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CHAPITRE III.

Le Stoïcisme.

Socrate avait fondé la morale, et le démon avec lequel il s'était entretenu avait passé dans l'âme de Platon et d'Aristote. Le Stagyrite avait reconnu les caractères de la sociabilité humaine; et, comme moraliste, il avait mis la vertu dans un milieu, dans un tempérament. Or cette vue de bon sens, qu'il ne faut pas détacher du reste de la théorie péripatéticienne, n'était pas assez entière, assez absolue pour rallier l'humanité et susciter un mouvement nouveau. Ce n'est pas au nom d'un milieu que les nations se remuent, mais au nom d'une idée une, tranchée, qui soumet toutes les autres, qui, si elle les épargne, a au moins la force de les coordonner et de les dominer. La morale péripatéticienne, pratique

ment excellente, ne suffit pas alors aux progrès nécessaires. Autrement, comment Epicure et Zénon eussent-ils songé à dogmatiser? Un homme né à Gargettos, bourg à quelques lieues d'Athènes, chercha à rendre la vertu facile, agréable et commode, dans des intentions pures qu'au surplus, parmi les modernes, Gassendi a complètement innocentées. Epicure met la vertu dans l'art d'être heureux, dans un bonheur aisé et médiocre, dans des mœurs élégantes et de bon goût, qui ne doivent jamais tremper dans aucun extrême. N'ayez pas peur que l'épicurien s'embarque dans un dévoûment périlleux ou dans des opinions décidées qui réclament un prosélytisme ardent ses amis se moqueraient de lui, car il aurait dérangé son bonheur; mais son égoïsme est plus savant, plus raffiné, et place entre lui et les passions énergiques et bruyantes une modération systématique. Une vertu aussi peu héroïque devait sur-le-champ trouver des contradicteurs qui se réfugieraient dans les plus nobles attributs de la nature humaine lâchement désertés par l'épicuréisme, et se feraient de nouveau les soutiens du démon de l'humadité. Zénon, de Cittium, continua la carrière de Socrate et revendiqua les droits de la conscience en attendant le christianisme.

Raphaël, dans son tableau de l'École d'Athènes,

a mis sur le premier plan, et se donnant la main, Platon et Aristote. Il a jeté sur les marches de l'escalier un homme qui sort de la toile; figure pleine de réalité, sans noblesse, mais originale : c'est Diogène. Le cynique se trouve ainsi à la place où l'on renvoie d'ordinaire l'animal qui lui a donné son nom. Diogène fut animé d'un sentiment vrai; il voulait dégager l'indépendance individuelle des illusions sociales, et la saisir aussi bien sous la robe du sénateur que sous la cuirasse du soldat. Quand il cherchait un homme, il avait raison; car c'était l'homme qu'avait cherché Socrate, que plus tard cherchera le Christ : mais Diogène le chercha mal en foulant aux pieds les sentimens sévères et pudiques de la nature humaine. Zénon, qui fonda son école vers la cent vingtième olympiade, avait quelquefois écouté le cynique avant d'enseigner lui-même.

Le stoïcisme a trois parties : la morale est sa raison et son but; la logique et la physique ne sont que secondaires eu égard à la vertu pratique. La Logique de Zénon, où, sur les traces d'Aristote, il essaie une théorie de la perception, nous inquiète peu. Dans sa Physique, il reconnaissait la matière et Dieu. La matière n'a pas été créée ; elle existe de toute éternité; Dieu l'a travaillée et façonnée, et il vit au milieu de ce monde qui est son ouvrage et son temple. Comme la matière

est entièrement inerte, passive, et ne reçoit son animation que de Dieu, la dualité primitive, posée par Zénon, se résout en unité de substance, en un panthéisme incontestable.

Αυτὸν (κόσμον) τε τὸν θεὸν, τὸν ἐκ τῆς ἁπασῆς οὐσίας ἰδίως ποῖος ὃς δὴ ἄφθαρτός ἐστι καὶ ἀγεννητὸς, δη μιουργὸς ὢν τῆς διακοσμήσεως, κατὰ χρονῶν ποίας περ ριόδους, ἀναλίσκων εἰς ἑαυτὸν τὴν απασῶν οὐσίαν καὶ παλὶν ἐξ ἑαυτοῦ γεννῶν *.

Ainsi Dieu, incorruptible et incréé, ouvrier de ce monde, absorbe lui-même toute la substance et la répand harmoniquement en dehors de lui-même. En même temps il est intelligent et parfait, prévoit tout, gouverne le monde par cette prévoyance, et cette prévoyance constitue le destin : θεὸν δὲ εἶναι ζῶον ἀθάνατον, λογικὸν, τέλειον, ἢ νοερὸν ἐν ἐυδαιμονίᾳ κακοῦ παντὸς ἀνεπίδεκτον, προ νοητικὸν κόσμου τε καὶ τῶν ἐν κόσμῳ.

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ἔστι δὲ εἰμαρμένη αἰτία τῶν ὄντων εἰρε μένη, ἡ λόγος καθ ̓ ὃν ὁ κόσμος διεξάγεται **

Si Dieu est le monde lui-même, les développemens du monde sont les lois de Dieu. Tout ce qui se développera sera donc à la fois prévu, arrêté par Dieu et nécessaire comme lui. Let destin et la providence seront donc même chose,

* Diog. Laërt., liv. VIII, chap. 1, parag. 60. ** Ibid., parag. 73 et 74.

et se confondront dans l'unité du panthéisme stoïque. Alors l'homme sera libre en se mettant en rapport avec la nature, et il trouvera la vertu dans la ressemblance avec Dieu. Pour se rapprocher de ce type immortel, il supprimera les passions et les affections de l'humanité, il fera son âme insensible à tout, au plaisir comme à la douleur, ne permettra à rien des créatures et des choses humaines de lui être nécessaire; et s'appuyant sur sa raison solitaire, il contemplera Dieu. Tel est le sage dont Sénèque célèbre la constance: «Non potest ergò quisquam aut nocere

sapienti aut prodesse. Quemadmodum divina >> nec juvari desiderant nec lædi possunt, sapiens >> autem vicinus proximusque diis consistit, >> excepta mortalitate similis Deo. Ad illa nitens, >> pergensque excelsa, ordinata, intrepida, æquali >>> et concordi cursu fluentia, secura, benigna, >> bono publico natus, et sibi et aliis salutaris, >> nihil humile concupiscet, nihil flebit, qui rationi » innixus, per humanos casus divino incedet » animo *. »

Le souverain bien pour le stoïcien sera donc l'honnête et le juste en soi; il pratiquera la justice sans songer à aucune récompense. Voici encore Sénèque qui crie à l'homme : « Te justum

* A. Senecæ, De Constantia Sap., cap. 8.

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