LES INSTITUTIONS Avertissement au Lecteur Au début de ce travail, entrepris uniquement dans le but d'être utile aux âmes pieuses, nous avons cru devoir apporter quelques explications pour justifier le titre d'Euvres complètes de Tauler que nous donnions à cette édition. Non, certes, qu'il fut dans notre intention de soutenir que tous les ouvrages dont nous voulions faire la traduction sur la version latine de Surius, fussent sortis tels quels de la plume même de Tauler; nous savions parfaitement que quelques-uns n'étaient pas de lui, que d'autres étaient douteux, que tous, enfin, avaient pu et dû, dans la suite des temps, subir quelques altérations, sinon des transformations profondes; cependant, nous avions la certitude que l'ensemble de l'œuvre pouvait, non seulement figurer sous le nom du grand mystique dont elle traduisait fidèlement la doctrine, mais que le seul moyen de le faire connaître et surtout d'atteindre notre fin auprès des âmes pieuses, était de faire lire, avec les réserves que nous nous proposions d'apporter en temps et lieu, l'ouvrage tout entier tel que Surius l'avait donné au XVIe siè T. VIII. 1 cle. En nous couvrant de ce haut patronage, nous espérions donner une garantie suffisante à notre modeste travail. Effectivement, beaucoup de lecteurs ont su reconnaître notre intention et continuent à nous savoir gré de notre entreprise. Mais nous avions compté sans les savants qui se sont scandalisés de tant de simplicité. Il nous ont fait le grand honneur de s'occuper de nous, et nous serions des ingrats de ne pas les remercier très sincèrement. Ils n'espèrent pas sans doute que nous discutions avec eux. Outre que, vraisemblablement, nous leur paraîtrions bien incompétents, il n'y a rien qui nous répugne comme la discussion, parce qu'il n'y a rien de plus stérile. Mais, aussi bien, leur intervention nous aura été d'une grande utilité parce qu'elle nous permet de préciser, devant nos lecteurs, certaines affirmations sur lesquelles peut-être, en effet, nous n'avions pas assez insisté et dont la réserve voulue a pu donner lieu à quelques malentendus. Nous dirons donc encore une fois, pourquoi nous avons préféré la traduction de Surius à tout autre document qui nous est proposé; et les explications que nous serons amené à donner, nous serviront à faire connaître la nature du livre des Institutions que nous présentons aujourd'hui au lecteur comme faisant partie encore des œuvres de Tauler. I Et d'abord nous ne saurions assez le répéter nous n'avons d'autres point de vue que celui de l'édification. Ce qui nous préoccupe, ce n'est pas une re constitution intégrale et strictement authentique du texte même de Tauler, de manière à pouvoir dire que tout ce que nous publions sous son nom est sorti tel quel de la bouche ou de la plume du maître. Ce travail d'épuration et d'examen scientifique et documentaire a été fait, avons-nous dit, et bien fait, dernièrement, par M. Ferdinand Vetter, professeur à Munich. Le savant critique est parvenu à nous livrer exactement 36 sermons dont 35 sont tirés d'un ancien manuscrit daté de 1359 et conservé à la bibliothèque d'Engelberg (n° 124) et un qui a été extrait d'un autre manuscrit à tout le moins aussi ancien et faisant partie actuellement de la bibliothèque de Fribourg-en-Brisgau (no 41). Si on ajoute à ce chiffre quatre autres sermons contenus dans les manuscrits 2.739 et 2.744 de Vienne et que, pour une raison que nous ne connaissons pas, la présente édition de M. Vetter ne reproduit pas, on peut affirmer que c'est là tout ce qui nous reste, au moins de connu, en fait d'œuvres de Tauler dont les transcriptions, copies ou traductions, puissent, aujourd'hui encore, être contrôlées sur de vénérables documents datant de l'époque même du grand mystique et, par conséquent, ayant droit, suivant les principes rigoureux de la critique, au titre d'œuvres parfaitement authentiques. Quarante sermons, y compris les quatre de Vienne, à pouvoir présenter en toute sécurité! c'est peu, on l'avouera. Il est vrai que le volume de M. Vetter rapporte en. core 45 sermons (en tout 81) tirés d'une copie qui aurait été prise jadis (1846) par M. Charles Schmidt, sur trois bons manuscrits conservés à Strasbourg, mais malheureusement détruits dans l'incendie de 1870. Nous ne doutons pas, certes, de la fidélité de cette copie; mais, d'après le principe même adopté par la critique historique, de ne rien admettre qu'on ne puisse appuyer sur des documents primitifs indéniables, nous avouons ne pas bien voir pourquoi la copie de M. Charles Schmidt, en l'absence des manuscrits disparus, aurait plus de crédit que tel ou tel autre ouvrage, les Méditations sur la Passion, par exemple, ou l'Imitation de la vie pauvre, ouvrages, qui, plusieurs fois, ont été réédités en Allemand, dans le courant du XIXe siècle et qui, toujours, aujourd'hui encore, nous sont présentés comme des copies exactes et fidèles de très anciens manuscrits du temps de Tauler. L'édition allemande de Francfort, 1826, en particulier, celle-là même dont M. Ch. Sainte-Foi s'est servi pour faire sa traduction française (1855) contenait un nombres de sermons dépassant de beaucoup la centaine (1). Elle avait été faite, y est-il dit, d'après les meilleures éditions » déjà parues, lesquelles, sans nul doute, se présentaient comme des copies fidèles d'anciens manuscrits. Nous avons de la peine à comprendre comment cette copie ou ces copies, de quelques années antérieures à celle de (1) « Nous avons retranché, dit M. Ch. Sainte Foi, plusieurs sermons qui se trouvent parmi ceux de Tauler, mais qui sont de Suso, ou de Jean Rusbrock ou de l'un des deux Eckart. >> Cette soustraction faite, les deux volumes que le pieux et savant tertiaire Dominicain a publiés contiennent encore 105 Sermons M. Charles Schmidt, doivent être regardées comme non avenues, tandis que l'édition présente réduisant le chiffre des sermons à 36+45 ferait, seule, prime.. On peut, il nous semble, sans manquer de respect à personne, demander humblement pourquoi l'autorité de M. Charles Schmidt, protestant et rationaliste, dont l'effort constant a été de chercher dans les Mystiques du quatorzième siècle (1) des précurseurs de Hégel et du Panthéisme, devrait être admise sans l'ombre d'une hésitation et d'un doute, alors qu'il n'y aurait pas à faire le moindre cas des auteurs et des éditeurs catholiques nous présentant, avant lui et après lui (Francfort 1824 et 1826, Constance 1850, Ratisbonne 1855) des ouvrages sous le nom de Tauler dont ils prétendaient loyalement eux aussi nous donner des copies sur d'anciens manuscrits. Sans doute que ceux-ci n'étaient pas bons? mais comment le sait-on puisqu'ils ont disparu? Le seul moyen d'en juger, semble-t-il, est de voir si la pensée, la doctrine contenue dans ces prétendues copies s'harmonise avec celle du vrai Tauler dont nous possédons les authentiques. Or, dans les Méditations: sur la Passion, il a déjà paru peut-être au lecteur, i paraîtra mieux encore, nous osons le dire, dans. l'Imitation de la vie pauvre, que ces traités reprodui (1) Etudes sur le mysticisme allemand au XIVe siècle lues à l'Académie des sciences morales et politiques d'octobre 1845 à janvier 1846 et publiées en 1847. Item.- Essai sur les Mystiques du XIV' siècle précédé d'une introduction sur l'origine et la nature du Mysticisme. Thèse présentée à la Faculté de Théologie de Strasbourg, 1836. |