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sans mollesse et sans volupté. « Ainsi, mon cher >> Glaucon, dit Socrate, lorsque vous entendrez » dire aux admirateurs d'Homère, que ce poète » a formé la Grèce, qu'on apprend en le lisant à >>se gouverner et à se bien conduire dans les » événemens de la vie, et qu'on ne peut rien » faire de mieux que de se régler sur ses pré>> ceptes, il faudra avoir toutes sortes d'égards » et de complaisances pour ceux qui tiennent ce langage, croire qu'ils travaillent autant qu'il » est en eux à devenir gens de bien, et leur ac» corder qu'Homère est le plus grand des poètes >> et le premier des poètes tragiques. Mais en » même temps souvenez-vous qu'il ne faut ad>> mettre dans notre république d'autres ou» vrages de poésie que les hymnes en l'honneur » des dieux et les éloges des grands hommes *.

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En proscrivant Homère, Platon proscrivait le polythéisme, la religion de son temps et de son pays; il demandait que les livres d'Homère, à la fois cosmogonie, épopée, histoire et poésie domestique des Grecs, ne fussent pas reçus dans sa république, c'est-à-dire qu'il fondait un Etat philosophique, novateur, révolutionnaire. Jamais utopie plus audacieuse n'a été offerte à un pays aussi avec quel ménagement, avec quels

* Lib. X.

artifices n'amène-t-il pas ses propositions les plus choquantes! Au commencement, Socrate avait jeté en passant que tout devait être commun, la propriété, les femmes et les enfans. Un des interlocuteurs le tirant par le pan de sa robe : Socrate, tu n'iras pas plus loin; il faut t'expliquer là-dessus. C'est seulement sur cette provocation que Socrate expose la théorie de la communauté. De même il avait annoncé dans les premiers chants du dialogue qu'Homère et les poètes devaient être bannis d'une république parfaite; on le ramène aussi là-dessus, et c'est encore une] sommation nouvelle qui précède cette digression délicate. La morale est invoquée par Platon pour expliquer l'exil d'Homère, mais il y a derrière une pensée plus profonde que la morale, la pensée religieuse. En condamnant les passions dramatiques des héros, Platon renversait la théologie grecque, qui est un indivisible mélange des dieux et des hommes, et qui ne pouvait résister aux réformés de ce spiritualisme égyptien. Au surplus, dans tous les temps, toutes les théologies se sont élevées contre les arts d'imitation, quand ceux-ci ont cessé de les servir et de les célébrer exclusivement. Elles ont condamné la poésie dramatique, reflet orageux de toutes les passions humaines. Bossuet tonne contre les spectacles et les défend aux catho

liques; l'austère Genève ne souffre pas de théâtres dans ses murs, et Rousseau signifie à M. de Voltaire d'aller faire jouer ses tragédies ailleurs. Il n'y a pas de transaction possible entre les grandes ferveurs du spiritualisme religieux et la liberté de l'art. Accordez un peu, si vous pouvez, Bossuet et Molière, Aristophane et Platon.

Il y a si bien une pensée religieuse dans la proscription d'Homère, que Platon aussitôt après enseigne l'immortalité de l'âme, la rémunération de l'homme dans d'autres vies qui doivent suivre son existence actuelle, et que dans un mythe ingénieux, dans le récit de la vision de Her, Arménien, originaire de Pamphilie, il oppose la pureté de ces croyances à la frivole indifférence de son siècle sur la destinée future. « Cette his» toire, mon cher Glaucon, s'est conservée jusqu'à nous; et, si nous y ajoutons foi, elle est » très-propre à nous conserver nous-mêmes. >> Nous passerons heureusement le fleuve d'ou» bli, et nous préserverons notre âme de toute >> souillure; si nous nous en tenons à ce que j'ai » dit, nous croirons que notre âme est immor».telle, et capable par sa nature d'un grand » bonheur ou d'un grand malheur. Nous mar» cherons toujours par la route céleste; nous >> nous attacherons à la pratique de la justice et

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» de la sagesse; par là nous serons en paix avec >> nous-mêmes et avec les dieux; et, après avoir >> remporté sur la terre le prix destiné à la >> vertu, semblables à ces athlètes victorieux » qu'on mène en triomphe par toutes les villes, »> nous serons encore couronnés là-bas, et nous goûterons une joie délicieuse dans ce voyage » de mille ans dont nous avons parlé *. »

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C'est encore dans la République, que, non content de montrer ainsi l'aurore d'un dogme nouveau, Platon à travers de nouvelles images laisse apercevoir les mystères de son ontologie. Il enseigne en substance que ce monde où nous paraissons est contingent et périssable, et qu'il est l'émanation altérée, mais ressemblante, d'un monde supérieur. Ce monde au-dessus de nos têtes est le monde des idées et des essences; ces idées ne sont pas seulement des conceptions et des souvenirs de l'esprit **, mais des types éclatans revêtus de gloire et de lumière, types dont les exemplaires dégénérés constituent le monde que nous habitons. Plus haut encore, par-delà le monde idéal, est le un, bonté, vérité, beauté, qui n'est ni une idée, ni une essence, mais qui, supérieur aux essences et aux idées, les a toutes

* Fin de la République, liv. X.

** Voyez le Menon.

engendrées, raison universelle et dernière de tout ce qui est.

Un autre dialogue du philosophe athénien, qu'il a pu écrire aussitôt après avoir visité l'Égypte, suivant l'ingénieuse conjecture de Tennemann, présente d'une manière plus resserrée, moins adoucie, la théorie de la monarchie théocratique. L'homme d'Etat doit se modeler sur Dieu, modérateur du monde et pasteur des ✔hommes, se façonner autant que possible à cette divine ressemblance, et se sauver de toute analogie avec le peuple qui est gouverné et non pas gouvernant. Semblable à Dieu, l'homme d'Etat est la loi vivante ; il la constitue et se confond ; avec elle. Platon semble avoir concentré dans le Politique toute la substance de la sociabilité orientale. Ast, dans son essai sur la vie et les ouvrages de Platon *. , remarque fort bien que le philosophe a déposé dans ce dialogue le germe de ses derniers et plus beaux ouvrages. Ainsi il y fait découler sa politique de l'ordre de la nature; il met en présence l'univers et la sociabilité, et veut régler l'humanité sur l'harmonie divine qui vivifie le monde. Plus tard Platon a distingué ce qu'il réunit dans le Politique. Dans sa République, il développe à part sa morale et

* Platons Leben und Schriften, Leipsig, 1816.

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