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du cœur, il était conduit à l'oubli de son rôle social, et à l'injustice à l'égard du catholicisme.

Jean-Jacques mourut en 1778, onze ans avant l'ouverture des états-généraux. Il n'y avait pas au côté gauche de la Constituante un homme qui ne fût à vrai dire son disciple; et jamais philosophie n'obtint une exécution si complète de ses maximes. Cette incontestable influence a été généralement salutaire. Otez Jean-Jacques du XVIIIe siècle, n'y laissez que Montesquieu et Voltaire, vous ne pourrez plus expliquer l'insurrection des esprits, leur ardeur à conquérir la liberté, leur enthousiasme, leur foi, les caractères, les vertus, les puissances et les grandeurs de notre révolution, Condorcet, madame Rolland et la Gironde, la tribune de la Convention. JeanJacques a commencé à écrire en 1750; il ne lui a fallu que vingt-huit ans pour retremper le caractère du Français, pour le douer de nouveau d'exaltation, de vigueur et de constance. Si la souveraineté nationale est devenue la base de notre constitution, à qui le devons-nous, si ce n'est à Rousseau? Qu'il n'ait pas été métaphysicien, ni psycologue profond, qu'il ait peu compris et peu connu l'histoire, que parfois aussi quelquesunes de ses maximes aient été follement entendues et commentées, nous ne le nierons pas; mais

nous dirons qu'il en est de la philosophie comme de la liberté, et que quel que doive étre le prix de cette noble liberté, il faut bien le payer aux dieux *

* Dialogue de Sylla et d'Eucrate.

くい

CHAPITRE XI.

Condorcet. - De Maistre. Saint-Simon. Benjamin Constant.

Un jour, pendant la première année de la Constituante, Condorcet développait à ses amis les conséquences sociales de la révolution avec cet enthousiasme qui l'a suivi jusqu'à son dernier soupir. << Mais vous allez plus loin que Rousseau, lui dit quelqu'un. - Sans doute, répondit-il avec une noble audace; Rousseau a fait la philosophie du xviie siècle, je fais celle du xix. » En effet, ç'a été la position de Condorcet de se trouver sur la dernière limite de son siècle en pressentant celui qui allait s'ouvrir; et sa pensée fut véritablement la lettre initiale de la philosophie du XIXe siècle.

Disciple de Voltaire et de Rousseau, il a senti la double et contraire influence de ces deux hom

mes, et, presque seul de leurs contemporains, il savait compléter l'un par l'autre : il passa la première partie de sa vie avec la vieillesse de d'Alembert, la seconde avec la révolution française; géomètre, secrétaire perpétuel de l'Académie des sciences, il trouva le temps d'appliquer aux sciences politiques de grandes facultés. Je néglige quelques mélanges épars pour apprécier uniquement l'Esquisse d'un tableau historique des progrès de l'esprit humain..

Rousseau avait été, dans l'histoire même, insuffisant et léger. La philosophie des faits, l'intelligence de la réalité, cette force de l'abstraction qui s'imprime et s'impose à cette masse concrète, à ce bloc dont l'art seul peut tirer la statue de l'histoire, avait entièrement échappé à Jean-Jacques. Condorcet comprit le dernier de tous les philosophes français du XVIIIe siècle, et le premier du xix, le véritable sens de l'histoire. Il reconnut en elle l'enseignement de l'humanité, et, dans l'exploration des routes déjà parcourues, la raison des progrès et des découvertes à faire. Cette vue, qui est pour ainsi dire le principe dirigeant de notre siècle, appartient originairement à Condorcet. Dans l'exécution, sa main a pu faiblir ; il a pu ne tracer qu'une esquisse; mais dans quel moment écrivait-il? au plus fort et au plus vif de la tragédie révolutionnaire. Si donc

il manque quelquefois de calme et d'impartialité, s'il méconnaît l'autorité nécessaire du sacerdoce dans les premiers temps de la civilisation; si, dans l'intervalle entre sa proscription et sa mort, seul, sans livres, il ne recueille pas tous les faits avec une érudition toujours exacte, il n'y aurait pas moins une folle injustice à nier son génie, ou à s'imaginer l'avoir caractérisé par quelques paroles dédaigneuses.

Le progrès de l'esprit humain, dit en commençant Condorcet, est soumis aux mêmes lois générales qui s'observent dans le développement individuel de nos facultés, puisqu'il est le résultat de ce développement, considéré en même temps dans un grand nombre d'individus réunis en société. Aux yeux du philosophe, l'histoire est en relation intime avec la nature humaine; mais il n'en conclut pas que l'histoire est toujours légitime, parce qu'elle est la production de cette nature. Il en conclut au contraire que, la nature humaine étant progressive et mobile, l'histoire doit reproduire ce progrès et cette mobilité. Le principe dont certains métaphysiciens voudraient tirer l'immobilité du monde, Condorcet s'en empare à son tour dans les intérêts de l'avenir. Le changement est capital; c'est aller de l'esprit humain à l'histoire, faire des idées la condition des faits, subordonner ce qui s'est

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