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à l'esprit le loisir de s'instruire. Les belles lettres sont volontairement cultivées par quantité d'ouvriers; mais on n'oblige que certains jeunes gens d'élite à suivre les leçons publiques, données tous les jours avant le lever du soleil. Ce sont eux qui forment la classe des lettrés, seule aristocratie reconnue dans la république d'Utopie. Pourquoi demande-t-on aux citoyens si peu d'heures de travail ? C'est qu'il n'y a là ni moines inactifs, ni vagabonds, ni mendiants, ni riches oisifs, ni arts inutiles et corrupteurs qui diminuent le nombre des ouvriers utiles.

Ce qui regarde le commerce mérite quelque attention. Les Utopiens sont approvisionnés pour deux ans. L'exportation du superflu est permise. Le septième de leurs marchandises est donné aux pauvres des pays où ils vont commercer. Ils vendent le reste à un prix très modéré. La plus grande partie des affaires se traite avec du papier. Les corps municipaux des villes sont chargés du recouvrement. Ils jouissent des sommes recouvrées, jusqu'à ce qu'elles soient réclamées. Chez les Utopiens il n'y a nul cours d'espèces. Leur vaisselle est de terre cuite ou de verre. Elle est aussi propre qu'agréable. L'or et l'argent sont réservés pour les vases nocturnes et les ustensiles les plus vils. On en fait de fortes chaînes pour attacher les pieds et les mains des esclaves qui chez eux ne sont que des condamnés. Ceux qui sont notés d'infamie portent comme punition des pendants d'oreilles en or, une quantité prodigieuse de bagues et de colliers avec une large plaque du même métal sur le front. Les perles et les diamants servent aux petits enfants d'ornements et de joyaux. Hythlodée raconte plaisamment la mésaventure d'une ambassade qui se présenta couverte d'or et de pierreries. Elle fut moquée et bernée de toute manière par les Utopiens ennemis du faste et de la pompe extérieure qui ne leur inspirent que du mépris.

Dans cette république, on trouve certains principes de gouvernement dont les États de l'ordre réel peuvent faire

leur profit. Les affaires y sont toujours expédiées avec la plus grande diligence. Dans le conseil du président, on ne décide rien sans que la motion en ait été faite et admise en plein Sénat trois jours auparavant. Une coutume strictement observée, c'est de ne jamais trancher une question le jour où elle est proposée. On en remet toujours la décision à la séance suivante, afin d'éviter les mesures précipitées.

La tolérance n'est pas, comme on l'a dit, l'indifférence; c'est le respect de la liberté humaine qui est l'œuvre de Dieu. Chez les Utopiens, il y a tolérance parfaite pour les diverses religions. Vouloir contraindre les consciences, c'est à leurs yeux une tyrannie révoltante. La douceur, la patience, la persuasion, tels sont chez eux les moyens légitimes de prosélytisme. Ils croient à la puissance de la vérité qui finit toujours par triompher. Ils punissent le zèle indiscret et les déclamations outrées, comme séditieuses et capables de troubler la paix publique. Le matérialisme qui nie l'immortalité de l'âme, et à plus forte raison l'athéisme, ne sont pas tolérés en Utopie. Mais les matérialistes et les athées ne sont ni tourmentés ni envoyés au supplice. On ne les force même pas à déguiser leurs sentiments. Tout mensonge et toute hypocrisie sont en horreur chez les Utopiens. Mais défense leur est faite de dogmatiser publiquement. Morus, plus tard devenu chancelier, fit emprisonner un certain nombre de novateurs qui propageaient leur doctrine par des déclamations diffamatoires et des menées séditieuses. De nos jours, on lui a reproché cette rigueur comme étant en contradiction avec les principes de l'Utopie. Ce qui précède réfute cette accusation. Pour Morus et même pour Erasme, la tolérance doit s'arrêter là où la sédition commence.

Dans la république d'Utopie le divorce est permis, mais seulement en cas d'adultère bien prouvé (1). L'adultère, à peu

(1) Au sujet du divorce, Érasme pensait à peu près comme Morus.V. plus haut, ch. VIII. Il n'approuvait pas les mariages clandestins. Quant à ceux qui étaient contractés en secret sans le consentement

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près impuni ailleurs, entraîne chez les Utopiens la peine de l'esclavage. La rechute est punie de mort sans miséricorde. Là se trahit encore le caractère critique de l'Utopie; car la servitude est la peine des crimes même les plus graves. Aussi rigoureuse que la peine de mort pour les scélérats, elle est plus utile pour la république. Ils sont pour les autres un exemple toujours présent.

Les Utopiens pratiquent l'intervention en faveur des nations opprimées (1). Persuadés que la bonne foi est la sauvegarde des empires, ils regardent les traités comme inutiles. En effet, chez les autres peuples, les conventions sont étrangement violées. Hythlodée fait ironiquement une exception pour les États chrétiens. « Mais, dit-il, chez les peuples non chrétiens, plus on multiplie les cérémonies solennelles, plus les traités sont fragiles. Les termes ambigus, les clauses captieuses ne font jamais défaut. Les plénipotentiaires les emploient à dessein et se permettent une duplicité qu'ils puniraient sévèrement chez les particuliers. Ils regardent sans doute la probité comme une qualité vulgaire, ou bien ils distinguent deux espèces de probité, l'une pour le peuple, l'autre plus élevée et plus libre pour les princes et les grands. Celle-ci est la vertu favorite des rois. » Morus parlait en connaissance de cause; il avait déjà été ambassadeur.

Il est temps de conclure: Dieu a mis dans le cœur de l'homme deux sentiments, deux principes d'activité, qui, comme un double foyer, animent la vie individuelle et la vie sociale; j'entends l'amour de soi et l'amour de ses semblables. Mais développés sans mesure et à l'exclusion l'un de l'autre, le premier engendre l'égoïsme, un individualisme

des parents, il était d'avis qu'on devait les regarder comme nuls. Il exprimait un vœu digne d'être remarqué. Il désirait qu'un mariage ne fùt valide qu'après que les parties, accompagnées de témoins, auraient déclaré leur volonté de se marier devant des magistrats désignés à cet effet, laquelle déclaration serait consignée sur un registre et conservée. V. t. V, p. 649 et suiv.

(1) Ici Morus est d'accord avec Machiavel.

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effréné; le second aboutit à l'absorption de l'individualité libre dans la communauté sociale. Ces deux principes contraires sont représentés dans la philosophie par deux grands noms, Aristote et Platon. Le christianisme les a conciliés dans l'harmonie à l'aide d'un troisième principe, l'amour de Dieu dont le germe est aussi en nous. A la fin du xv° siècle, l'égoïsme sans frein et sans pudeur rongeait la société chrétienne et corrompait la politique. C'est alors qu'Érasme et Morus ont rappelé aux hommes et surtout aux puissants de la terre la communauté idéale de Platon, la communauté réelle du christianisme naissant, pour réveiller dans les âmes les principes de l'humanité, de la justice et du dévouement, si étrangement oubliés. De là est née l'Utopie, type imaginaire, souvent bizarre, présenté en contraste avec la société réelle pour mettre en saillie et en relief sous une forme piquante ses abus et ses vices, pour en montrer la source et en préparer le remède.

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CHAPITRE XIII

Érasme prédécesseur de l'abbé de Saint-Pierre.

Moyens qu'il

propose pour faire cesser la guerre et rendre la paix durable entre les nations chrétiennes.

I

On a souvent reproché à Érasme la mollesse flottante de sa pensée; mais s'il est un point sur lequel il ait été ferme et n'ait jamais varié, c'est la guerre. Il ne la condamne pas cependant d'une manière absolue; passant en revue les hérésies qui, moins éloignées de la piété, exigent par excès de zèle plus qu'il ne faut, il range dans cette classe l'erreur de ceux qui ont voulu interdire toute guerre entre les chrétiens (1). Quelquefois même il ne semble pas loin de penser, sur la destination providentielle de la guerre, comme le comte de Maistre. « Il est sans doute plus heureux, dit-il, d'éviter la guerre que de la faire courageusement. Mais la paix ne peut être de longue durée, ou bien elle engendre la corruption des mœurs, à moins que les conseils d'hommes sages ne la gouvernent (2). »

Au fond il ne croyait la guerre permise que dans le cas de légitime défense. Il ne l'approuvait même pas contre

(1) T. III, p. 573.
(2) T. III, p. 1810.

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