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habitations dans des tas de mousse battus par la vague1, abandonnaient froidement les corps de leurs compatriotes à la marée et aux poissons2.

C'était encore dans ces contrées lointaines que les navigateurs avaient découvert une tribu entourée du côté de la terre de rochers inaccessibles, et ignorant (à cette époque) l'art de la navigation; d'où certains Grecs n'étaient pas éloignés de croire que ces bonnes gens vivaient là depuis l'éternité 3.

Pour suivre l'ordre d'Agatharchide en parcourant avec lui l'Ethiopie intérieure, disons d'abord quelques mots de la manière dont il comprenait le cours du Nil. Il savait que le fleuve forine des sinuosités multipliées, mais il plaçait à droite le plus marqué de ces détours ; ce qui est vrai, en un sens, du coude d'Abou-Hamed, puisque c'est celui dont l'angle est le moins ouvert, mais non celui dont la courbe est la plus étendue. Il croyait que, vis-à-vis de cette courbe, un golfe de la mer Rouge, pénétrant dans l'intérieur, interrompt l'aspect du désert par un isthme limoneux 5.

Agatharchide ne désigne les peuples sauvages de cet immense bassin que par des épithètes empruntées à leur genre de vie. Les Rhinophages ou mangeurs de racines et de roseaux, habitaient, dit-il, après les Ichthyophages de l'Astaboras o, mais sans ajouter du reste ni de quel côté ils les bornaient ni quelle partie du fleuve baignait le pays des premiers : en général les indications topographiques étaient, à en juger par les extraits qui nous sont parvenus, très-défectueuses dans cet ouvrage. Je ne connais aucun voyageur moderne qui ait attribué un genre de vie semblable à aucun peuple d'Abyssinie, mais un passage de Ritter nous met sur la voie de l'explication la plus probable de ce texte; il permet de croire, qu'ici comme ailleurs sans doute, Agatharchide a indiqué un

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peuple par une circonstance qui lui a paru caractéristique, sans prétendre résumer ainsi un tableau complet de ses habitudes: les abréviateurs ont omis le reste. Ritter dit en effet : « Les Kyks, peuple qui habite la rive gauche du Ni (vers » le 7° degré de latitude) dans une contrée fort riante, ont des >> mœurs si douces qu'étant en possession de nombreux trou» peaux ils ne tuent jamais un mouton, mais vivent seule»ment de poisson, de blé, de racines et de laitage 1. » Et le missionnaire autrichien Knoblecher ajoute en parlant du même peuple et de leurs voisins les Noers et les Schilluks 2, que ces sauvages font usage pour leur nourriture, à défaut d'autres aliments, d'une plante dont il vient de donner la description et qui a pu être assimilée au roseau par les Grecs qui écrivaient sur des rapports transmis par une voie fort indirecte. Deux pages plus loin, il parle d'un végétal semblable à une très-petite pommie de terre et dont les nègres se nourrissent.

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Knoblecher reconnaît aussi aux Schilluks cette extrême agilité attribuée par Agatharchide aux Hylophages ou Spermatophages *, c'est-à-dire mangeurs de semences, mot qui doit s'expliquer peut-être par le fait dont je parlais dans la phrase précédente; Caillaud parle aussi de l'agilité des nègres de l'Agaro, voisins du Nil bleu 5. Etendre jusque-là et surtout jusqu'an 7 degré de latitude et vouloir reconnaître précisément les Kyks ou les Schilluks dans les tribus que mentionne l'auteur grec, ce serait avoir le fanatisme de la géographie comparée; mais on peut étendre jusqu'au Nil-Blanc les traces actuelles d'un état social que l'écrivain grec a désigné seulement par quelques traits généraux. Tenons compte aussi des migrations probables des tribus qu'un tel genre de vie devait peu attacher à leur sol natal, et du mouvement de recul qu'a pu subir l'état sauvage devant le christianisme des Abyssins depuis 15 siècles et même devant celui des Nubiens au moyen

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âge. Les Arabes aussi ont pu le combattre, et de nos jours les Turcs d'Egypte ont semblé vouloir aussi le faire reculer... à leur manière, par la peur qu'ils font à ces pauvres gens.

A plus forte raison les migrations se conçoivent-elles chez les peuples à vie aventureuse et en particulier chez les chasseurs d'éléphants dont parle ensuite Agatharchide 2. La chasse est aujourd'hui une occupation fort répandue chez les tribus du Nil supérieur 3, bien que Ritter leur attribue surtout le goût de la pêche et les mœurs pastorales et agricoles ; mais il écrivait presque aussitôt après les premières expéditions des Turcs, et malheureusement peu d'années après, Knoblecher, qui confirme en beaucoup de points son langage 5, devait le corriger en disant: « Ces nègres ont été traités avec tant de >> barbarie qu'ils doivent mieux aimer vivre en guerre avec » les bêtes féroces et se nourrir de leur chasse, que de cultiver » la terre, pour abandonner à d'autres le fruit d'un pénible » travail 6. » Quant aux éléphants, il est impossible de nier qu'ils fussent assez nombreux pour servir de nourriture à des tribus entières, quand Salt a vu déposer devant un prince Abyssin 63 trompes de ces animaux tués dans une seule chasse 7 et quand M. Trémaux a vu défiler dans un même jour près du Tomnat, deux troupes l'une de 132 de ces animaux et l'autre de 24 au moins 8.

Si j'avais besoin d'arguments pour écarter des faits rapportés par Agatharchide l'application exclusive qu'on en vaudrait faire à une tribu, j'en trouverais un dans l'expression de Camus, par laquelle il désigne un peuple vivant à l'ouest des chasseurs d'éléphants 2. Evidemment, il s'agit de la race nègre, qui se trouve en effet à l'ouest des sources du Nil-Bleu. Remarquons cependant, et ceci n'est pas sans intérêt peut-être

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' V. Abdallah d'Assouan, dans les Mémoires sur la Nubie de M. Quatremère. V. n. 52-6. - Diod., 111, 25-7.

Ritter, Ein Blick, etc., p. 16.

4 lbid., Cf. 24-6.

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pour la question de la mobilité des caractères de race, que les traits physiques de celle-ci sont répartis avec une grande variété de types chez les peuples riverains du haut Nil 1, où ils établissent des transitions multipliées entre les habitants du Soudan et les Sémites d'Abyssinie. Le nez épaté ne se trouve point chez les Hélyab, non plus que le front déprimé, les cheveux courts ni les grosses lèvres 2, tandis qu'en général, après le Fazogl, « on trouve la race nègre proprement dite, » avec les cheveux crépus, les pommettes et les lèvres saillantes » et le nez déprimé, » sans néanmoins avoir « le front bas et » fuyant 3. » Agatharchide place encore à peu de distance de là, au sud des chasseurs d'éléphants, les Ethiopiens mangeurs d'autruches. Salt nous apprend que l'autruche représentée d'ailleurs dans une ancienne sculpture égyptienne 5, se trouve encore dans les terres basses situées au nord de l'Abyssinie o. Elle se trouve aussi en grande quantité au sud de cette dernière contrée, dans le royaume de Choa 7.

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Rien d'invraisemblable donc dans ce fragment d'ethnographie éthiopienne; mais en est-il de même de ce que dit Agatharchide dans les paragraphes suivants? C'est d'abord un peuple de petite taille et de couleur noire à qui l'auteur donne le nom d'Acridophages, parce qu'ils vivaient de sauterelles : Diodore dit qu'ils habitaient loin de la mer, sans s'expliquer autrement sur le lieu de leur résidence. Que les sauterelles existent en quantité innombrable dans l'est de l'Afrique et y dévastent les campagnes, le fait est bien connu 10; que les indigènes en usent comme aliment (d'une certaine espèce au moins) on le sait encore 11; mais la pensée d'Agatharchide est

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'Jacobs, Revue des Deux-Mondes, 15 oct. 1856.

2 Knoblecher, p. 27.

3 Trémaux, ubi supra.

4 Agath., n. 57.

5 A Beit-Oually, Cf. Caillaud, ch. 34, 43.

62 vol., appendice, 11.

7 Revue des Deux-Mondes, 1er juillet 1841.

8 Agath., n. 58.

" Diod., III, 29.

10 V. Salt, ubi supra.

"Ibid., ch. 4. - Maltebrun, ch. 161 de l'édit. de 1845.

qu'elles sont le fond même de la nourriture de ce peuple, et il attribue à ce genre de nourriture la mort précoce et cruelle qui atteignait l'un après l'autre les habitants de ce pays. On ne concevrait pas qu'un pareil fait, une fois constaté, eût continué à se produire, et que les Acridophages n'eussent pas cherché s'il le fallait une autre patrie; on ne peut admettre que conime temporaire ce que l'auteur grec a pris pour un état constant. Le dernier peuple qu'il connût au midi, était celui des Cynamolges, se nourissant du lait de leurs chiens 1.

Il reste enfin à dire quelques mots de ces Troglodytes qu'Agatharchide dépeint comme descendus au dernier rang de l'abjection physique et morale, n'ayant pas même ce respect des morts qui survit à tant de sentiments sociaux et s'amusant à défigurer à coups de pierre les cadavres de leurs compa triotes 2. Ces peuples étaient pasteurs, et se faisaient la guerre au sujet de leurs pâturages. On les reconnaîtra si l'on veut dans les Chilos et les Hasortas de la côte d'Abyssinie. << Comme » les anciens Troglodytes, dit Malte Brun 3, ces peuples ha» bitent le creux des rochers ou des cabanes faites en jonc et >> en algues. Pasteurs, ils changent de demeure selon que les » pluies font éclore un peu de verdure sur ce sol brûlé. » Quant Agatharchide raconte que ces Troglodytes ne connaissent pas le sommeil, il est bien permis de ne pas le croire; mais, si l'on rejette comme une odieuse absurdité le suicide forcé ou le meurtre de leurs vieillards et de leurs infirmes on devra compter avec le récit suivant que Lepsius 4 tenait d'Osman Bey, « fixé depuis seize ans déjà dans la Nubie »`méridionale, qui connaissait à fond les limites les plus recu» lées de l'empire de Méhémet-Ali, et qui assurément n'avait » jamais lu Agatharchide.

» Osman avait le premier aboli l'usage qui existait dans le » pays du Fazogl d'enterrer vits les vieillards, quand ils de» venaient faibles. On creusait un puits, et, au fond une entrée 1 Agath., n. 60.

2 Ibid., n. 61, 63.

3 Livre 161.

Cependant Salt (ch. 6), n'a pas trouvé sur les flancs de Taranta les habitations de Troglodytes que Bruce prétendait avoir vues, et ne croit

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