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» et s'il a droit d'appeler au souverain Juge, » comme fit Jephté. » Mais, dans le cours régulier des choses, Locke estime que le peuple, ayant une fois établi et délégué le pouvoir législatif, ne saurait le reprendre, et doit s'en remettre à ses représentans.

Si le Gouvernement civil a servi de base au Contrat Social, si l'ouvrage sur l'éducation a provoqué l'Émile, je ne doute pas non plus que Rousseau n'ait conçu l'épisode de son Vicaire savoyard en lisant le Christianisme raisonnable du philosophe anglais. Il est si vrai que le christianisme ne se confond avec aucune Eglise et aucun gouvernement, et qu'il puise sa grandeur dans l'indépendance de la pensée, que nous verrons désormais tous les philosophes vouloir le ramener à la raison et le réconcilier avec la philosophie. L'Angleterre éprouvait après sa révolution le besoin qui nous travaille aujourd'hui d'épurer les idées et les sectes religieuses. C'est dans cet esprit que Locke a écritson Christianisme raisonnable, livre d'une théologie populaire et pratique où il rappelle que le point capital de la religion chrétienne est de croire que Jésus-Christ fut le Messie, et où il indique pourquoi le Christ, dans ses prédications, ne disait pas ouvertement qu'il était le Messie. Le moraliste anglais a surtout très-bien mis en saillie l'affirmation et l'au

torité avec laquelle Jésus a annoncé aux hommes la croyance en un seul Dieu, l'importance et l'étendue des devoirs moraux. Sans doute, avant le Christ, il y avait eu des sages et des philosophes qui avaient parlé aux hommes de leurs devoirs; <«< mais qui a montré aux hommes l'obligation où >> ils étaient de les observer exactement, et où a»t-on jamais vu un pareil code auquel le genre >> humain ait pu recourir comme à une règle in>> faillible, avant que notre Seigneur eût paru >> dans le monde*? » Si, avant la venue de JésusChrist, la doctrine d'une autre vie n'était pas tout-à-fait inconnue dans le monde, elle n'y était ni évidente ni populaire; la vertu devait être sa récompense à elle-même; le Christ seul a révélé d'une manière positive le dogme de l'immortalité; il a promis expressément les récompenses d'une autre vie, et a donné à la morale une sanction claire et solide.

Quand en finissant, nous jetons un dernier regard sur les deux philosophes anglais, nous voyons Hobbes, plus original, ne jouir que de cette gloire restreinte qui peut s'attacher aux paradoxes du génie. Il s'est enfermé dans son ironie; on l'y a laissé. Mais Locke, aimant l'homme et l'humanité, écrivant pour l'éclairer et la relever, popularisant

* Christianisme raisonnable, chap. XIV.

la tolérance, la morale pratique et la liberté, a exercé sur l'Europe une véritable dictature, et il a bien mérité de la sociabilité humaine.

CHAPITRE VII.

Spinosa.

Descartes avait établi dans le domaine de la pensée l'indépendance absolue de la raison; il avait déclaré à la scolastique et à la théologie que l'esprit de l'homme ne pouvait plus relever que de l'évidence qu'il aurait obtenue par lui-même. Ce que Luther avait commencé dans la religion, le génie français, si actif et si prompt, l'importait dans la philosophie, et l'on peut dire, à la double gloire de l'Allemagne et de la France, que Descartes est le fils aîné de Luther. Le philosophe français trouve à son tour un successeur chez un peuple qui jouissait avec l'Angleterre de la liberté politique et de celle de la pensée. La Hollande éclairait l'Europe par ses universités, la charmait par ses écoles de peinture, lui donnait

le savant le plus ingénieux du xvie siècle, Erasme; le premier publiciste du xvII, Grotius; un des plus grands médecins modernes, Boerhaave; et le métaphysicien le plus original, Spinosa.

Benoît Spinosa avait environ treize ans quand Grotius mourut. Ces deux hommes firent dans leur siècle le même contraste que plus tard Montesquieu et Rousseau. Je ne reviendrai pas sur Grotius*, sur cet illustre soutien de l'autorité et des faits, qui constitua le droit des gens, le rendit humain et chrétien. Quel abîme entre lui et Machiavel! Le secrétaire enseigne aux hommes à se tromper et s'opprimer entre eux; le jurisconsulte du xvIIe siècle adoucit le droit de guerre, introduit la morale dans la diplomatie, et recommande aux rois comme aux sujets de se conduire suivant les maximes de l'Evangile.

L'audacieux philosophe qui a remué tous les penseurs modernes fut, dans sa vie, simple et candide comme un enfant : juif, né à Amsterdam en 1632, il commença par recevoir une éducation hébraïque. Quand peu à peu il eut acquis la conscience de lui-même et de son génie, il se sépara avec une tranquille fermeté de l'orthodoxie de la religion nationale, au grand désespoir de la

* Introduction générale à l'Histoire du droit, chap. 8.

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