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Sur la haute police du culte catholique, les art. 6, 7 et 8 de la loi du 18 germinal an X disposent :

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« Art. 6. Il y aura recours au conseil d'État dans tous les cas d'abus de la part des supérieurs et autres personnes ecclésiastiques. Les cas d'abus sont : l'usurpation ou l'excès de pouvoir, la contravention aux lois et règlements de la République, l'infraction des règles consacrées par les canons reçus en France, l'attentat aux libertés, franchises et coutumes de l'Église gallicane, et toute entreprise ou tout procéd qui, dans l'exercice du culte, peut compromettre l'honneur des citoyens, troubler arbitrairement leur conscience, dégénérer contre eux en oppression, ou en injure, ou en scandale public.

« Art. 7. Il y aura pareillement recours au conseil d'État s'il est porté atteinte à l'exercice public du culte et à la liberté que les lois et les règlements garantissent à ses ministres.

« Art. 8. Le recours compétera à toute personne intéressée. A défaut de plainte particulière, il sera exercé d'office par les préfets. - Le fonctionnaire public, ecclésiastique, ou la personne qui voudra exercer ce recours, adressera un mémoire détaillé et signé au conseiller d'État chargé de toutes les affaires concernant les cultes, lequel sera tenu de prendre, dans le plus court délai, tous les renseignements convenables, et, sur son rapport, l'affaire sera suivie et définitivement terminée dans la forme administrative, ou renvoyée, selon l'exigence des cas, aux autorités compé

tentes. >>

La loi de l'an X n'a fait, encore en cela, que reprendre l'ancien droit public ecclésiastique. Dans le cas d'abus de la juridiction ecclésiastique en France, le recours peut être porté au conseil d'Etat, comme, depuis l'ordonnance de Philippe de Valois de 1349 jusqu'à la chute des parlements, il pouvait l'être devant le Parlement (V. suprà, p. 167 et 168). Remarquons ici que toutes les dispositions de la loi du 18 germinal an X, de l'art. 1 à l'art. 8, reposent sur un même principe: séparation de 'autorité spirituelle et de l'autorité temporelle; incompétence de la juridiction ecclésiastique, à tous les degrés, en ce qui n'est pas matière de foi; haute police de l'État sur les matières religieuses. - Les art. 1 et 2 font application du principe aux actes de la cour de Rome; les art. 6 et 8, aux actes des ecclésiastiques français, soit simples prêtres, soit évêques.

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Dans la nouvelle constitution de l'Église, il n'y avait pas, il ne pouvait plus y avoir de clergé propriétaire. La situation des membres du clergé était celle des magistrats et des fonctionnaires publics, avec certaines immunités, mais aussi avec une liberté d'action délimitée et renfermée dans l'enceinte du temple. Au clergé propriétaire de l'ancienne monarchie, le concordat substituait un clergé rétribué par l'Etat. Le clergé, dans cette nouvelle constitution de l'Église, n'est plus un corps existant par lui-même. Est-ce un bien, au point de vue de la liberté du pays? Tocqueville ne le pensait pas. Un clergé propriétaire devait être à ses yeux plus national; un clergé salarié devait être trop attaché aux intérêts du Saint-Siége et à ceux des princes temporels : « Un homme, dit-il, qui pour la meilleure partie de lui-même est soumis à une autorité étrangère, et qui, dans le pays qu'il habite, ne peut avoir de famille, n'est, pour ainsi dire, retenu au sol que par un seul lien solide, la propriété foncière. Tranchez ce lien, il n'appartient plus, en particulier, à aucun lieu. Dans celui où le hasard l'a fait naître, il vit en étranger au milieu d'une société civile, dont presque aucuns des intérêts ne peuvent le toucher directement. Pour sa conscience, il ne dépend que du pape; pour sa subsistance, que du prince. Sa seule patrie est l'Église. Dans chaque événement politique, il n'aperçoit guère que ce qui sert à celle-ci ou lui peut nuire » (L'Ancien régime et la Révolution, p. 167).

La même loi du 18 germinal an X organisait les cultes protestants; c'était une conséquence du principe de la liberté des cultes et de l'égalité civile. Mais il était impossible, et ajoutons sans aucuue utilité, de constituer civilement l'infinie multitude des sectes protestantes, dont la plupart n'avaient que de rares adhérents en France. La loi du 18 germinal an X ne reconnut que deux cultes : le culte des Églises réformées ou culte calviniste, et le culte de la confession d'Augsbourg ou culte luthérien. Elle reconnut les pasteurs, les consistoires locaux et les synodes des Églises réformées et des Églises de la confession d'Augsbourg, et assura un traitement aux ministres de ces deux cultes (V. Jur. gén., v° Culte). L'art. 6 des articles organiques des cultes protestants en soumit les ministres à la juridic

tion du conseil d'Etat, pour toutes leurs entreprises et pour toutes les discussions qui pourraient s'élever entre eux.

Ainsi, dans l'état de la législation, la liberté de la conscience religieuse, c'est-à-dire la liberté de sentir et penser comme l'on veut en matière de religion, est absolue. Nul ne doit compte de ses croyances intimes à personne. La liberté religieuse, qui est autre chose, quelque chose de plus, et qui consiste pour les citoyens dans la faculté de s'associer pour prier publiquement en commun, de former des communions, des églises, est au contraire limitée, et ne s'exerce que sous la surveillance de l'autorité publique. Un particulier ne pourrait, à son gré, se faire le prophète d'un culte public nouveau; les saint-simoniens, après 1830, l'ont bien éprouvé. La loi n'accorde sa protection et la liberté qu'aux cultes qu'elle reconnaît, et les seuls cultes reconnus par la loi sont le culte catholique, le culte de la confession d'Augsbourg et celui des Églises réformées, parmi les nombreux cultes protestants, et enfin le culte israélite, dont il sera parlé en son lieu. Il y a bien en France des chrétiens grecs, des anglicans, des sociniens, même des anabaptistes et des mahométans, très-libres de croire ce qu'ils veulent; mais toutes réunions ayant pour objet la pratique d'un culte autre que les cultes autorisés tombent sous l'application de la loi pénale, qui punit les associations et réunions de plus de vingt personnes sans autorisation.

Tels sont les principes de notre législation sur le régime religieux. Mais l'État fait plus que de laisser aux cultes qu'il reconnaît la liberté : il leur prête une aide pécuniaire; des ministres des cultes, il fait des précepteurs publics, des magistrats; il les engage à son service pour l'enseignement de la religion, sous la condition que leur enseignement se bornera aux choses spirituelles et que leur magistrature ne s'exercera que sur les consciences. Les choses du dehors leur restent étrangères. Leur empire, purement moral, sur les consciences, ne doit même pas aller jusqu'à les troubler`arbitrairement; selon une locution devenue proverbiale, le prêtre reste confiné dans le temple, et il n'exerce, même là, sa magistrature que sous l'œil de l'autorité publique, sous le contrôle discret de l'État.

La réorganisation de l'instruction publique, par la loi du 11 floréal an X, ne fut pas à beaucoup près une œuvre aussi considérable que le rétablissement du culte catholique. La loi de floréal an X ne fut même que transitoire. La Révolution, dans ses différentes phases, s'était beaucoup préoccupée de l'instruction publique; il faut même lui rendre cette justice que c'est à son époque que remontent beaucoup de créations heureuses, d'établissements d'instruction publique, comme le Conservatoire, l'École normale et l'École polytechnique. La question de l'instruction publique à tous les degrés avait été mise à l'étude par l'Assemblée constituante et l'Assemblée législative; Condorcet avait été chargé d'un rapport dont les vues devaient être utilisées par la Convention (V. Jur. gén., v° Organisation de l'instruction publique, no 75 et suiv.). Une loi du 27 brumaire an III, au rapport de Lakanal, et une autre loi du 3 brumaire an IV, au rapport de Daunou, organisèrent l'instruction à tous les degrés (Ibid., n° 78 et suiv.). La loi du 11 floréal an X, au rapport de Fourcroy, résuma tous les travaux préparatoires et la législation de l'époque révolutionnaire. Mais cette loi devait disparaître bientôt sous le décret du 7 mars 1808, qui constitua l'Université impériale.

Nous arrivons à la grande œuvre législative du Consulat, au Code civil. -A toutes les époques de notre histoire, depuis le XVe siècle, la France, comme on l'a vu dans cet Essai, aspirait à l'unité législative; mais, dans l'état des mœurs et de la constitution politique du pays, cette unité complète était irréalisable. Comme une législation uniforme était dans le domaine des aspirations, plutôt que dans celui des choses réalisables, faute de pouvoir produire un code complet, on s'acheminait lentement vers le terme par des essais de codification partielle. Telle est la signification la plus générale, la plus haute, de toutes les grandes ordonnances depuis François Ier.

L'Assemblée constituante, dans sa séance du 5 juillet 1790, et la Constitution de 1791 décrétèrent la composition d'un code civil; l'Assemblée législative même se mit en mesure de procéder à ce travail. Mais les événements, se succédant avec une si effrayante rapidité, ne lui permirent pas de rien faire avant de se séparer. Un décret de la Convention du 24 juin 1793 déclara que le projet des deux assemblées précédentes serait repris, et, le 7 août suivant, Cambacérès, au nom du comité

de législation, donnait lecture à la Convention du premier projet de code civil. A partir du 22 août, la Convention consacra de nombreuses séances à la discussion de ce premier projet. Mais il était impossible qu'une œuvre aussi considérable qu'un code civil, exigeant tant de calme et de recueillement, pût sortir de cette ardente fournaise; la Convention finit sans avoir rien pu produire.

Le gouvernement du Directoire se remit à l'œuvre. Cambacérès avait présenté un second projet de code civil à la Convention, rédigé sur les observations qui s'étaient produites dans la discussion; il en présenta un troisième au conseil des Cinq-Cents. La discussion recommença devant cette assemblée; mais les difficultés surgissaient chaque jour, et le 18 brumaire renversa le gouvernement directorial, quand le Code civil était encore à l'étude.

Le gouvernement consulaire, qui s'était donné pour mission d'organiser la France nouvelle, devait mettre la rédaction du Code civil au premier rang de ses préoccupations. En effet, un arrêté des consuls du 24 thermidor an VIII nomma une commission chargée de préparer un projet de code civil: elle fut composée de Tronchet, président au tribunal de cassation, Portalis, conseiller d'État, Bigot-Préameneu et Malleville, membres du tribunal de cassation. La commission rédigea son projet dans l'espace de quatre mois. Puis le gouvernement provoqua le tribunal de cassation et tous les tribunaux d'appel à faire connaître leur sentiment sur les diverses matières du Code civil. Quand les réponses furent connues, Bonaparte fit arrêter par le conseil d'État, dans la séance du 28 messidor an IX «< 1° Que le projet de Code civil serait divisé en autant de lois séparées que la matière pourrait en comporter; -2° Que les dispositions du livre préliminaire qui appartenaient à la législation seraient rédigées en un seul projet de loi; -3° Que la Commission présenterait sans délai la division en projets de loi des dispositions du livre Ier, intitulé Des personnes, et que ces projets de loi seraient aussitôt imprimés, distribués et discutés à la séance qui suivrait la distribution ». Il fut également arrêté, sur la proposition du consul Cambacérès : 1° Que dans la rédaction on emploierait toujours le futur; 2o Que la discussion serait analysée dans le procès-verbal et imprimée pour être distribuée au Sénat conservateur, au Corps législatif, au Tribunat, au tribunal de cassation.

La discussion du Code civil commença immédiatement au conseil d'État, sous la présidence du premier consul ou, en son absence, de Cambacérès. Chaque titre y était discuté, après avoir subi un examen préalable de la section de législation du conseil d'État. Quand le projet était arrêté, il était porté au Tribunat et au Corps législatif, conformément au système de la Constitution du 22 frimaire an VIII. Mais, par suite sans doute de quelques malentendus, la réalisation de l'œuvre parut un moment compromise. D'après les articles 28 et 34 de la Constitution de l'an VIII, le Tribunat ne pouvait amender les projets de loi qui lui étaient soumis; il ne pouvait que les adopter ou les rejeter purement et simplement. Sur trois projets présentés au Corps législatif, le Tribunat avait fait rejeter le premier et paraissait vouloir faire rejeter le second, à raison des dispositions qu'il contenait sur la mort civile et le droit d'aubaine. Le 12 nivôse an X, le premier consul adressa au Corps législatif le message suivant : « Législateurs, le gouvernement a arrêté de retirer les projets de loi du Code civil, etc. C'est avec peine qu'il se trouve obligé de remettre à une autre époque les lois attendues avec tant d'intérêt par la nation; mais il s'est convaincu que le temps n'est pas venu où l'on portera dans ces grandes discussions le calme et l'unité d'intention qu'elles demandent ».

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Cependant, le premier consul ne pouvait se résoudre ainsi à délaisser son œuvre. Un sénatus-consulte du 16 thermidor an X réduisit les membres du Tribunat à cinquante, ce qui permit d'éliminer de ce corps les opposants, malheureusement les plus éclairés et les plus indépendants. Des arrêtés des 11 et 18 germinal an XI organisèrent un mode de communication officieuse du conseil d'État au Tribunat, en vue de prévenir des conflits. On se remit à l'œuvre, et dans l'espace d'une année les vingt titres qui composent le Code civil furent arrêtés, décrétés et promulgués. La loi du 30 ventôse an XII (21 mars 1804) réunit, sous le titre de Code civil des Français, toutes les lois, au nombre de trente-six, qui avaient été décrétées et promulguées séparément. (V., pour d'autres détails de la confection du Code, Jur. gén., v° Lois codifiées, nos 3 et suiv.)

Que faut-il penser de cette œuvre, la plus considérable qui ait été réalisée depuis la rédaction des coutumes? Pour se hasarder à prononcer un jugement, il faut distinguer, dans le Code civil, la partie

scientifique et la partie que, faute d'une expression plus précise, nous appellerons sociale. Comme œuvre sociale, politique, législative, le Code civil est assurément aussi parfait qu'on pouvait l'attendre; son arrangement est des plus heureux; son adaptation aux mœurs nées de la Révolution est merveilleuse. Le plus grand éloge qu'on en puisse faire est dans ces deux faits en France, depuis plus de soixante ans qu'il nous régit, il exprime encore exactement l'état des mœurs et promet de conserver peut-être indéfiniment son empire; au dehors, dans les pays où l'avaient porté les armes françaises, les vaincus, en recouvrant leur indépendance, ne l'ont pas moins gardé pour loi, comme un bienfait. C'est à peine si le législateur français a eu besoin d'y retoucher depuis soixante ans. Le législateur de 1804 a réalisé, avec un rare bonheur, dans la loi civile, ces grands principes: l'égalité des citoyens devant la loi, la liberté religieuse, l'égalité et la justice dans la famille, l'inviolabilité absolue de la propriété, la dignité humaine et la liberté individuelle.

Mais, comme œuvre scientifique, le Code civil ne peut prétendre à des éloges sans réserves. Beaucoup de dispositions sont inutiles dans la matière des contrats, où les auteurs du Code ont trop souvent résolu des espèces, au lieu de poser des principes. Ces principes féconds, que Rossi a appelés principes dirigeants, il semble qu'ils les aient ignorés; on dirait qu'ils ont voulu laisser à la doctrine le mérite de les découvrir et de les formuler. De là, la difficulté qu'il y aurait à comprendre le Code en ne lisant que le Code, en apportant à son étude les seules forces de sa raison. Enfin, il n'est que trop vrai que quand les auteurs du Code ont voulu innover, presque toujours ils n'ont rien vu de la portée logique de leurs innovations.

Nous ne citerons qu'un exemple. Le Code déclare que la propriété se transfère par le seul consentement, quand l'acheteur et le vendeur sont d'accord sur la chose et sur le prix (art. 1138 et 1583). Quelle chose? Il ne peut s'agir ici que du cas où l'objet de la vente est un corps certain. Mais, si la propriété se transfère dans ce cas par le seul consentement, il ne peut jamais y avoir dette d'un corps certain; et si deux corps certains font l'objet d'une obligation alternative, la perte de l'un d'eux fait passer de plein droit la propriété de l'autre au stipulant, quoi qu'en dise le Code dans l'article 1193. Il suit encore du nouveau principe posé par le Code que toute la théorie de l'ancien droit sur la perte de la chose due se trouve désormais sans objet. Cependant nous voyons des dispositions où le législateur prétend régler les effets de la perte de la chose due (1302 et 1303). En maint endroit, des dispositions particulières, empruntées inconsidérément à Pothier, au temps duquel la tradition était nécessaire pour la translation de la propriété, contredisent le principe posé dans les articles 1138 et 1583 (V. notamment art. 1192, 1193, 1194, 1243, 1245, 1247, 1264, etc., etc.). En un mot, le législateur a posé un principe nouveau, et n'a rien vu des conséquences logiques qu'il entraîne.

Dans la matière des successions, Savigny, et, après lui, Toullier, ce grand jurisconsulte trop oublié depuis vingt ans, reprochaient avec raison au Code d'avoir réglé l'ordre des successions d'après un système qui n'a pas de but, et sans aucun principe qui lui soit propre (V. t. IV, p. 141 à 148). Les auteurs du Code ont-ils voulu faire une loi politique? Croyaient-ils, au contraire, régler l'ordre successoral sur l'affection présumée du défunt? Entendaient-ils faire prévaloir un principe dogmatique ou appliquer le principe rationnel? Avaient-ils seulement un principe quelconque en vue? Nul ne saurait le dire. De cette absence de principes sont nées des inconséquences qu'il serait trop facile de signaler.

A l'égard de la matière des donations et testaments, toutes les dispositions relatives à la réserve dans les successions témoignent de la même incertitude. Quel est le caractère de la réserve? La loi a-t-elle voulu limiter le pouvoir testamentaire dans certains cas? A-t-elle voulu, au contraire, conférer un droit individuel à chacun des héritiers réservataires? Il faut chercher, et la solution de vingt questions dépend de l'opinion à laquelle on se rangera.

Nous l'avons dit en commençant, ne murmurons pas contre l'insuffisance philosophique des rédacteurs du Code. Plus savants, ils se fussent montrés moins habiles à saisir le véritable état des mœurs et à y adapter la loi civile. Ils ont dû beaucoup et souvent transiger; c'était le plus sage. Leur œuvre serait peut-être mort-née s'ils s'y étaient mis avec un idéal philosophique préconçu. Il faut nous

consoler que la logique soit souvent faussée dans le Code, par la pensée que l'œuvre, d'un autre côté, a gagné à cette absence d'esprit systématique une valeur pratique qu'elle n'eût certainement pas eue

autrement.

La publication des codes et la reconstruction de l'ordre judiciaire, appuyé désormais sur des assises plus fixes, ranimèrent en France l'étude du droit comme science. Pendant toute la durée de la tourmente révolutionnaire, jusqu'à la reconstitution de l'autorité sous l'Empire, le droit avait été singulièrement négligé; la science avait péri. La Faculté des droits de Paris avait cessé ses cours en 1792. Depuis les derniers temps de la monarchie jusqu'aux premiers commentateurs du code Napoléon, aucun livre digne d'attention ne s'était produit. Cependant un certain nombre de jurisconsultes de l'ancienne école avaient survécu. Quand la législation nouvelle fut fixée, ils se mirent à l'œuvre. C'est alors que Chabot (de l'Allier), Grenier, Tarrible, publièrent leurs premières études sur la matière des successions, des donations et testaments, et des hypothèques. La science du droit, après quinze ans de sommeil, fut ranimée par des vieillards.

Toullier ne vint qu'après eux, avec la pensée d'embrasser dans son cours de droit civil, qu'il ne devait pas achever, toutes les matières du code Napoléon. Les travaux des premiers commentateurs du code Napoléon ont été, depuis, bien dépassés. Leur marche n'est guère qu'une suite de tâtonnements; la science ne prend une allure sûre qu'à partir de Toullier. Mais il ne faut pas oublier qu'un commentaire riche en théories ne peut pas se produire au lendemain de la publication d'une loi nouvelle; il faut que des conflits d'intérêts se soient élevés, et que ces intérêts aient été débattus en présence de la loi; c'est alors que le commentateur, éclairé par cette première pratique de la loi, peut se mettre à ses études théoriques et édifier ses doctrines.

Dans cette nouvelle phase de la science du droit, depuis la publication des codes, la part la plus considérable dans la formation de cet ensemble scientifique appartient incontestablement à la jurisprudence des tribunaux, et particulièrement à celle de la cour de cassation. Aucun effort individuel, quelque puissant qu'il soit, ne peut suppléer à l'action de tous. On désigne communément du nom de monuments les décisions judiciaires qui font autorité; la métaphore est exacte; mais de même que l'art de l'architecture ne progresse que par l'action de tous, tellement qu'il n'est peut-être pas d'œuvre architecturale dont aucun constructeur puisse dire qu'elle est complétement sienne, de même aussi la science du droit, à toutes les époques, est une œuvre collective chaque ouvrier apporte sa pierre; les plus grands sont ceux qui apportent des matériaux de meilleure qualité et en plus grande quantité.

Parmi les hommes distingués qui contribuèrent le plus à former la jurisprudence de la cour de cassation dans les quinze ans qui suivirent la promulgation du code Napoléon, trois hommes surtout se placèrent au premier rang: un magistrat, un officier du parquet et un avocat: Henrion de Pansey, Merlin et Chabroud.

Henrion de Pansey, premier président de la cour de cassation, tenait, par un usage qui n'a pas duré, la chambre des requêtes, où Merlin, d'abord substitut seulement, puis procureur général, après avoir été ministre et membre du Directoire sous le gouvernement précédent, occupait le siége du parquet. Les travaux de la chambre des requêtes avaient alors une importance capitale; car dans la multitude des pourvois qui venaient y affluer, il y avait tous les jours quelque théorie nouvelle à fonder ou quelque difficulté de droit à élucider. Chabroud, redevenu avocat après avoir joué un rôle politique dans la Révolution, posait et défendait sa thèse. Merlin la combattait, et la chambre des requêtes, sous la présidence d'Henrion de Pansey, prononçait sur les doctrines des deux redoutables champions. Il existait encore, il y a vingt ans, des témoins de ces luttes fameuses dans le monde judiciaire de l'Empire, mais aujourd'hui oubliées. Rien n'était plus instructif, disaient-ils, qu'une discussion entre Chabroud et Merlin. Les conclusions de Merlin ont été conservées dans son Recueil des Questions de droit, qui vivra parmi les grands livres de jurisprudence; et les arrêts rendus sous la présidence d'Henrion de Pansey seront toujours des autorités, quels qu'aient été depuis et quels que doivent être dans l'avenir les progrès de la jurisprudence, dont ils ont inauguré la carrière; le temps en a consacré la sagesse.

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