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nous

Dieu. Toute connaissance, en effet, que nous avons de Dieu ou que nous témoignons en avoir, fait que nous nous arrêtons à nous-mêmes. Mais dès lors que comprenons que Dieu dépasse infiniment notre connaissance et que nous sommes obligés de nier tout ce que nous pourrions dire et penser de Lui, nous nous avançons et approchons de la grande Vérité. Plus, en effet, Dieu dépasse la portée de notre entendement et plus Il est exalté en nous, et plus aussi nous descendons dans l'abîme de notre misère, de notre néant, de manière, si j'ose dire, à aller plus loin que l'humilité même. Car enfin cet anéantissement est si pur, si simple, si essentiel, qu'il se trouve au-delà de l'humilité elle-même. Telle est son excellence, sa bonté, sa rareté qu'il est impossible de lui donner un nom déterminé. Plus Dieu est exalté en nous et nous apparaît dans une sorte de connaissance inaccessible, incompréhensible, ténébreuse, et plus notre esprit descend dans une sorte de néant et d'abnégation de lui-même. Et plus il meurt et disparaît, plus il est immergé en Dieu et se perd en Lui.

Or, de même que personne ne peut expliquer en quoi consiste cette merveilleuse immersion en Dieu, de même personne ne pourrait dire la malice et la perversité qui sortiraient de là, quand quelqu'un quitte cet abîme divin, pour se contempler et s'admirer lui-même. C'est là un crime plus grand que l'orgueil. L'excès, l'aversion de Lucifer ne peut pas s'appeler, à proprement parler, de l'orgueil; c'est pire que cela. Se détourner de Dieu pour se tourner

vers soi, quand on en était là, ce serait donc commettre un crime aussi grave et aussi énorme que celui de Lucifer.

Que toutes vos actions, par conséquent, s'appuient sur Dieu et partent de votre fond intérieur, d'une véritable pauvreté d'esprit et d'une résignation totale de vous-même. Puis, ayez pleine et entière confiance en la bonté divine qui ne vous trompera pas et qui ne permettra pas votre perte.

D'ailleurs, il arrive parfois que dans notre esprit brille soudain une sorte d'attrait surnaturel. Cette attraction est si vive qu'on ne peut pas douter que ce ne soit Dieu lui-même, s'offrant au regard de l'âme dans un éclair rapide. Cette vision est si subite, si rapide qu'il ne reste aucune image de ce que nous avons vu; il est impossible de savoir ou de comprendre ce que c'est; mais on comprend avec certitude que c'est quelque chose, encore qu'on ne puisse en définir la nature.

Supposé même que cette lumière n'ait pas excité dans l'âme un grand désir, ni provoqué dans celui qui en a reçu l'éclat une sorte de rénovation; ce n'est pas une raison de croire que c'était là une fausse lumière, mais bien plutôt il faudra conclure que ni l'intelligence, ni les sens n'ont pu la saisir, à cause de sa grande subtilité. Voilà pourquoi aucune image d'elle n'est restée. Si une image s'était gravée dans l'esprit de l'homme ou si l'intelligence en avait saisi quelque chose, ce serait une preuve certaine que ce n'était pas Dieu, encore que ce pût être quelque chose de divin. Car, agir dans le fond de l'âme, seul, l'esprit

T. VIII.

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suprême qui l'a créée le peut ni les anges, ni les démons, ni aucune créature ne le peuvent (1).

Enfin, il nous sera permis d'appeler obscurité et ténèbres l'éclat de cette lumière, si tant est qu'on puisse parler de lumière, à cause de son incompréhensibilité et de notre cécité. Si, de plus, ce resplendissement est si momentané, si court, si subit, cela tient à sa noblesse et à notre petitesse ou encore au regard de notre esprit trop faible pour scruter ces abîmes insondables. C'est, en effet, quand notre intelligence s'applique à saisir cette lumière, que celle-ci s'envole et disparaît. Et ceci est encore un effet de la grande bonté de Dieu pour nous. Il veut par là développer dans ses élus ce qu'il aime le plus : je veux dire la connaissance actuelle de leur propre néant, la soumission présente et complète à Dieu, dans une abnégation sincère du moi, et enfin la rénovation dans le fond de l'âme par la submersion en Lui.

Et maintenant, supposé qu'après avoir reçu cette

(1) Ces considérations, si profondes qu'elles soient, ne laissent pas que de jeter une grande lumière sur la nature de cet esprit (mens) dont Tauler ne cesse de nous parler et dont nous avons tant de fois essayé nous même de déterminer la capacité. Ce fond de notre être est ouvert du côté de l'infini, de Dien, et n'est ouvert que là. D'où l'attrait, le désir de l'infini, de Dieu, que rien ne remplace: c'est notre fin. Nous pouvons dévier, mais nous ne pouvons pas ne pas la vouloir. On a parlé beaucoup, dans ces temps derniers, du pont entre l'infini et le fini. Il est là: Dieu lui-même l'a jeté, par sa grâce, et, sur ce pont, Il peut passer, s'unir à l'âme humaine, à l'esprit (menti) puisque cet esprit est capable de le recevoir, et que par nature, déjà, vaguement, il l'appelle.

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grâce singulière, aimable et mystérieuse, survienne intérieurement dans l'esprit une horrible tentation, ce qui, certes, est possible; si celui qui en est la victime sait sagement en tirer parti, je vous l'affirme, il en recevra plus d'utilité que de tous les dons les plus agréables et les plus gratuits qui pourraient lui être faits. Une tentation, en effet, de cette nature ou toute autre action ou passion qu'il subit le préparent et le disposent admirablement à la réception de ce bien incomparable et très pur. Plus ce bien est ineffable, incompréhensible, inconnu, exempt de toute image et rapide à se manifester, plus il est vrai, sûr, droit, pur, profond, intérieur et utile (1).

(1) N'est-il pas surprenant, vraiment, qu'après avoir parlé de ce transport merveilleux dans l'extase, Tauler préfère l'état d'une âme plongée dans la tentation? Cependant, quand on y refléchit, ce n'est là qu'un commentaire de la parole de saint Paul, qui après avoir été élevé au troisième ciel se réjouissait presque de retrouver la lutte et l'effort: « ne magnitudo revelationum extolat me, datus est mihi stimulus carnis meæ, angélus Satana, qui me colaphizet » (2 Corint., x11, 7).

La perfection ne consiste pas, comme certaines personnes geraient tentées de le croire, dans des faveurs exceptionnelles ou des illuminations qui nous donn. nt un avaat goût du ciel. Ce Font là des grâces gratis datæ qui, à proprement parler, n'ont rien à voir avec la grâce gratum faciens ou sanctifiante. Dans ce monde, la vertu s'acquiert et s'achève dans les combats et les agonies de toute sorte: cirtus in infirmitate perficitur (2 Corinth., XII, 9). L'état normal, permanent, méritoire est celui de la foi, c'est-à-dire de l'obscurité, de l'épreuve, de l'humilité, de la résignation et de l'abandon plein de confiance à la divinité que nous ne voyons pas. Ah! comme ceux qui accusent Tauler d'avoir été un mystique halluciné feraient bien de méditer ces textee!

CHAPITRE XXIII

Que nous devons faire les œuvres extérieures en Dieu, rentrer et rester continuellement en Lui par une humble abnégation ou résignation de toutes choses.

Toutes les fois que pour un motif raisonnable nous devons faire l'office de Marthe et nous livrer à des œuvres extérieures, il importe cependant, autant qu'on peut, et aussi promptement que ce sera possible, de rentrer dans notre intérieur et de reprendre l'exercice de Marie-Madeleine. Nous tâcherons de restreindre les excursions de nos sens au dehors, de ne conserver aucune image des choses qui flattent secrètement notre nature et auxquelles, volontiers, nous nous arrêterions, car nous savons si bien couvrir certains objets du voile de nos excuses! Que chacun donc prenne la résolution de quitter au plus tôt ses attaches extérieures; qu'il rentre dans son intérieur, dans le fond le plus intime de son âme, là où Dieu est on ne peut plus présent, toujours; et là, qu'il se mette à la disposition de son Seigneur, avec une persévérance courageuse, une humble crainte et un profond mépris de lui-même; qu'il soumette son intelligence à Dieu en lui restant immédiatement uni, qu'il veille bien à cela avec une attention de tous les instants.

Oui, il faut que l'intelligence soit réduite, autant que possible, à l'obéissance du Christ; il faut la tenir

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