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jusque dans un fétu, dans le moindre atome perceptible; ou l'intelligence n'est point dans la matière, et alors toutes les combinaisons les plus imaginables d'atomes similaires ne pourront jamais rien produire d'intellectuel ni composer un' être intelligent.

Cependant il a suffi à toute la docte antiquité que cette idée ait passé par la tête d'Epicure pour se partager entre lui et Platon, avec une préférence marquée pour Epicure. Elle n'a pas jugé un des deux systèmes moins rationnel que l'autre. Et pourquoi s'en étonnerait-on? Au fond, y a-t-il tant de différence entre un système qui, mixtionnant coéternellement l'esprit et la matière, en vient pour dernière ressource à faire de la matière avec de l'esprit et un système qui fait de l'esprit avec de la matière? De bonne foi, la création est-elle plus étrange, plus inconcevable que de telles hypothèses? St Paul ne le pensait pas, puisqu'il jugeait les philosophes inexcusables de n'avoir pas reconnu au spectacle de l'univers un Dieu créateur 1. Vouloir absolument mesurer les œuvres et les pensées de Dieu aux nôtres, quand nous avons tant de peine à nous connaître nous-mêmes, voilà qui est véritablement étrange.

La création dépasse, sans doute, notre intelligence, comme tout ce qui est de Dieu, mais elle a certes de quoi satisfaire la raison. Ce que nous y pouvons aisément comprendre, c'est que la puissance infinie s'y révèle incomparablement. Et il faut bien que cette idée ne soit pas d'invention humaine, puisque les hommes, loin de la revendiquer, ont pris à lâche de la défigurer, qu'ils n'ont pu néanmoins l'abolir et qu'elle a traversé tous les temps, toutes les erreurs, pour reparaître plus éclatante avec l'Évangile. La théogonie d'Hesiode avait encore laissé à l'ignorante et fabuleuse Grèce un souvenir de cette antique tradition 2 qui se retrouve encore, à 900 ans de

' Ad Romanos, I, 19, 20.

2 Certains savants regardent la théogonie d'Hésiode comme « la première ⚫ tentative considérable faite pour systematiser les traditions religieuses des >> Grecs et donner à ce peuple artiste, dans la mesure de son caractère et de l'esprit du temps, une sorte de théologie. » C'est avoir la vue un peu courte que de ne rien apercevoir au delà d'Hesiode. Appeler travail systématique un

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distance, en têle des poésies d'Ovide 1. Dans cet intervalle, les, théâtres avaient entendu les poëtes tragiques, comme Eschyle, Sophocle, Euripide, Philémon, Ménandre, Diphile, Théaride, rappeler au vulgaire les notions d'une sagesse toute-puissante et créatrice, en traitant même assez clairement d'insensé le culte des idoles 2. Mais on était venu à ce point d'aveuglement, qu'on n'y faisait plus attention, que ces retentissements de vérité passaient comine de vains sons. La formation accidentelle de l'univers par l'assemblage présumé des atomes similaires, ensuite, la production de l'organisme animal par les longues et incertaines ébauches de la fermentation, et, en conséquence, la vie toute brute des premiers hommes étaient tenues pour autant d'axiomes scientifiques et faisaient déraisonner le plus tranquillement du monde les plus fins esprits.

C'est d'abord le poëte Lucrèce, qui ne connaît que deux principes également éternels, la matière, l'espace ou le vide 3. Il se démène de toutes ses forces pour nous montrer que la matière et le vide, ou le lieu, ne peuvent se passer l'un de l'autre; d'où il arriva qu'un beau jour,

Pourquoi, quand et comment, on ne le saurait dire,

la matière et le vide, apparemment las de leur repos, se

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faible écho des croyances de l'Asie, c'est prendre pour un source un ruisseau perdu dans un marécage.

Metamorphos., 1, 1 et suiv. Les six jours n'y sont pas marqués, mais l'ordre en est à peu près suivi avec une assez notable ressemblance au récit de la Genèse, ce qu'on ne peut attribuer au savoir du poëte ni à sa profonde méditation.

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2 S. Justin, Cohort., 15 à 19, tout l'opuscule, de Monarchid; Clem. Alex, Cohort. 10, Strom., v, 2, 6, 7; vi, 1. Ils citent tous deux les poésies d'Orphée et des Sibylles. Peu importe que ces compositions ne soient point authentiques, puisqu'elles avaient cours, et qu'elles attestent ainsi la notoriété d'un ancien et persistant enseignement. Le païen Macrobe à la fin du 4° siècle, mentionnait encore les poésies d'Orphée, comme une source de doctrine: Comment. in somnium Scip., 1, 2 et Saturn., 1, 18, où il rapporte en deux extraits 24 vers d'Orphée. Nous verrons plus tard comment dans les derniers temps qui précédèrent l'Évangile, la vérité traditionnelle était plus généralement répandue. 3 De rerum Natura, liv. 1, v. 331, 510, 420:

Omnis, ut est, igitur, per se Natura duabus
Consistit rebus; nam corpora sunt et inane.

mirent en mouvement par le moyen de la nature, qui avait son dessein 1. Et cette nature, qui n'est rien par elle-même, mais qui vient toujours à propos tirer Lucrèce d'embarras et bien d'autres raisonneurs, opéra la séparation des éléments et tout ce qui s'ensuivit. C'est ainsi que la terre, après avoir produit l'herbe, les arbres, enfanta les animaux, y compris les humains. Mais il paraît bien que ce n'était pas chose facile, même à la nature, qui n'avait pas encore été mise à pareille tâche. Elle s'y reprit à plusieurs fois avant de réussir, et se trompa souvent; les uns se trouvèrent sans pieds, les autres. sans mains, sans têtes, ou tous les membres collés ensemble; à la fin, il n'y manqua rien, et l'homme, parfaitement confectionné, eut la satisfaction de courir les champs et de vivre comme les autres bêtes 2. Tout cela est le chef-d'œuvre de l'amphigouri et l'abîme du non-sens.

'De rer. Nat., I, v. 552:

Denique si nullam finem Natura parasset
Frangendis rebus, jam corpora materiaï
Usque redacta forent, ovo frangente priore,
Ut nihil ex illis à certo tempore posset

Conceptum, summum ætatis pervadere florem.

N'oublions pas que le temps et la nature ne sont pas des principes, pas même des agents dans ce système ; ce système les emploie seulement comme des mots très utiles pour tenir au besoin la place d'une idée et d'une explication.

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Denique ni minimas in parteis cuncta resolvi

Cogere consuesset rerum Natura creatrix,

Jam nihil ex illis eadem reparare valeret.

Liv. v, 428: Propterea fit, uti magnum volgata per ævum
Omnigenos cœtus, et motus experiundo,

Tandem ea conveniant, quæ conjuncta, repentè
Magnarum rerum fiant exhordia sæpè,

Terraï, Maris et Cœli generisque Animantum.

Liv. v, 794: Linquitur ut meritò maternum nomen adepta
Terra sit, è terrà quoniam sunt cuncta creata,
Multaque nunc etiam existunt animalia terris,
Imbribus et calido solis concreta vapore.

Liv. v, 819: Quare etiam atque etiam maternum nomen adepta
Terra tenet meritò, quoniam genus ipsa creavit

Humanum ; atque animal propè certo tempore fudit
Omne, quod in magnis bacchatur montibu'passin.

Liv. v, 835: Multaque tum Tellus etiam portenta creare
Conata'st, mirâ facie, membrisque coorta,

Le long poëme de Lucrèce est d'un insupportable ennui; quelques moralités communes assez bien tournées, quelques traits satiriques assez bien frappés et l'amorce toujours si agréable aux païens de quelques peintures lascives, ne suffisaient certainement pas pour en soutenir la lecture Cet abject galimatias de physiologie et la réputation de son auteur 1 ne prouvent qu'une chose, c'est l'assentiment général à la théorie d'Epicure, du moins touchant la formation du monde et du genre humain.

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Cicéron qui, dans l'âge mûr, avouait que le poëme de Lucrèce ne brillait pas par la clarté, professe, sans la moindre hésitation, la stupidité primitive des hommes, dans un écrit de sa jeunesse, lorsqu'il ne s'occupait guère de philosophie 2. Il faut voir avec quelle assurance, peu de temps après lui, Horace nous représente les «premiers humains, muet et hideux bé» tail, se disputant le gland et les tanières à coups de poings, » puis à coups de bâtons et avec les armes que l'expérience

Orba pedum partim, manuum viduata vicissim,

Muta sine ore etiam, sine voltu cæca reperta,

Vinctaque membrorum per totum corpus adhæsu.

« Cependant, dit le poëte, la terre et la nature ne firent jamais de centaures ni aucune espèce mi-partie, car, malgré 1 ur inexpérience, elles observèrent toujours exactement la règle des agrégats similaires; ce que l'esprit le plus borné comprend aisement. »

880: Id licet hinc quamvis hebeti cognoscere corde.

Et le poëte étend cette explication en quarante vers; enfin le genre humain reçoit sa dernière façon :

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923: Et genus humanum multò fuit illud in arvis

Durius, ut decuit, Tellus quod dura creasset,

Et majeribus et solidis magis ossibus intus
Fundatum, et validis aptum per viscera nervis....
Volgivago vitam tractabant more ferarum.

Ovid. Am, I Eleg. XV, 23:

Carmina sublimis tunc sunt peritura Lucretî

Exitio terras cum dabit una dies.

Cic., Ep. ad Quintum, 11, 11: «Lucretii poemata, ut scribis, ita sunt non multis luminibus ingenii, multæ tamen artis. (De Invent., 1, 2.) Nam fuit quoddam tempus cum in agris homines passim, bestia am modo, vagabantur, et sibi victu ferino vitam propagabant; nec ratione animi quidquam, sed pleraque viribus corporis administrabant, etc. » Et cependant il ne dit point que les hommes fussent sans langage; son bon sens apparemment trouvait cela trop invraisemblable.

» fabriqua plus tard, jusqu'à ce qu'ils se fussent fait un lan» gage, des villes et enfin des lois ; » comme si les lois n'avaient pas nécessairement précédé les villes, comme si la réflexion, l'expérience et une fabrication quelconque eût été possible avant de parler, à moins que par l'acquisition du langage nous ayons perdu la faculté de fabriquer naturellement, sans réflexion ni communication d'idées. Toute cette tirade d'assertions et de conséquences à contre-sens est lue tous les jours comme un piquant assemblage d'ingénieuses pensées. Horace y répète, en résumé, la leçon de Lucrèce, sans s'apercevoir que son maître fournit lui-même contre sa propre théorie deux invincibles objections; car, selon Lucrèce, il faudrait être fou pour croire que la parole ait été inventée par quelqu'un et enseignée aux autres 2. Avec cette double impossibilité, comment les hommes sont-ils donc parvenus à parler? Rien de plus simple, répond Lucrèce; n'avaient-ils pas une voix et une langue? et les autres animaux ne s'entendent-ils pas à leurs cris de joie, d'effroi ou de fureur? Les hommes n'avaient pas d'abord d'autre procédé, et à la longue, ces cris informes se sont perfectionnés en se multipliant, selon les besoins et les circonstances, et la parole s'est trouvée faite. Voilà pourquoi les hommes ne sont plus muets. Lucrèce et Sganarelle sont arrivés à une conclusion contraire par la même manière de raisonner 3.

I Sat. m, v. 99:

Quum prorepserunt primis animalia terris,

Mutum et turpe pecus, glandem atque cubilia propter
Unguibus et pugnis, dein fustibus, atque ita porro
Pugnabant arinis, quæ post fabricaverat usus,
Donec verba, quibus voces sensusque notarent,
Nominaque invenère; dehinc absistere bello,
Oppida cœperunt munire, et ponere leges,
Ne quis fur esset, neu latro, neu quis adulter.

De rer. Nat., v. 1040:

Proinde putare aliquem tum nomina distribuisse
Rebus, et inde homines didicisse vocabula prima,
Desipere'st; nam cur hic posset cuncta notare
Vocibus, et varios sonitus emittere linguæ,

Tempore eodem alii facere id non quisse putentur?

3 Voy. dans les notes du poëme de la Religion par Louis Racine, l'histoire de

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