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votre lettre, il se trouvait en route pour venir nous rendre visite. Et, comme il se disposait à vous répondre de notre maison, il prit soin de joindre à sa lettre une lettre de notre part, dans l'espoir que celle-ci, venant d'un de vos amis, lui serait utile dans son affaire. Nous n'avons pu lui refuser ce qu'il désirait, et nous avons cru devoir représenter amicalement et brièvement à Votre Excellence un seul point: c'est qu'il ne convient ni à votre dignité, ni à votre fonction, d'écouter, contre un évêque qui cherche les intérêts de Jésus-Christ, des hommes amoureux d'eux-mêmes, et qui s'occupent de leurs propres affaires.

LETTRE XXIII.

(Écrite vers l'an 1128.)

A ATTON, ÉVÈQUE DE TROYES 1.

Il loue et console l'évêque Atton, qui, ayant songé à la mort durant une maladie, avait distribué tous ses biens aux pauvres, et qui s'était ensuite rétabli.

A un Évêque pauvre, un Abbé pauvre : qu'il reçoive la récompense de la pauvreté, qui est le royaume des cieux.

1. Je vous louerais, et à bon droit, si je n'étais retenu par cette maxime: Ne louez personne dans sa vie2; car vous avez fait une action digne d'éloges; mais l'éloge en doit être attribué à Celui qui vous a donné de la vouloir et de l'accomplir. Ainsi, nous rendons gloire à Dieu qui, opérant en vous et par vos mains, n'a voulu être glorifié en votre personne, que pour vous rendre également glorieux vous-même. Car, quoiqu'il soit admirable dans sa majesté, il daigne encore se montrer glorieux dans ses Saints, pour ne pas avoir la gloire à lui seul. Bien qu'il se suffise, en effet, pour toute magnificence, il cherche cependant encore la gloire dans les Saints, non afin de l'augmenter pour lui-même, mais afin de la communiquer

1 Atton ou Haton fut d'abord doyen et archidiacre de l'église de Sens; il fut ensuite évêque de Troyes, et en cette qualité il assista au concile de Troyes en 1128, et au concile de Pise en 1134; en en revenant, il fut blessé à la tête et fait prisonnier en Italie avec la plupart des prélats français. Il vécut encore longtemps après, prit l'habit monastique à Cluny et y mourut en 1145. On a prétendu qu'il était entré à Cluny avant d'être évêque, et non après avoir reçu cette dignité : mais ce fait est démenti par tous les documents. V. Pierre le Vénérable, let. 50, liv. II, let. 27, liv. IV. Lettre de Pierre, prieur de Sens à Atton Severt. Catalog, episcop. Matiscon. in Joceranno, § 4.

2 Eccl., XI, 30,

aux siens. Or il connaît ceux qui sont à lui; mais nous, nous ne les connaissons pas facilement, sinon lorsqu'il daigne lui-même nous les montrer. A la vérité, nous savons de qui il est écrit Ils ne participent point à la peine des hommes, et ils ne seront point flagellés comme eux 1. Mais nous connaissons aussi, à présent, que cette parole ne s'applique point à vous. Il est également écrit: Le Seigneur corrige celui qu'il aime, et flagelle tout homme qu'il accepte pour son fils. Je vous vois flagellé, corrigé, puis-je donc ne pas vous prendre pour un de ses enfants? Or nous avons de votre châtiment une marque assez éclatante, c'est votre pauvreté présente. La pauvreté est réellement un noble titre, que Dieu lui-même recommannde par la bouche du prophète : Je suis, dit-il, un homme qui vois ma pauvreté 3. Ce titre vous ennoblit et vous rend illustre, plus que ne le feraient tous les trésors des rois.

2. Je me souviens d'avoir dit plus haut, d'après l'Écriture, qu'il ne faut pas louer un homme dans sa vie. Mais, comment puis-je me défendre de louer celui qui a cessé de courir après l'or, et qui dédaigne de placer son espérance dans les richesses? L'Ecriture, en effet, parle ainsi de lui: Quel est cet homme? nous le louerons, car il a fait des merveilles dans sa vie? Peut-être ne faut-il pas le louer dans cette vie, qui est une tentation sur la terre; mais ce n'est point une raison pour ne pas le louer lorsque, mort au péché, il vit pour Dieu? La louange est vaine et trompeuse lorsqu'elle porte sur le pécheur dans les désirs de son âme, car le dire bienheureux de cette sorte, c'est l'induire en erreur; mais il ne faut pas pour cela ne pas publier et ne pas grandement recommander la vie de celui qui peut dire : Ce n'est plus moi qui vis, c'est Jésus-Christ qui vit en moi 5. Quand donc l'homme est loué de ce que ce n'est plus lui-même, mais le Christ qui vit en lui, il n'est pas loué dans sa vie, mais dans celle du Christ; et, par conséquent, ces éloges ne sont pas contraires à la maxime qui défend de louer un homme dans sa vie.

3. Enfin, pourquoi ne serait-il pas digne de mes louanges, celui que Dieu juge digne même de louer son nom, selon la parole de David : Le pauvre et l'indigent loueront votre nom? On loue Job de ce qu'il a supporté avec patience la perte de ses biens, et on ne louera pas un évêque qui a volontairement abandonné les

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siens, et les a généreusement distribués? Il n'a point attendu l'heure de la mort, où il n'eût plus été en son pouvoir de les donner ni de les retenir; c'est là ce que font beaucoup de gens dont le testament n'a de force qu'après leur mort; pour lui, placé encore entre l'espérance de la vie et la crainte de la mort, il les a, de son vivant, distribués volontairement et donnés aux pauvres, afin que sa justice demeurât dans les siècles des siècles 1. Cet argent serait-il resté avec vous de la même façon, durant les siècles des siècles? La justice compense donc avantageusement la richesse, puisqu'on reçoit, à la place de ce qu'on n'avait pu garder, ce qui doit subsister heureusement durant l'éternité. La justice est, en effet, incomparablement meilleure que l'argent; l'un enrichit et remplit la bourse; l'autre, l'âme. Enfin, les prêtres de Dieu trouvent dans la justice un vêtement beaucoup plus honorable et plus riche que dans l'or ou dans la soie.

4. Grâces soient rendues à Dieu qui, en vous envoyant une crainte salutaire pour votre vie en péril, a fait naître en vous le glorieux mépris de la gloire passagère que donnent ces biens. Effet admirable de la clémence divine envers vous ! Elle vous a menacé de la mort, sans vous en frapper; elle a voulu vous faire craindre ce qu'elle ne voulait pas vous faire éprouver. En agissant ainsi, quel résultat produisait-elle, sinon que vos biens ne vous fussent pas plus chers que vous-même ? Une fièvre aiguë sévissait dans la moëlle de vos os et, la sueur tardant à venir, la violence de vos douleurs s'accroissait de jour en jour. Tandis qu'au dehors les membres étaient déjà glacés, une chaleur insupportable concentrée au dedans dévorait vos entrailles épuisées par une longue abstinence; pendant ce temps la triste et pâle image de la mort se présentait devant vos yeux. Tout à coup, une voix comme venue d'en-haut fit entendre ces divines paroles : C'est moi, c'est moi qui efface, non vos jours, mais vos péchés. Le prêtre de Dieu n'eût pas plutôt, pour mourir pauvre, distribué tous ses biens aux pauvres, que tout à coup les sources de la sueur s'ouvrirent et contre tout espoir la laissèrent échapper de leurs profondeurs. Le salut de l'âme et du corps se produisant ainsi ensemble chacun dans son ordre montrèrent clairement en vous l'accomplissement de cette promesse que Dieu fait dans son Ecriture: Je tuerai et je ferai vivre, je frapperai et je guérirai et il n'est personne qui puisse arracher de ma 2 Isaïe, XLIII, 25.

1 Ps. CXI. 9.

-

main'. Il a frappé la chair pour que l'âme fût guérie; il a tué l'avarice, pour vous faire vivre à la justice. Guéri et vivifié de la sorte, que devez-vous espérer, sinon que personne ne pourra plus vous arracher de la main de Dieu, si toutefois vous ne négligez pas d'observer ce conseil évangélique: Vous voilà guéri, ne péchez plus, de crainte qu'il ne vous arrive quelque chose de pis ? Le père charitable vous donne cet avertissement, parce qu'il ne veut pas que ce mal arrive; car il ne désire pas la mort du pécheur, mais plutôt sa conversion et sa vie. Et c'est avec raison. A quoi sert en effet le sang du pécheur? L'enfer ne confessera pas Dieu, et la mort ne le louera pas, mais c'est vous, vivants, qui bénissez le Seigneur et qui dites: Je ne mourrai pas, mais je vivrai et je raconterai les œuvres du Seigneur; et encore : J'ai été poussé et prêt à tomber, et le Seigneur m'a soutenu 3.

LETTRE XXIV.

(Écrite vers l'an 1130.)

A GILBERT, DOCTEUR UNIVERSEL, ÉVÈQUE

DE LONDRES.

Il loue Gilbert de ce que celui-ci, devenu évêque, pratique la pauvreté.

La nouvelle de ce que vous avez fait s'est répandue fort loin et a apporté à tous ceux auxquels elle a pu parvenir une odeur pleine de suavité. L'avarice est éteinte; qui ne goûte ce parfum? La charité règne; qui ne savoure sa douceur? Tout le monde voit par là que vous êtes vraiment sage, puisque vous avez écrasé le plus grand ennemi de la sagesse, action certainement digne de votre sacerdoce et de votre nom. Il convenait assurément que votre excellente philosophie reçût cet éclatant témoignage et qu'une telle fin complétât vos brillantes études. La sagesse est sincère et incontestable, quand elle méprise de honteux profits et qu'elle juge indigne d'elle de se mêler aux serviteurs des idoles. Ce n'est point une chose

1 Deut., XXXII, 39. – 2 Jean, v, 14.- -3 Ps. CXVII, 17, 13. Gilbert était appelé docteur universel parce qu'il excellait dans toutes les sciences divines et humaines, comme le dit saint Bernard dans cette lettre. Avant d'être évêque de Londres, il avait été chanoine d'Auxerre, et le nécrologe de cette église porte: «Le second jour des ides d'août est mort maitre Gilbert de vénérable mémoire, commentateur excellent de l'Ancien et du Nouveau Testament, chanoine de cette église, et devenu ensuite évêque de Londres; il donna à notre église, outre divers ornements qu'il avait envoyés d'Angleterre, 82 livres, etc. » Il gouverna l'église de Londres de l'an 1128 à l'an 1133.

surprenante que le docteur Gilbert soit devenu évêque; mais c'est un magnifique spectacle de voir l'évêque de Londres vivre pauvre. La hauteur de cette dignité n'a pu rien ajouter à la gloire d'un si grand homme; mais une humble pauvreté l'a beaucoup rehaussée. Supporter la pauvreté avec égalité d'âme est l'effet de la sagesse ; la rechercher volontairement en est le triomphe. Enfin, si on loue et si on vante comme un homme admirable celui qui ne court point après l'or, celui qui le rejette ne méritera-t-il rien de plus? Mais peut-être qu'une raison attentive ne voit rien de surprenant à ce qu'un sage se conduise sagement, surtout si c'est un sage qui, après s'être fait un jeu de l'étude des lettres et des sciences des sages de ce monde, a encore étudié toute la divine Ecriture et a pu en quelque sorte la rétablir et la renouveler. Qu'y a-t-il, en effet? Vous avez distribué et donné aux pauvres, mais de l'argent seulement. Or qu'est-ce que l'argent en comparaison de cette justice que vous avez reçue en échange? Sa ustice, est-il dit, subsiste dans les siècles des siècles 1; en est-il de même de l'argent? Certes, c'est là un commerce honorable et lucratif que d'échanger ce qui passe contre ce qui demeure. Puissiez-vous négocier toujours ainsi, ô maître bon et digne de tout éloge. Il reste à voir ce louable début terminé par une fin qui en soit digne et la queue jointe à la tête de la victime. Nous avons reçu votre bénédiction avec une joie qui s'est accrue à la nouvelle si douce de votre perfection. Le porteur de cette lettre se recommande assez de lui-même; cependant pour moi, je désire le recommander encore à votre magnificence; car, à raison de son honnêteté et de sa piété, il m'est très-cher.

LETTRE XXV.

(Écrite l'an 1130.)

A HUGUES, ARCHEVÊQUE DE ROUEN

Il lui conseille de s'appliquer à être patient et pacifique visà-vis des habitants de son diocèse, et à tempérer son zèle par la prudence.

1. Si la malice du temps s'accroît, qu'elle ne prévale pas; si elle apporte le trouble, que ce

1 Ps. CXI, 9.

2 Proverbe familier à saint Bernard et tiré du Lévitique. 3 Hugues d'Amiens avait été d'abord moine de Cluny, puis abbé de Radingue, monastère nouvellement fondé dans le diocèse de Salisbury en Angleterre. C'est de là qu'il fut élu à l'arche

trouble n'aille pas jusqu'au désordre. La mer est admirable dans ses soulèvements, mais le Seigneur est plus admirable dans les cieux. La miséricorde divine, vous en conviendrez, illustre Père, en a jusqu'à présent doucement usé avec vous. Car, par une disposition prévoyante, vous n'avez été chargé du gouvernement des méchants qu'après avoir été associé aux bons, afin que, devenu bon vous-même par leur commerce et par leur exemple, vous pussiez ensuite rester tel, même au milieu des méchants. Sans doute, être bon parmi ceux qui le sont, donne le salut; mais l'être parmi les méchants donne en outre la gloire. Plus il y a de sûreté dans le premier état, plus il y a de facilité; plus l'autre est difficile, plus il y faut de vertu. Quel moyen, en effet, de toucher de la poix sans en être sali, de se trouver dans le feu sans souffrir, dans les ténèbres sans cesser d'y voir. Les Égyptiens étaient autrefois plongés dans la nuit, tandis que l'Écriture rapporte du peuple de Dieu que partout où était Israël, était la lumière 1. David était un vrai Israélite, aussi disait-il sagement qu'il habitait, non pas dans Cédar, mais avec les habitants de Cedar 2, comme s'il eût toujours habité dans la lumière, bien que son séjour corporel fût avec les habitants de Cedar 3. De là vient qu'il reprend certains faux Israélites de ce que, mêlés aux nations, ils en ont appris les œuvres, ce qui est devenu pour eux une cause de scandale*.

3

2. Je vous dis donc : Il vous suffisait chez les religieux de Cluny de garder l'innocence, selon cette parole de l'Écriture: Vous serez innocent avec l'innocence 5. Mais, avec le peuple de Rouen, vous avez besoin de patience, comme l'enseigne l'Apôtre en disant : Le serviteur de Dieu ne doit pas discuter, mais plutôt être patient envers tous ; et non seulement patient jusqu'à ne vouloir pas être vaincu par le mal, mais encore pacifique jusqu'à vaincre le mal par le bien. Le premier point sert à supporter les méchants, le second à guérir ceux que l'on supporte. Par la patience, vous possèderez votre âme 7; mais, si de plus vous êtes pacifique, vous possèderez

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en outre les âmes qui vous seront confiées. Quelle plus grande gloire que de pouvoir dire : Je conservais la paix avec ceux qui la haïssaient 1. Soyez donc patient, puisque vous êtes avec les méchants; soyez pacifique, puisque vous leur commandez. Que votre charité ait du zèle, mais que votre sévérité ait de la mesure selon les circonstances. La censure ne doit sans doute jamais être relâchée; cependant, si on l'interrompt, la plupart du temps elle produit plus. Que votre justice soit toujours énergique, mais qu'elle ne soit jamais précipitée. Car, de même que tout ce qui plaît n'est pas permis, de même aussi tout ce qui est permis n'est pas toujours opportun. Vous savez cela mieux que moimême, c'est pourquoi je m'arrête. Je vous conjure de prier pour moi sans relâche, car je pèche sans cesse.

LETTRE XXVI.

(Écrite vers l'an 1130.)

A GUY, ÉVÈQUE DE LAUSANNE.

Vous avez mis la main à des choses difficiles, vous avez besoin de force. Vous avez été établi surveillant de la maison d'Israël, vous avez besoin de prudence. Vous vous devez aux sages et aux insensés, vous avez besoin de justice. Enfin vous avez surtout besoin de tempérance, afin que celui qui prêche les autres, ne soit pas lui-même réprouvé, ce qu'à Dieu ne plaise!

LETTRE XXVII.

(Écrite vers l'an 1135.)

A ARDUTION, ÉLU ÉVÊQUE DE GENÈVE

Il l'engage à attribuer son élection à la miséricorde divine et à s'appliquer à correspondre exactement à la grâce.

Nous avons appris avec quelle unanimité de la part du clergé et du peuple, votre élection s'est faite, et nous croyons qu'elle vient de Dieu. Nous en rendons grâce à sa bonté, nous ne dirons pas à vos mérites, pour ne pas vous flatter plus qu'il ne convient. S'il en a agi ainsi avec vous, ce n'est point à cause des œuvres de justice que vous avez faites, mais à cause de sa miséricorde. Vous en jugeriez autrement, ce qu'à Dieu ne plaise! que votre élévation tournerait à votre perte. Mais si vous reconnaissez la grâce, veillez à ne pas l'avoir reçue Ps. CXIX, 7.

en vain. Au reste, sanctifiez vos voies, vos désirs et votre ministère; si la sainteté de votre vie ne l'a pas précédé, qu'au moins elle le suive. Alors nous confesserons que vous avez été véritablement prévenu par de douces bénédictions, et ces biens nous donneront pour vous l'espérance de biens plus grands. Nous serons transportés de joie et d'allégresse, de ce qu'un serviteur prudent et fidèle ait été constitué sur la maison du Seigneur, pour devenir ensuite un fils heureux et puissant que le père établira sur tous ses biens. Si au contraire vous prenez plus de plaisir à être élevé qu'à être bon, nous attendons pour vous, non la récompense, mais le précipice. Nous prions et nous formons des vœux pour que cela n'arrive pas; nous sommes prêt, s'il en est besoin, à vous tendre les mains selon notre faible pouvoir, et à vous aider à faire ce qui est le plus avantageux et le plus convenable.

LETTRE XXVIII.

(Écrite l'an 1135.)

AU MÊME, DEVENU ÉVÈQUE.

Il lui conseille d'honorer, au moins par ses mérites ultérieurs, la dignité qu'il a obtenue, sans mérite dans le passé.

1. La charité me donne la hardiesse de vous parler avec une entière confiance. Le siége que vous venez d'obtenir, mon très-cher, demande un homme de beaucoup de mérites, et nous gémissons de voir que jusqu'ici il n'y en a pas eu en vous, ou du moins pas assez. Ni vos actions, en effet, ni vos études passées, ne semblaient aucunement convenir à la charge épiscopale. Mais, quoi! Dieu ne peut-il faire sortir de cette pierre un enfant d'Abraham? Ne peutil pas faire que les biens suivent au moins l'homme, qu'ils auraient dù précéder? Si cela arrive, nous n'aurons que plus de plaisir à l'apprendre. Ce changement soudain de la droite du Très-Haut nous donnera, je ne sais comment, plus de joie que si les mérites d'une vie antérieure le secondaient; car nous dirons que c'est le Seigneur qui a fait cela et que c'est une chose admirable à nos yeux 1. Ainsi Paul, de persécuteur est devenu docteur des nations; ainsi Matthieu a été appelé d'un bureau, Ambroise d'un palais celui-ci à l'épiscopat, celui-là à l'apostolat. Ainsi nous en connaissons beaucoup d'autres, qui de la vie et des mœurs du monde ont été heureusement élevés aux 1 Ps. CXVII, 23.

dignités. Enfin, n'a-t-on pas vu bien des fois surabonder la grâce où avait surabondé le péché ?

2. Pour vous donc, mon très-cher, encouragé par de tels exemples, soyez homme, ceignez vos reins, sanctifiez désormais vos voies et vos désirs. Que vos anciennes inclinations soient étouffées par les nouvelles, et que cette conversion de la dernière heure efface les péchés de votre jeunesse. Appliquez-vous à imiter Paul, en honorant votre ministère. Vous l'honorerez par de la gravité dans vos mœurs, de la maturité dans vos décisions, de l'honnêteté dans vos actes. Voilà ce qui orne et ennoblit surtout les fonctions épiscopales. Pour toute chose prenez avis, non de tout le monde ni du premier venu, mais seulement des gens de bien. Ayez des gens de bien dans le conseil, des gens de bien pour serviteurs, des gens de bien pour la vie commune, afin qu'ils soient les témoins et les gardiens de la pureté de vos mœurs. Vous prouverez que vous êtes juste, si les justes vous rendent témoignage. Nous recommandons à votre piété nos pauvres frères qui sont auprès de vous, les religieux de Bonnemont et de Haute-Combe 1, dans les Alpes. Nous ferons en eux l'épreuve de l'intérêt que vous nous portez.

1

nous pouvions. Nous n'avons cessé de prier et de former des vœux pour que vous réussissiez dans l'œuvre de Dieu, à laquelle vous aviez été appelé, et pour que vos pas suivissent la voie de ses commandements. Dieu soit donc béni de n'avoir pas rejeté notre prière, ni retiré de vous sa miséricorde; car il nous a comblés de joie par ce vénérable frère Guillaume; nous n'en croirions pas plus nos yeux, que nous n'avons cru les paroles de ce dernier sur votre bonheur, sur votre prospérité, et sur la paix par vous rendue à l'Église. Nous vous en félicitons; mais nous en reportons la gloire à Dieu, car nous savons que ce que vous êtes et ce que vous pouvez vient de lui, et non pas de vous. Nous vous engageons amicalement à avoir toujours, en vous-même, un pareil sentiment, de crainte que si vous pensiez autrement et si, ce qu'à Dieu ne plaise, vous attribuiez quelque chose de cela à vos mérites ou à vos forces, vous n'en vinssiez à n'être plus rien, et à ne plus rien pouvoir. Alors, il y aurait à redouter que votre paix ne fût changée en trouble, et votre prospérité en malheur, selon le juste jugement de Celui qui a coutume de donner sa grâce aux humbles, et de résister aux superbes. On lit, en effet, dans le psaume1, qu'il n'est pas uniquement saint avec les saints, mais encore méchant avec les méchants; et le Prophète le représente 2, nonseulement comme faisant la paix, mais comme créant les maux.

LETTRE XXIX.

(Écrite vers l'an 1126.)

A ÉTIENNE, ÉVÊQUE DE METZ 2.

Il le félicite de ce que la paix ait été rendue à l'Église, et il dit qu'il ne faut attribuer cela qu'à la bonté de Dieu.

A Étienne, par la grâce de Dieu, vaillant ministre de l'église de Metz, ses humbles frères dans le Christ. qui sont à Clairvaux : le salut et la prière.

Depuis le temps éloigné où vous avez daigné, s'il vous en souvient, entrer en union fraternelle avec nous, et vous recommander humblement à nos prières, nous avons toujours eu la sollicitude, comme nous le devions, de nous informer de votre état, et nous avons pris soin de demander souvent de vos nouvelles à qui

1 Bonnemont et Haute-Combe étaient deux filles de Citeaux, fondées, la première, en 1131, et la seconde en 1133.

2 Adalberon, quatrième de ce nom, ayant été chassé du siége de Metz en 1120, Etienne fut mis à sa place. Il vécut jusqu'en 1163. Saint Bernard se plaint beaucoup de lui. V. let. 177 et 178. V. encore Spicilége, tome XII, p. 318 et suiv.

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