de faire? Que si vous l'avez fait volontairement sans être vaincu par la peine, ni forcé par la nécessité, rien encore n'est plus superbe. Car vous avez préféré votre dessein à celui de Dieu; vous avez choisi de vous reposer, plutôt que de travailler à son œuvre à laquelle lui-même vous avait élevé. Si donc vous vous glorifiez d'autant plus que vous méprisez Dieu davantage, votre glorification n'est pas bonne: prenez garde à elle, renoncez à cette sécurité, soyez toujours dans une utile inquiétude, dans une humble crainte, non sans doute dans cette crainte qui, comme je l'ai dit, provoque la colère, mais dans celle qui l'apaise.

6. Que si cette horrible crainte vient quelquefois terrifier votre esprit, si elle lui suggère sourdement que votre service ne peut être agréé de Dieu, et que votre pénitence est infructueuse, parce que Dieu ne peut être apaisé par ceux mêmes de vos actes qui l'offensent; n'écoutez pas ces pensées un seul moment, mais répondez avec confiance, et dites : J'ai mal fait sans doute, mais cela est fait et ne peut plus ne pas être. Qui sait si Dieu ne pourvoiera pas à ce que ce mal me serve, et s'il ne voudra pas, lui qui est bon, faire tourner à bien pour moi le mal que j'ai fait. Qu'il punisse donc le mal que j'ai fait; mais que le bien qu'il a prévu subsiste. Car la bonté de Dieu sait toujours se servir pour la beauté de son plan, et souvent même pour notre utilité, de nos volontés ou de nos actions déréglées. O très-doux souvenir de la miséricorde divine envers les 1 Prov., II, 14.

enfants d'Adam; de cette bonté qui ne cesse de répandre ses bienfaits, non-seulement là où elle ne trouve aucun mérite, mais le plus souvent là même, où elle voit tout opposé à elle. Revenons à vous. Suivant la distinction faite plus haut entre les deux sortes de craintes, je veux que vous craigniez et que vous ne craigniez pas; que vous ayez de la confiance et que vous n'en ayez pas; je veux que vous craigniez pour vous repentir, et que vous ne craigniez pas, afin que vous ayez confiance; je veux que vous ayez de la confiance pour ne pas vous décourager, et que vous n'en ayez pas afin de ne pas vous endormir.

7. Reconnaissez, frère, combien j'ai foi en vous, pour vous réprimander si sévèrement, et pour n'avoir point hésité à juger avec tant de hardiesse un fait qui ne m'est pas assez connu, et que vous avez accompli peut-être plus raisonnablement que je ne puis le savoir quant à présent. Car vous n'avez pas voulu sans doute, soit à cause de votre humilité, soit à cause de la brièveté de votre lettre, exposer toutes les raisons qui pouvaient excuser cette action. Tenant donc mon jugement en suspens sur ce que je ne connais pas bien, je loue sans restriction un seul point de votre conduite, c'est que déposant le joug du pouvoir, vous n'avez pas voulu cependant demeurer sans joug; mais que redemandant une règle qui vous est chère, vous n'avez pas rougi de redevenir de maître, disciple. Tandis que dégagé du lien pastoral, vous pouviez rester indépendant, puisque la dignité d'abbé émancipe le fils, vous n'avez pas fait usage de ce privilége, et de même que vous refusiez de commander aux autres, vous avez craint aussi d'être chargé de votre direction. Vous qui ne vous jugiez pas apte à être le maître des autres, vous n'avez pas eu confiance en vous pour vous-même et vous avez dédaigné d'être votre propre disciple; avec raison, car qui s'établit son propre maître, se fait le disciple d'un fou. Certes, j'ignore ce que les autres pensent d'eux-mêmes, mais j'ai éprouvé sur moi ce que je dis ; je trouve plus de facilité à gouverner beaucoup de personnes, plus de sûreté à les diriger, qu'à me gouverner et à me diriger seul. Il y a donc eu une prudente humilité et une humble prudence de votre part, à ne pas croire que vous pussiez vous suffire pour votre salut, et à vous résoudre à vivre désormais sous la direction d'autrui.

8. Je vous loue encore de n'avoir cherché ni une nouvelle résidence ni un nouveau maître, mais d'être retourné simplement au couvent

d'où vous étiez sorti, et au père sous qui vous aviez déjà fait des progrès. Il était juste, en effet, que la maison qui vous avait nourri, mais qui par charité fraternelle vous avait laissé partir, vous reçût au sortir de vos occupations, plutôt qu'une maison étrangère, qui se serait réjouie de la désolation de la première. Toutefois, puisque vous n'avez pas eu sur ce point la permission de l'évêque, je veux que vous n'agissiez pas avec négligence, mais que, soit par vous, soit par un intermédiaire, vous ne différiez pas de lui faire satisfaction, autant qu'il dépend de vous. Après cela, vivez simplement au milieu de vos frères, fervent envers Dieu, soumis aux supérieurs, obéissant vis-à-vis des anciens, condescendant pour les jeunes, agréable aux anges, utile dans vos paroles, humble de cœur, doux envers tous. Mais prenez garde de croire que, parce que vous avez été autrefois élevé en dignité, vous deviez, encore à présent, être honoré au-dessus des autres; montrez-vous-en, au contraire, plus humble vis-à-vis de tous, comme l'un d'entre eux, car il ne serait pas juste que vous exigeassiez l'honneur d'une position dont vous fuyez la peine.

9. Il peut encore naître de là un autre péril, contre lequel je veux que vous soyez prévenu et prémuni. Nous sommes si inconstants, que souvent ce que nous voulions hier, nous le refusons aujourd'hui, et ce que nous ne voulons plus aujourd'hui, nous le désirerons demain. En conséquence, il pourra arriver un jour, par la suggestion du diable, qu'au souvenir de la dignité que vous avez abandonnée, le désir renaisse dans votre âme et que vous ayez l'enfantillage de regretter tout ce que vous avez virilement méprisé. Vous trouverez doux ce qui auparavant vous semblait amer : la hauteur de la position, le soin de la maison, le gouvernement des affaires, les services des domestiques, votre propre indépendance, le pouvoir sur les autres; au point que vous regretterez presque d'avoir quitté ce qui d'abord vous était lourd à garder : tentation execrable, qui causerait à votre vie, si vous l'écoutiez seulement une heure, ce qu'à Dieu ne plaise! un grave dommage.

10. Voilà toute la sagesse de ce très-élégant et très-éloquent docteur, que vous avez voulu consulter de si loin; voilà cet oracle attendu et désiré que vous avez cherché avec tant d'ardeur à entendre: voilà le résumé de notre science. Attendez-vous encore quelque chose de grand? Vous avez tout appris. Demandez

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vous quelque chose de plus ? La fontaine est à sec, et c'est en vain que vous y chercheriez de l'eau. A l'exemple de cette veuve de l'Évangile 1, j'ai tiré de ma pauvreté tout ce que j'avais, pour vous l'envoyer. Pourquoi rougissezvous? Pourquoi baissez-vous la tête? Vous m'avez contraint. Vous avez demandé un sermon, vous en avez un. Oui, vous avez un sermon suffisamment long, quoique muet; plein de mots, vide de sens, qui ne réglera pas, comme vous le vouliez, la charité dans votre cœur, mais qui publiera mon ignorance. Comment, en effet, pourrait-on l'excuser? Peut-être pourrais-je dire que je l'ai dicté dans les souffrances d'une fièvre tierce et au milieu des occupations de mon emploi, tandis qu'il est dit: Écrivez la sagesse dans un jour de repos 2. J'aurais le droit de donner ces raisons, si j'avais entrepris quelque grand et laborieux travail. Mais aujourd'hui pour un si petit opuscule je ne puis, si je ne veux m'excuser par des prétextes, rien alléguer de mieux que, comme je l'ai déjà dit souvent, la pauvreté de ma science.

11. Mais, dans ma confusion, j'ai une consolation, car si je n'ai pas fait ce que vous demandiez, si je ne vous ai pas envoyé ce que vous espériez, vous reconnaîtrez certainement que j'en ai eu l'intention. Or la bonne volonté vous suffira, puisque vous voyez que la puissance d'exécuter a fait défaut. Enfin, quand bien même cela ne vous apporterait aucun avantage, au moins j'en tirerai profit pour mon humilité. Quand l'insensé ne parle pas, il passe pour sage; car on attribue son silence, non au manque d'idées, mais à la réserve de son humilité. Si donc je m'étais tû jusqu'à ce jour, j'aurais été considéré comme sage, bien que je ne le sois pas. A présent, au contraire, les uns riront de moi comme d'un fou, d'autres se moqueront de moi comme d'un sot, d'autres s'indigneront contre moi à cause de ma présomption. Croyez-vous qu'il n'en résulte qu'un médiocre avantage pour ma religion, alors que l'humilité à laquelle l'humiliation conduit toujours, est le fondement de tout l'édifice spirituel. L'humiliation est en effet le chemin de l'humilité, comme la patience est celui de la paix, et la lecture celui de la science. Si vous tendez à la vertu d'humilité, ne fuyez pas la voie de l'humiliation. Car, si vous ne souffrez pas qu'on vous humilie, vous ne pourrez parvenir à l'humilité. Ainsi, il m'est utile d'être connu comme ignorant, et d'être justement confondu 1 Luc, XXI, 2-4. 2 Eccl., XXXVIII, 25.- 3 Prov., XVII,

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