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mence l'étude des arts libéraux; et cependant ces préludes d'initiation seraient plus dignes d'un bourreau, d'un marchand d'esclaves, d'un matelot, que d'un enfant destiné au culte sacré des Muses et des Grâces. Il est étrange qu'une jeunesse adonnée aux études libérales se porte à ces excès insensés. Il est plus étrange encore qu'ils soient autorisés par la coutume. Mais qu'est-ce qu'une mauvaise coutume, sinon une erreur invétérée? Elle doit être extirpée avec d'autant plus de zèle qu'elle s'est propagée davantage. » Tel était le caractère dur et barbare de l'éducation.

II

Les méthodes d'enseignement ne montraient pas moins la rudesse de l'époque. Elles avaient quelque chose d'aride, d'âpre, de repoussant pour de jeunes intelligences. Pendant plusieurs années on torturait les enfants sur les modes de signification, sur de petites questions d'analyse et sur d'autres riens fort niais, pour ne leur apprendre, au bout du compte, qu'à mal parler. Les maîtres, ne voulant point paraître enseigner des choses enfantines, obscurcissaient les études grammaticales des difficultés de la dialectique et de la philosophie (1). Aussi, contrairement à l'ordre naturel, après avoir étudié de plus hautes sciences, les écoliers étaient-ils obligés de revenir à la grammaire. Quand le goût de la Renaissance se fut emparé des esprits, on vit des théologiens sensés, pourvus de tous les grades, reprendre par nécessité ces livres qu'on expliquait d'ordinaire aux enfants.

Le traité d'Aristote sur l'interprétation offrait à la Scholas

(1) On lit dans Vossius : D'ordinaire on farcit la grammaire de considérations tout à fait philosophiques qui ne peuvent être comprises des enfants, et alors la grammaire devient pour eux une vraie torture, carnificina. Sans doute ces choses doivent être apprises un jour; mais il faut attendre que l'âge et les études soient plus avancés. De ratione studiorum, 12.

tique l'exemple de cette confusion de la grammaire avec la dialectique. Elle l'avait suivi avec cette prédilection qui la portait vers les recherches subtiles. Même beaucoup plus tard, après le mouvement imprimé par la Renaissance, Érasme se plaignait encore de ce que l'on faisait passer les enfants, à peine imbus des premiers principes de la grammaire, à l'étude d'une dialectique épineuse et compliquée outre mesure, où ils désapprenaient nécessairement tout bon langage. Le raisonnement tuait le goût, quand il ne tuait pas la raison. Il arrivait alors ce que l'on a vu de nos jours chez certains jeunes gens, bien doués d'ailleurs, qui, appliqués aux sciences exactes, sans avoir en littérature et en grammaire des connaissances suffisantes, parlaient, écrivaient et raisonnaient dans un langage inouï. Il eût été bizarre que l'éducation scientifique nous cût replongés dans la barbarie d'où la Renaissance nous avait fait sortir.

Mais pour revenir à ce qui se pratiquait vers la fin du XVe siècle, des premiers éléments de la grammaire, on passait à la lecture des livres scolastiques, écrits dans un latin étrange, hérissés de subtilités fastidieuses. Point de goût, point de littérature. Au lieu de nourrir l'esprit par l'étude des bons écrivains de l'antiquité, on mettait entre les mains de la jeunesse des auteurs inconnus aujourd'hui, Pater meus, Maître Ébrard, Jean de Garlande (1). C'étaient les manuels du temps; c'était par eux que les écoliers étaient formés à l'école de Deventer où Érasme fut envoyé dans sa neuvième année. A Paris, l'enseignement était peut-être encore plus scolastique. On apprenait d'abord le Doctrinal d'Alexandre de Ville-Dieu, en vers léonins, grammaire latine élémentaire. Dès lors l'écolier ne lisait guère que du mauvais latin et le plus souvent du latin d'église. La théologie, dont la Sorbonne

(1) Ébrard, auteur d'un livre en vers intitulé: Græcismus. C'est un mélange confus de notions de rhétorique, de prosodie et de grammaire. Jean de Garlande, contemporain de Guillaume le Conquérant, a composé un traité De modis significandi.

était comme la grande citadelle, dominait tout au collège de Montaigu. Les murailles même, suivant l'expression d'Érasme, y respiraient l'esprit théologique.

Ce que nous disons de la France et des Pays-Bas peut se dire également des autres contrées de l'Europe, l'Italie exceptée. Une rhétorique abstraite et sèche, sans moelle et sans séve, une dialectique subtile et raffinée, mais vide et enveloppée de replis inextricables, l'étude des Analytiques, des Sophistiques, des Topiques, des Ethiques d'Aristote : tel était, dans son degré le plus élevé, l'enseignement profane qui s'offrait à la jeunesse en Allemagne, en Angleterre, en Espagne, comme en France et dans les Pays-Bas. « Dieu immortel! disait Érasme, quel siècle que celui où l'on expliquait aux jeunes gens en grand appareil avec des commentaires laborieux et prolixes les distiques greco-latins de Jean de Garlande (1), où l'on passait une grande partie des heures à dicter, à répéter, à faire réciter des vers ridicules; où l'on dictait, où l'on expliquait, où l'on apprenait par cœur Ebrard, Florista et Floretus; car je place Alexandre parmi les auteurs supportables! Le Catholicon (2) était dans toutes les églises. Combien de temps perdu dans la sophistique, dans les inutiles labyrinthes des dialecticiens, et, pour ne pas être trop long, de quelle manière confuse et rebutante étaient enseignées toutes les sciences! Chaque professeur, pour faire montre de son savoir, voulait dès le principe introduire de force dans l'esprit de ses élèves les préceptes les plus difficiles qui souvent n'étaient que frivoles. >>

Dans sa critique, Erasme n'épargnait pas l'organisation des écoles publiques. Les universités étaient richement dotées et admirablement ordonnées en apparence. Chacune d'elles formait une sorte de royaume littéraire. Elles étaient souveraines chez elles. Les écoles inférieures ou secondaires n'a

(1) Voir, à la fin du volume, la note A.

(2) Ouvrage d'un dominicain appelé Balbi.

vaient pas été l'objet d'un moindre soin. Les prêtres et les magistrats en partageaient la direction; mais les prêtres avaient la meilleure part. On avait ajouté un administrateur appelé scolaster. Sous lui étaient les professeurs. « Cette vigilante sollicitude, disait Érasme avec ironie, a laissé régner pendant plusieurs siècles une barbarie s'épuisant en efforts stériles. Les évêques regardaient cette affaire comme indigne de leur attention. Les scolasters s'occupaient de toucher les revenus plutôt que de diriger l'école. Ils croyaient avoir rempli leur devoir, quand ils ne prélevaient pas la dîme sur les professeurs. Dans les chapitres des chanoines, le parti le plus mal intentionné dominait d'ordinaire; les magistrats manquaient de jugement ou sacrifiaient aux passions privées.

Quant aux monastères et aux colléges des frères, moitié moines, moitié laïques (1), d'origine assez récente, Érasme les accusait de rechercher le gain, d'élever dans leurs retraites un âge novice à l'aide d'hommes peu instruits ou plutôt mal instruits, quelquefois même peu chastes et peu sensés. « D'autres, disait-il, peuvent approuver ce genre d'éducation; pour moi, je ne le conseillerai jamais à celui qui désire pour son fils une éducation libérale. Chez ces maîtres grossièrement instruits, esclaves, étrangers aux mœurs et au sens commun, la vigueur native des esprits est étouffée et remplacée par une sorte de pharisaïsme dégradant qui corrompt un naturel noble et généreux, et introduit dans de tendres âmes quelque chose de servile et de bas. On voit même souvent sortir de ces retraites des êtres qui deviennent plus arrogants que les autres, avec moins de franchise, plus de détours et moins de noblesse dans les sentiments. » « Je

(1) Ces frères, appelés par Érasme Collectionarii, formaient un ordre intermédiaire entre les moiues et les laïques. Ils ne faisaient pas de vœux irrévocables. La lettre à Grunnius, t. III, p. 1822, donne des détails intéressants sur cet institut. Voir aussi le De pronuntiatione, t. I, p. 921 et 922.

n'approuve pas, ajoutait-il, ceux qui, entourés eux-mêmes de ténèbres, entraînent les enfants dans un endroit ténébreux et leur enseignent impunément ce qu'il leur plaît. » Tels étaient les reproches passionnés qu'il adressait à l'éducation monastique.

Point d'école ou une école publique, voilà son principe. A vrai dire, il préférait l'éducation privée à l'éducation commune. « Ce qui se fait vulgairement, disait-il, est plus simple et plus court. Il est plus facile à un homme de contraindre un certain nombre d'enfants par la crainte, que d'en élever un seul libéralement. Ce n'est pas une grande affaire de commander à des ânes ou à des boeufs, mais élever des enfants d'une manière libérale, c'est une œuvre aussi ardue que belle. »

A une éducation sauvage, sombre, impitoyable, Érasme voulait substituer une éducation douce, affectueuse, aimable. Il demandait aussi que l'enseignement scolastique, barbare et rebutant, fit place à un enseignement littéraire, poli, attrayant.

Il prenait l'enfant au sortir du sein maternel et voulait, comme Rousseau plus tard, qu'il fût nourri par sa propre mère. Il s'appuyait de raisons physiques et morales. A ses yeux, la mère qui n'allaitait pas son enfant n'était mère qu'à moitié.

Il a écrit à ce sujet une page éloquente dans un de ses Colloques (1):

«<- Mais où est le petit enfant? demande Eutrapelus qui, n'étant qu'un peintre, prêche comme un franciscain. << Fabulla répond :

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« EUTRAPELUS. Pourquoi est-il là? Fait-il cuire les légumes?

« FABULLA. Mauvais plaisant, il est auprès de sa nourrice.

(1) Colloque de l'Accouchée, t. I, p. 766.

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