Obrazy na stronie
PDF
ePub

infortuné du trône qu'il a perdu, élevent l'amour de Junie à la dignité de la tragédie. Elle n'est point abaissée devant le maître du Monde : ce n'est point là parler d'amour pour en parler, c'est l'amour tel que nous le sentons, naturellement mêlé à de grands intérêts, et s'expliquant d'un ton qui ne les dément pas. Tel est le mérite des convenances propres à chaque sujet.

[ocr errors]

Cet amour n'émeut pas fortement comme celui d'Hermione; mais il plaît, il attache, il intéresse, et c'en est assez dans un ouvrage qui produit d'autres effets l'essentiel était qu'il n'y parût pas déplacé. De même Britannicus surpris par Néron aux pieds de sa maîtresse, offre, à la vérité, une situation qui peut appartenir à la comédie comme à la tragédie. Mais le péril de Britannicus et le caractere connu de Néron relevent cette situation; et la scene qui en résulte entre les deux rivaux, est un modele de ces contrastes dramatiques où deux caracteres opposés se heurtent avec violence, sans que l'un soit écrasé par l'autre. Le dialogue est parfait on y voit avec plaisir la vivacité libre et fiere d'un jeune prince et d'un amant préféré, lutter contre l'ascendant du rang suprême et contre l'orgueil féroce d'un tyran jaloux. Le caractere de Britannicus et l'avantage de plaire à Junie le maintiennent dans un état d'égalité devant l'empereur, et le spectateur est toujours content de voir la puissance injuste humiliée. C'est ainsi que dans cette piece les intérêts de la politique et ceux de l'amour se balancent sans se nuire, et que des teintes si différentes se temperent les unes par les autres, loin de paraître se repousser.

SECTION III.

Bérénice.

[ocr errors]

On sait que dans Bérénice, Racine lutta contre les difficultés d'un sujet qui n'était pas de son choix, et s'il n'a pu faire une véritable tragédie de ce qui n'était en soi-même qu'une élégie héroïque, il a fait du moins de cette élégie un ouvrage charmant et tel que lui seul pouvait le faire. On proposa un jour à Voltaire de faire un Commentaire de Racine, comme il faisait celui de Corneille. Il répondit ces propres mots : « Il » n'y a qu'à mettre au bas de toutes les pages » beau, pathétique, harmonieux, admirable, » etc. » Il se présenta une occasion de faire voir combien ce sentiment était sincere. Il a commenté la Berénice de Racine, imprimée dans un même volume avec celle de Corneille; et quoique Bérénice soit la plus faible des pieces dont l'auteur a enrichi le théâtre, le commentateur, en relevant quelques endroits où le style se res-sent de la faiblesse du sujet, ne cesse d'ailleurs de faire remarquer dans ses notes l'art infini que le poëte a employé, et les ressources inconce vables qu'il a trouvées dans son talent, pour remplir cinq actes avec si peu de chose, et varier par les nuances délicates de tous les sentimens du cœur, une situation dont le fond est toujours le même. La seule analyse possible d'ur sujet si simple porte toute entiere sur les détails et se trouve complete dans les excellentes notes de Voltaire, auxquelles on ne peut rien ajouter. Voici comme il s'exprime dans la troisieme scene du second acte. « La résolution de l'empereur »> ne fait attendre qu'une seule scene. Il peut » renvoyer Bérénice avec Antiochus, et la piece

» sera bientôt finie. On concoit très-difficilement >> comment le sujet pourra fournir encore qua» tre actes. Il n'y a point de noeud, point d'obs» tacle, point d'intrigue. L'empereur est le maî » tre; il a pris son parti; il veut et il doit vou>> loir que Bérénice parte. Ce n'est que dans ces » sentimens inépuisables du cœur, dans le pas»sage d'un mouvement à l'autre, dans le dé>>veloppement des plus secrets ressorts de l'ame, » que l'auteur a pu trouver de quoi fournir la » carriere. C'est un mérite prodigieux, et dont » je crois que lui seul était capable. »

On aime d'autant plus à entendre l'auteur de Zaïre parler ainsi, qu'on est sûr qu'il ne l'eût pas dit s'il ne l'avait pas pensé. Je puis ajouter qu'il ne s'excluait pas lui-même du nombre de éeux qui n'auraient pu faire ce qu'ici Racine avait fait. Quand un grand artiste parle de son art, il mesure même involontairement ses jugemens sur sa force. Ce n'est pas que Voltaire ignorât la sienne : il savait même qu'au théâtre il avoit porté encore plus loin que Racine les effets de la tragédie. Mais il s'agit ici d'une espece particuliere de talent, où Racine n'a point d'égal, et qui était nécessaire pour faire Bérénice : c'est la connaissance parfaite des replis les plus cachés et les plus intimes d'un cœur tendre, l'art de les peindre avec la vérité la plus pure, et celui de relever les plus petites choses par le charme inexprimable de ses vers. Le commentateur en remarque un exemple bien frappant : c'est l'endroit où Phénice dit à la reine :

Laissez-moi relever vos voiles détachés,

Et ces cheveux épars dont vos yeux sont cachés.
Souffrez que de vos pleurs je répare l'outrage.

« Rien n'est plus petit que de faire paraître » une suivante qui propose à sa maîtresse de

ra

>> juster son voile et ses cheveux. Otez à ces idées >> les grâces de la diction, il ne reste rien. »>

En rapportant cette observation au vers qui suit, j'acheverai de faire sentir combien cet art que le commentateur admire, était nécessaire pour amener des beautés propres au sujet. Bérénice répond:

Laisse, laisse, Phénice, il verra son ouvrage.

Ce vers si attendrissant ne manque jamais d'être applaudi: c'est une beauté de sentiment: elle était perdue si l'auteur n'avait pas eu le secret d'ennoblir par la poésie ce que Phénice avait à dire.

A la fin du quatrieme acte, le commentateur dit encore : « Cette scene et la suivante, qui sem» blent être peu de chose, me paraissent parfai>> tes. Antiochus joue le rôle d'un homme qui » est supérieur à sa passion. Titus est attendri » et ébranlé comme il doit l'être, et dans le mo»ment le sénat vient le féliciter d'une victoire >> qu'il craint de remporter sur lui-même. Ce sont » des ressorts presque imperceptibles, qui agis>> sent puissamment sur l'ame. Ily a mille fois plus >> d'art dans cette belle simplicité, que dans cette >> foule d'incidens dont on a chargé tant de tra»gédies. » Citons encore le résultat de ce commentaire. Je ne connais rien de plus intéressant que d'entendre Voltaire parler de Racine. « Je » n'ai rien à dire de ce einquieme acte, sinon » que c'est en son genre un chef-d'œuvre, et » qu'en le relisant avec des yeux séveres, je suis >> encore étonné qu'on ait pu tirer des choses » si touchantes d'une situation qui est toujours » la même; qu'on ait trouvé encore de quoi at» tendrir quand on paraît avoir tout dit; que >> même tout paraisse neuf dans ce dernier acte, » qui n'est que le résumé des quatre précédens.

» Le mérite est égal à la difficulté, et cette diffi»culté était extrême. La piece finit

par un hélas! » Il fallait être bien sûr de s'être rendu maître » du cœur des spectateurs, pour oser finir ainsi. >>

Britannicus n'avait eu que huit représentations dans sa nouveauté : Bérénice en eut quarante. C'est que l'un était de nature à ne pouvoir être apprécié qu'avec le tems, et que l'autre se recommandait d'elle-même par celui de tous les mérites dramatiques, qui est à la portée du plus grand nombre, et dont le triomphe est le plus prompt, le plus sûr, le plus difficilement contesté, le don de faire verser des larmes. Cependant aujourd'hui qui est-ce qui comparerait Bérénice à Britannicus? La place de ces deux ouvrages, fixée par le tems et les connaisseurs, est bien différente, et Britannicus est représenté bien plus souvent que Bérénice. Cet exemple, parmi tant d'autres, prouve non-seulement qu'il y a dans les ouvrages d'imagination un mérite bien important attaché au choix du sujet, mais encore que le nombre des représentations d'une piece nouvelle n'a jamais dû décider de son prix. Ce nombre dépend d'une foule de circonstances, souvent étrangeres à la piece. Une actrice d'une figure aimable, et dont l'organe sera fait pour l'amour, tel qu'était celui de la célebre Gaussin, attirera la foule à Bérénice; mais tout l'effet tenant à ce seul rôle, si l'exécution n'y répond pas, la piece n'aura qu'un succès médiocre; au lieu qu'une tragédie telle que Britannicus, unė fois établie, se soutient par des beautés toujours plus senties, et gagne toujours à être revue,

Mais où sont ceux qui ont tant répété sans connaissance et sans réflexion, que Racine est toujours le même, que tous ses sujets ont les mêmes couleurs et les mêmes traits? Je voudrais bien qu'ils me disent ce qu'il y a de ressemblance

« PoprzedniaDalej »