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mais à bon droit, je parais vouloir me justifier. Il sera plus sûr pour moi de répondre : Nous avons péché. Mais jusqu'à quel point? Je ne dis point cela pour me défendre, car, qui ne l'aurait reçu ? Qui, je le répète, repousserait un pareil saint, quand il frappe; qui le chasserait, quand il est entré ? Sait-on, en effet, si Dieu n'a pas voulu suppléer à notre pauvreté avec votre abondance, et d'un grand nombre de religieux qui peut-être alors étaient chez vous, nous en envoyer un, pour notre consolation sans doute, mais aussi pour votre gloire? Car le fils sage est la gloire du père 1. Enfin, nous ne sommes pas allés au-devant de lui par nos sollicitations, nous ne l'avons pas circonvenu pour le porter à venir à nous et à vous abandonner. Au contraire, Dieu sait que nous n'avons consenti à le recevoir malgré sa demande, ses prières, ses instances, qu'après avoir tenté de vous le renvoyer. Mais, comme il ne voulait pas céder, nous nous sommes à la fin rendus, non sans peine, à son importunité. Si c'est une faute d'avoir reçu et de cette façon un homme religieux, voyageur, isolé, il ne sera pas indigne de vous de pardonner une faute de cette nature, une seule fois commise, puisqu'il ne vous est pas même permis de refuser le pardon à ceux qui pècheraient contre vous jusqu'à septante fois sept fois.

4. Cependant, afin que vous sachiez combien il s'en faut que nous supportions légèrement, ou avec indifférence, d'avoir de quelque façon offensé votre Révérence, ou plutôt afin que vous connaissiez la peine que nous en éprouvons, je prends souvent Dieu à témoin de ce que ne pouvant aller à vous de corps, j'y porte un esprit suppliant ; je me vois bien des fois à genoux devant vous pour vous faire humblement satisfaction. Puisse l'Esprit qui peut-être m'inspire ces sentiments, vous faire sentir combien je suis digne de votre compassion et de vos larmes, quand je me prosterne ainsi à vos pieds comme si j'étais devant vous. Combien de fois, les épaules nues, j'ai, les verges à la main et prêt à frapper à votre commandement, imploré votre pardon et attendu ma grâce en tremblant ! Si cela ne vous importune pas, nous vous prions, père, de nous faire savoir au plus tôt, par votre réponse, comment vous aurez accueilli notre lettre : afin que, si elle vous a satisfait, nous nous consolions dans l'assurance de votre pardon ; sinon, que nous nous humiliions davantage, comme il est juste de le faire, et, que nous

1 Prov., X, 1.

exigions encore de nous-mêmes, s'il est possible, quelque chose de plus digne de vous apaiser. Adieu.

LETTRE LXVI.

(Ecrite vers l'an 1129.)

A GEOFFROY, ABBÉ DE SAINT-MÉDARD 1.

Il lui demande son entremise pour le réconcilier avec l'abbé Alvise: il le console dans ses tribulations.

Au seigneur Geoffroy, abbé de Saint-Médard, le frère Bernard, indigne supérieur de l'église de Clairvaux le salut et non sur cette terre de passage.

Je vous prie d'abord de prendre la peine d'envoyer la lettre ci-jointe au seigneur abbé du monastère d'Anchin. Relativement à ce qu'elle porte, vous qui êtes présent, employezvous pour votre ami absent, quand l'occasion en sera venue. Car jene dois négliger le ressentiment contre moi, juste ou non, de personne, ni surtout d'un père si considérable : j'en suis bien éloigné et j'aurais pu peut-être mieux le lui montrer de vive voix que par écrit. Car en de telles circonstances un entretien est mieux accueilli qu'une lettre, et la parole est plus persuasive que l'écriture. En effet, les regards de celui qui parle font foi de ce qu'il dit; et la main ne peut exprimer les sentiments du visage. Mais puisqu'étant absent je ne puis lui donner satisfaction par moi-même, je la lui donne par vous autant qu'il est en moi. Je vous prie donc et je vous supplie d'ôter, pendant que vous le pouvez heureusement, le scandale du royaume de Dieu, de peur que si, ce qu'à Dieu ne plaise, la rancune persistait jusqu'à l'arrivée des anges qui seront envoyés à la fin des siècles pour ce ministère, il ne fût nécessaire d'enlever de ce royaume ou l'un de nous, ou tous deux. Pour répondre à ce que vous m'avez écrit il y a longtemps en vous plaignant de vos tribulations, sachez que le Seigneur est près de ceux qui ont le cœur affligé. Ayez confiance en lui, parce qu'il a vaincu le monde. Il sait avec qui

1 Geoffroy était, vers l'an 1111, abbé de Saint-Thierry près de Reims; il gouverna cette abbaye pendant huit ans; en 1119, il devint abbé de Saint-Médard près de Soissons. En 1131, saint Bernard ayant été élu évêque de Châlons comme successeur d'Herbert, refusa d'accepter cette haute dignité et fit nommer à sa place Geoffroy, qui resta sur ce siége jusqu'en 1143, année de sa mort. Geoffroy était un homme recommandable par son savoir et sa piété. Pierre le Vénérable en fait un grand éloge. Voy. Chron. d'Albéric, Chron. de saint Médard, Nécrologe de saint Thierry.

2 Marc., XIII, 27.

vous habitez, et tous ceux qui vous affligent sont devant ses yeux. Il vous exaucera au milieu de la tempête, puisqu'il vous éprouve à présent dans les eaux de la contradiction. Adieu.

LETTRE LXVII.

(Ecrite vers l'an 1129.)

AUX MOINES DE FLAY 1.

Il se justifie d'avoir reçu le religieux B., sur ce que ce dernier venait d'un monastère jusqu'alors inconnu à saint Bernard, et qu'il le quittait pour de justes motifs.

Au seigneur H. père de l'église de Flay, et aux frères qui sont avec lui, ses frères qui sont à Clairvaux, salut.

1. A la lecture de votre lettre, nous avons appris que Votre Révérence avait été contristée au sujet d'un religieux qui est chez nous. Cette tristesse de votre part nous a également affligés, car nous craignons que ce ne soit pas celle dont l'Apôtre disait un jour : La tristesse que vous avez eue a été selon Dieu 2. Si, en effet, elle eût été selon Dieu, elle ne vous eut pas émus au point de nous reprendre, pour une première fois, si subitement, si aigrement, avant même de nous avoir entretenus de vive voix ou avertis par écrit, nous qui, sans être connus de vous, sommes vos frères cependant, et, si vous le voulez, vos amis. Vous vous étonnez, écrivez-vous, que nous ayons reçu le frère Benoît; vous nous menacez, si nous ne vous le rendons sur-le-champ. Vous nous objectez que d'après la Règle, on ne doit pas recevoir un religieux d'un monastère connu, car vous tenez sans doute pour certain que votre maison n'est pas inconnue. Mais à quoi sert-il qu'elle soit connue des autres, si elle ne l'est pas de nous? Car quoique, pour prendre vos propres paroles, la renommée de votre Ordre se soit tellement répandue, qu'on ait

1 Horstius et quelques auteurs veulent lire Flavigny, mais ils se trompent. Car Flavigny est une petite ville de Bourgogne peu éloignée de Fontaine où naquit saint Bernard, et de Clairvaux où il résidait; il devait donc la connaitre et il n'en eût point parlé dans les termes qu'il emploie. Flay au contraire est un bourg sur l'Oise, dans le diocèse de Beauvais. Saint Ger mer y fonda vers l'an 650 un monastère de Bénédictins qui devint fort illustre. Quant à l'abbé H. auquel cette lettre est adressée, il est probable que c'est Hildegard Ier, qui gouverna ce monastère depuis l'année 1106 jusqu'en 1123 suivant les uns, et plus vraisemblablement jusqu'en 1126. Ce monastère produisit des hommes remarquables par leur science et par leur piété, et il est possible, comme les religieux s'en vantaient, que leur réputation se fût étendue jusqu'à Rome.

9 II Cor., VII, 9. 3

Reg. S. Ben., c. 61.

connaissance de votre église même à Rome, pour nous cependant, qui sommes établis bien en-deçà de Rome, il est arrivé, je ne sais comment, que nous n'avons pas eu jusqu'à présent la plus légère connaissance d'aucun de vous, ni de l'abbé, ni des religieux, ni de votre maison, ni de votre règle, ni de votre genre de vie, et nous ne nous souvenons même pas qu'on nous ait fait jamais en aucune façon mention de vous. Cela cependant n'est pas surprenant, puisque nous sommes séparés par un grand espace de terre, par la différence des provinces, par la diversité du langage, et que non-seulement nous sommes dans des évêchés distincts, mais encore que nous ne nous trouvons pas dans le même archevêché. Or, nous croyons qu'il nous est défendu de recevoir, non pas des religieux qui viennent de monastères connus d'une personne quelconque, mais seulement ceux qui viennent de monastères connus de nous; autrement, comme il n'est aucun monastère qui ne soit connu de quelqu'un, il n'en restera aucun dont on puisse régulièrement recevoir des religieux. Comment donc s'accomplira ce qui est ou prescrit ou permis par saint Benoît, que le religieux qui voyage doit non-seulement être reçu pour demeurer à titre d'hôte, autant de temps qu'il le désire, mais encore que, si on le trouve utile, on doit lui persuader de demeurer pour toujours'.

2. Cependant nous en avons agi autrement envers le frère ci-dessus nommé. Car, comme à son arrivée il nous demandait humblement de le recevoir, il a d'abord été repoussé, et ensuite engagé à retourner à son monastère. Mais lui, loin d'y consentir, s'est retiré dans un ermitage voisin et est demeuré là près de sept mois en repos, sans donner lieu à aucune plainte. Puis, ne croyant pas qu'il y eût de sécurité pour lui à vivre seul, après un premier refus, il ne craignit pas de nous adresser une seconde fois la même demande. Comme nous l'engagions encore à s'en retourner, et que nous lui demandions la cause de son départ : << Mon abbé, dit-il, ne faisait pas de moi un religieux, mais un médecin 2. Il m'obligeait de servir, ou plutôt il servait lui-même par mon entremise, non pas Dieu, mais le monde, en me forçant, pour ne point encourir la malveillance des princes séculiers, à traiter des tyrans, des ravisseurs, des excommuniés. Après 1 Reg. S.-Ben., c, 66.

2 Les moines et les clercs exerçaient autrefois la médecine; elle leur a depuis été interdite.

lui avoir représenté tantôt en secret, tantôt en public, le péril de mon âme, sans être arrivé à rien, j'ai voulu enfin, d'après le conseil de quelques hommes sages, fuir ma damnation, et non le couvent, ma perte et non la règle. Prenez soin de celui qui cherche son salut; ouvrez à celui qui frappe. » Pour nous, voyant sa constance, entendant ses raisons et ne connaissant aucune plainte contre lui, nous avons consenti à son admission, nous l'avons éprouvé après l'avoir reçu, nous lui avons fait faire profession après l'avoir éprouvé, et depuis sa profession nous le gardons. Nous ne l'avons pas forcé d'entrer; nous ne le contraindrons pas de sortir. Quand même nous le renverrions, il ne retournerait pas vers vous, assure-t-il, mais il s'en éloignerait encore davantage. Cessez donc, frères, cessez d'attaquer des innocents avec des reproches si peu mérités et de les tourmenter par d'inutiles écritures: car nous ne pourrons être amenés, même par vos injures redoublées, à vous répondre autrement qu'avec respect, ni déterminés par la crainte de vos menaces à ne pas garder un religieux que nous croyons avoir reçu selon la Règle.

LETTRE LXVIII.

AUX MÊMES.

Sur le même sujet.

Aux révérends frères de Flay, à l'abbé H. et à tous les autres religieux, le frère Bernard, salut.

1. Il était assurément de votre modération, bons frères, de vous contenter de notre précédente satisfaction sur votre plainte, et de renoncer désormais à attaquer des gens qui ne le méritent pas. Mais puisqu'à vos mauvais procédés antérieurs vous en avez ajouté de pires, et que vous nous avez envoyé de nouvelles semences de discorde (Dieu veuille qu'elles ne germent pas plus en nous que n'ont germé les précédentes), de crainte que notre silence ne semble la reconnaissance d'une faute qui n'existe pas, voici une seconde fois ce que nous répondrons en toute sincérité à ce que vous nous reprochez avec insolence. Toute notre faute en cela, autant que nous pouvons l'apprécier, cette grande injure que nous vous avons faite, c'est d'avoir reçu un moine isolé, voyageur, pauvre, misérable, fuyant le péril de son âme, cherchant son salut avec sollicitude, frappant à notre porte et suppliant: c'est, après avoir reçu cet homme

et de cette façon, de ne pas l'avoir ensuite renvoyé sans motifs, et de ne pas nous êtes rendus prévaricateurs, en détruisant après coup ce que nous avions édifié. C'est de là que nous sommes jugés transgresseurs de la Règle, transgresseurs des canons, transgresseurs de la loi naturelle elle-même. Vous nous demandez en effet avec indignation pourquoi nous avons eu la témérité de nous associer quelqu'un qui était à vous et que vous aviez excommunié, ce que nous ne voudrions assurément souffrir de personne. Que répondrons-nous sur l'excommunication, puisque vous vous réfutez vousmêmes; car vous savez sans nul doute qu'il a été reçu par nous avant d'avoir été excommunié par vous? Or, puisqu'il a été admis auparavant, régulièrement d'ailleurs, ce n'est donc plus contre un des vôtres, mais contre un des nôtres que vous avez dirigé la sentence de votre malédiction, et c'est à vous de voir si vous aviez le droit de le faire.

2. Il reste donc à savoir, et c'est entre nous tout le débat, si on a eu raison de le recevoir. Vous même, comme vous ne pouvez contester qu'on ne puisse régulièrement admettre un moine d'un monastère inconnu, vous prétendez votre maison était connue de nous. que Nous le nions, et vous ne nous croyez pas. Mais si vous ne croyez pas à notre simple dénégation, croyez au moins à notre serment. Sur la Vérité, qui est Dieu, nous vous le disons, nous ne vous connaissions pas, nous ne vous connaissons pas encore; votre lettre que nous avons reçue venait pour nous de gens inconnus; c'est à des inconnus que nous avons répondu. Nous avons certainement été atteints par vos récriminations et par vos reproches, mais cela ne nous a pas fait reconnaître les accusateurs ni les persécuteurs. Pour nous convaincre de simuler l'ignorance, vous avancez comme un argument invincible que nous ne pouvons pas ne pas vous connaître, puisque nous avons mis le nom de l'abbé et celui du monastère lui-même sur notre lettre, comme si nous connaissions les choses, dès que nous en savons les noms. Combien alors il m'est précieux de savoir les noms de Michel, de Gabriel, de Raphaël, puisque, rien que pour avoir entendu ces mots, j'ai le bonheur de connaître ces bienheureux esprits. Oui, ce n'est pas pour moi un médiocre avantage, que d'avoir appris de l'Apôtre à nommer le paradis et le troisième ciel, si, sans y être ravi, avec l'Apôtre, aux seuls noms je connais les mystères célestes et que par là j'aie entendu ces

paroles ineffables qu'il n'est pas permis à l'homme de prononcer. Insensé que je suis, je connais le nom de mon Dieu et je pousse encore chaque jour, je ne sais pourquoi, d'inutiles gémissements, de vains soupirs en disant avec le prophète : Je chercherai, Seigneur, votre visage; et Quand irai-je et paraîtrai-je devant la face de mon Dieu? et Montrez-nous votre face et nous serons sauvés.

3. Mais qu'est-ce que nous vous faisons, que nous ne voudrions pas qu'on nous fit? Vous croyez sans doute que nous ne voudrions pas qu'un moine sortant de notre monastère fut reçu dans un autre. Puissiez-vous sauver ainsi sans nous tous ceux qui nous ont été confiés ! Que quelqu'un des nôtres, par amour d'une plus grande perfection ou par désir d'une vie plus austère, vole vers vous, non-seulement nous ne vous accuserons pas, si vous le secondez dans un pareil zèle, mais nous vous prions instamment de le faire et loin de nous plaindre d'avoir été offensés, nous confesserons au contraire que nous avons été grandement aidės. De plus, vous niez ce que nous avons appris sur vous: que tant que le frère B. a été chez vous, par votre ordre ou de votre consentement, il exerçait la médecine au service des séculiers vous l'accusez de mensonge, pour nous avoir dit cela. S'il a menti, nous l'ignorons, c'est son affaire; mais ce que nous savons, qu'il l'ait fait de lui-même comme vous en convenez, ou par votre ordre comme il l'affirme, c'est qu'il a été pendant ce temps en grand péril. Or qui serait assez inhumain pour ne point secourir s'il pouvait, pour ne point conseiller s'il savait, un homme dans un tel danger? Cependant si, quand il courait de côté et d'autre pour vendre ses remèdes, il n'était pas poussé par l'obéissance, mais par le désir du gain ou par l'envie de se promener, comme vous le prétendez, quelle raison a-t-il eue de s'éloigner de vous? Serait-ce parce qu'enfin l'autorité pastorale, devenue plus rigoureuse, ne lui permettait plus ce qu'elle lui avait permis auparavant? Pourquoi donc alors en voulant le rappeler lorsqu'il était déjà chez nous, lui avez-vous promis, pour le décider au retour, le repos dans son cloître, sinon parce vous vous saviez que c'est cela qu'il désirait, et que vous vous souveniez qu'il vous l'avait demandé? Quant à lui, ayant trouvé chez des étrangers ce qu'il n'avait pu trouver chez les siens, de peur de lâcher le certain pour l'incertain, il s'en est tenu à ce dont il jouis1 Ps., XXVI, 8; XLI, 3; LXXIX, 4.

sait déjà, et il a dédaigné ce qu'on lui offrait trop tard.

4. Cessez donc, frères, cessez de tourmenter un frère au sujet de qui il n'est pas très-nécessaire que vous vous tourmentiez vous-mêmes ; à moins peut-être, ce qu'à Dieu ne plaise! que vous ne cherchiez vos intérêts et non ceux de Jésus-Christ, et que vous n'aimiez mieux le bien que vous tiriez de ce religieux que son propre salut. Car, puisque chez vous il a toujours été vagabond et que, comme vous l'écrivez, il employait à son propre usage contre son vœu et contre l'ordre de son abbé ce qu'il gagnait avec son art, que celui qui l'aime se réjouisse de ce que, par la miséricorde de Dieu, il a été guéri chez nous. Nous lui rendons en effet ce témoignage, qu'il n'erre nulle part ni sous aucun prétexte, mais qu'il demeure tranquille au monastère, où il vit sans reproche, pauvre et au milieu des pauvres. Loin de manquer, comme vous le dites, à la foi qu'il a d'abord promise chez vous, sans la tenir, il la garde entière et il la confirme par la conversion de ses mœurs, et par cette conduite pleine d'obéissance sans laquelle celui qui se confie en la stabilité de sa résidence s'abuse. Nous vous en prions donc, frères, calmez votre indignation et cessez de nous persécuter; sinon, faites ce que vous voulez, écrivez comme vous le voulez, poursuivez-nous autant que vous voulez; la charité souffre tout, supporte tout. Pour nous, nous sommes résolus désormais à vous aimer avec sincérité, à vous écouter avec respect, à vous honorer avec simplicité.

LETTRE LXIX.

A GUY, ABBÉ DE TROIS-FONTAINES 1.

Il lui donne des conseils au sujet de la faute que Guy a faite par la négligence des servants en consacrant le calice sans vin.

1. Nous connaissons ce qui vous afflige, et nous vous louons de votre affliction, pourvu

1 L'abbaye de Trois-Fontaines, première fille de Clairvaux, fut fondée en 1118 dans le diocèse de Châlons, par les libéralités de Hugues comte de Champagne, et avec l'appui de Guillaume de Champeaux, évêque de Châlons. Le premier abbé de TroisFontaines fut Roger, qui mourut en 1127. Il est question de sa mort dans la lettre 71. On lui donna pour successeur Guy, auquel est adressée notre lettre. Celui-ci assista en 1128 au concile de Troyes. Il accrut beaucoup sa maison, et en fonda quatre autres celles de la Chalade et de Châtillon, dans le diocèse de Verdun, celle d'Orval, dans le diocèse de Trèves, et celle de Haute-Fontaine dans le diocèse de Châlons. Ces quatre maisons sont considéreés comme les filles de Trois-Fontaines

qu'elle n'aille pas trop loin. Car votre tristesse, si je ne me trompe, est selon Dieu 1, comme le dit l'Apôtre, et il n'est pas douteux qu'avec ce caractère elle ne se change un jour en joie. Ainsi, mon bien aimé, irritez-vous et ne péchez pas. Or, vous ne pécherez pas moins en vous irritant outre mesure, qu'en ne vous irritant pas du tout. Car ne pas s'irriter, quand il le faut, c'est ne pas vouloir corriger le péché; mais s'irriter plus qu'il ne faut, c'est ajouter un péché à un autre. Si donc c'est un mal de ne pas corriger le péché, comment n'en serait-ce pas un de l'accroître? Si le jugement des fautes dépendait de l'issue des événements, il n'y aurait pas à incriminer même votre grande tristesse puisqu'il serait constant que la faute, elle aussi, aurait été considérable. Car la faute paraîtrait d'autant plus grande que la matière est plus sainte. Mais c'est la cause des faits, non leur nature, c'est l'intention des actes, non leurs conséquences, qui différencie les fautes et les mérites, selon la parole du Seigneur: Si votre œil a été simple, tout votre corps sera lumineux, s'il a été mauvais, tout votre corps sera ténébreux Aussi dans l'examen de ce que vous avez fait, il ne faut pas tant, à mon avis, considérer la majesté du sacrifice que discuter votre propre intention. Or, notre prieur et moi, après avoir longuement réfléchi en nous-mêmes sur cette affaire, et en avoir conféré entre nous, nous y trouvons certainement de l'ignorance de votre part, de la négligence de la part des servants; mais nous n'y trouvons de malice de la part de personne. Certes, vous savez parfaitement qu'il n'y a pas de bien qui ne soit volontaire. Un fait pourra-t-il donc être un grand mal, quand il est constant qu'il n'émane pas de la volonté ? Autrement, s'il arrive qu'en l'absence de volonté, le bien ne confère aucun mérite, et que le mal attire une peine grave, c'est-à-dire si, à l'occasion d'une seule et même cause, on impute le mal et qu'on ne tienne pas compte du bien, il faut que celui qui pense ainsi affirme, s'il l'ose, que ce n'est pas la sagesse qui prévaut contre la malice, mais la malice contre la sagesse.

2

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sept fois, et de recevoir sept fois la discipline. Que celui qui vous a servi cette messe fasse la même satisfaction. Quant à celui qui s'en était aperçu auparavant et qui avait oublié de mettre le vin dans le calice, sa faute en cela nous semble plus grande, et si toutefois vous partagez cette opinion, nous l'abandonnons à votre jugement. Si le bruit s'en est répandu parmi les frères, que tous reçoivent chacun une fois la discipline, pour accomplir ce qui est écrit: Portez les fardeaux les uns des autres1. De plus, nous vous louons de ce qu'après vous être aperçu, quoique tardivement, de la négligence, vous avez versé le vin dans le calice sur la parcelle d'hostie consacrée, et nous ne croyons pas qu'on pût mieux faire dans une si grande extrémité: car nous pensons que cette liqueur, si elle n'a point été changée au sang du Christ par une consécration propre et solennelle, n'en a pas moins été sanctifiée au contact de son corps sacré. On dit cependant que je ne sais quel auteur, adoptant un avis différent, a pensé que sans ces trois choses, le pain, le vin et l'eau, le sacrifice ne pouvait pas avoir lieu, de telle sorte que, si l'une d'elles venait à manquer, les autres ne seraient pas consacrées. Mais, sur ce point, que chacun s'en rapporte à son propre sentiment.

3. Pour moi, selon mon peu de lumière, s'il m'était arrivé même chose qu'à vous, j'aurais voulu comme remède au mal prendre l'un de ces deux partis : ou faire ce que vous-même avez fait, ou répéter les paroles saintes à partir de l'endroit où il est dit: De même après que l'on eût soupé, et achever ainsi ce qui restait du sacrifice 2. Car je n'aurais eu aucun doute sur le corps déjà consacré, puisque j'ai appris de l'Église, selon le rite qu'elle même a reçu du Seigneur, à mettre ensemble sur l'autel le pain et le vin, mais non à les consacrer ensemble. En effet, comme d'après l'usage de l'Église le pain devient corps avant que le vin ne devienne sang, si ce qui doit être consacré en second lieu est apporté trop tard par oubli, je ne vois pas ce que ce retard de la seconde partie du sacrifice peut ôter à la première. Je pense que si le Seigneur, après avoir changé le pain en son corps, avait voulu retarder de quelque temps la consécration du vin ou même l'omettre tout à fait, son corps qui existait déjà n'en aurait pas moins subsisté, et ce qu'il avait à faire n'eût pas nui à ce qu'il avait déjà fait. Je ne nie pas que le pain et le vin mêlé à

1 Galat., VI, 2,

2 Voy. les rubriques générales du Missel.

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