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des sujets grecs, et ne laissaient apercevoir aucun vide dans la représentation. Ici, pour remplir la carriere de cinq actes, il nous faut mettre en œuvre les ressorts d'une intrigue toujours attachante, et les mouvemens d'une éloquence toujours plus ou moins passionnée. L'harmonie des vers grecs enchantait les oreilles avides et sensibles d'un peuple poëte : ici le mérite de la diction, si important à la lecture, si décisif pour la réputation, ne peut, sur la scene, ni excuser les fautes, ni remplir les vides, ni suppléer à l'intérêt devant une assemblée d'hommes qui tous out un égal besoin d'émotion, mais qui ne sont pas tous à beaucoup près également juges du style. Enfin, chez les Athéniens, les spectacles donnés en certains tems de l'année, étaient des fêtes religieuses et magnifiques, se signalait la brillante rivalité de tous les arts, et où les sens, séduits de toutes les manieres, rendaient l'esprit des juges moins sévere et moins exigeant. Ici la satiété qui naît d'une jouissance de tous les jours, doit ajouter beaucoup à la sévérité du spectateur, lui donner un besoin plus impérieux d'émotions fortes et nouvelles; et de toutes ces considérations, on peut conclure que l'art des Corneille et des Racine devait être plus étendu, plus varié, plus difficile que celui des Euripide et des Sophocle.

» Ces derniers avaient encore un avantage que n'ont pas eu parmi nous leurs imitateurs et leurs rivaux: ils offraient à leurs concitoyens les grands événemens de leur histoire, les triomphes de leurs héros, les malheurs de leurs ennemis, les infortunes de leurs ancêtres, les crimes et les vengeances de leurs dieux; ils réveillaient des idées imposantes, des souvenirs touch aus et flatteurs, et parlaient à la fois à l'homme et au citoyen.

>>> La tragédie, soumise, comme tout le reste, au caractere patriotique, fut donc chez les Grecs leur religion et leur histoire en action et en spectacle. Corneille, dominé par son génie et n'empruntant aux Anciens que les premieres regles de l'art, sans prendre leur maniere pour modele, fit de la tragédie une école d'héroïsme et de vertu. Mais combien il y avait encore à faire ! combien l'art dramatique, qui doit être le résultat de tant de mérites différens, était loin de les réunir combien y avait-il encore, je ne dis pas seulement à perfectionner, mais à créer ? Čar l'assemblage de tant de beautés neuves et tragiques qui étincelerent dans le premier chef-d'ocutre de Racine, dans Andromaque, n'est-il pas une véritable création ? C'est à partir de ce point, que Racine, plus profond dans la connaissance de l'art, que personne ne l'avait encore été, s'ouvrit une route nouvelle, et la tragédie fut alors l'histoire des passions et le tableau du cœur humain.» Eloge de Racine.

Mais il ne faut pas dédaigner de jeter un coupd'œil sur les essais de sa premiere jeunesse. Nous y reconnaîtrons, au milieu de tous les défauts qui dominaient encore sur la scene, le germe d'un grand talent poétique, et Racine s'y annonce déjà par un des mérites qui lui sout propres, celui de la versification. Il n'avait pas vingt-cinq ans lorsqu'il donna les Freres ennemis, commencés longtems auparavant, sujet traité sur tous les théàtres anciens, et qui ne pouvait guere réussir sur le nôtre. Ni l'un ni l'autre des deux freres ne peut inspirer d'intérêt ; tous deux sont à peu près également coupables, également odieux; l'un est un usurpateur du trône, et l'autre est l'ennemi de sa patrie. Leur mere ne peut montrer qu'une douleur impuissante; et des intrigues d'amour ne peuvent se mêler convenablement au milieu

des horreurs de la race de Laïus. Tel est le vice du sujet, et la fable de la piece ne valait pas. mieux. La maniere du jeune poëte est fidellement calquée sur les défauts de Corneille. Rien ne prouve mieux que le talent commence presque toujours par l'imitation. C'est en même tems un hommage qu'il rend à ses maîtres, et un écueil où il peut échouer si le modele n'est pas parfait ; car il est de l'expérience et de la faiblesse de cet âge de s'approprier d'abord ce qu'il y a de plus aisé à imiter, c'est-à-dire les fautes. Ainsi l'on voit dans les Freres ennemis un Créon, qui, dans le tems même où il n'est occupé qu'à brouiller ses deux neveux, et à les perdre l'un par l'autre pour leur succéder, est bien tranquillement et bien froidement amoureux de la princesse Antigone, comme Maxime l'est d'Emilie, et rival de son fils Hémon, qu'il sait bien être l'amant préféré. Il finit par faire à cette Antigone, qui le hait et le méprise ouvertement, une proposition tout au moins aussi déplacée et aussi déraisonnable que celle de Maxime à Emilie. Lorsqu'Etéocle et Polynice sont tués, que leur mere Jocaste s'est donné la mort, qu'Hémon et Menécée, les deux fils de Créon, viennent de périr à la vue des deux armées, Créon, qui est resté tout seul, n'imagine rien de mieux que de proposer à Antigone de l'épouser.On sent qu'une pareille scene, dans un cinquieme acte rempli de meurtres et de crimes, suffirait pour faire tomber une piece. Antigone ne lui répond qu'en le quittant pour aller se tuer comme les autres personnages de la tragédie. Créon n'a pas le courage d'en faire autant, apparemment pour qu'il soit dit que tout le monde ne meurt pas; mais il jette de grands cris, et finit par dire qu'il va chercher du repos aux enfers.

On retrouve aussi dans les Freres ennemis ces longs monologues saus nécessité, qu'il était d'u

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sage de donner aux acteurs et aux actrices comme les morceaux les plus propres à les faire briller, et jusqu'à des stances dans le goût de celles de Polyeucte et d'Héraclius, espece de hors-d'œuvre qui est depuis long tems banni de la scene où il formait une disparate choquante, en mettant trop évidemment le poëte à la place du personnage. On y retrouve les déclamations, les maximes gratuitement odieuses, et même les raisonnemens alambiqués à la place du sentiment; défauts où Racine n'est jamais tombé depuis. Jocaste parle à ses deux fils à peu près comme Sabine dans les Horaces parle à son époux et à son beau-frere. Elle veut leur prouver en forme qu'ils doivent la tuer; et remarquons, en passant, combien il y a quelquefois peu d'intervalle entre le faux et le vrai : que Jocaste, au désespoir de ne pouvoir fléchir ses deux fils, leur dise qu'il faudra qu'ils lui percent le sein avant de combattre, qu'elle se jettera entre leurs épées, ce langage est convenable; mais qu'elle dise:

Je suis de tous les deux la commune ennemie,
Puisque votre ennemi reçut de moi la vie.
Cet ennemi sans moi ne verrait par le jour;
S'il neurt, ne faut-il pas que je meure à mon tour?
N'en doutez point, sa mort me doit être commune:
Il faut en donner deux ou n'en donner pas une.

ces subtilités sont beaucoup trop ingénieuses. Ce n'est pas le langage de la douleur; elle n'a pas assez d'esprit pour faire de pareils sophismes : cet esprit paraissait alors quelque chose de brillant; mais il ne faut qu'un moment de réflexion pour sentir combien il est faux.

Les Freres ennemis eurent pourtant quelque succès, et ce coup d'essai n'est pas sans beautés. La haine des deux freres est peinte avec énergie, et la scene de l'entrevue est très-bien traitée. Le poëte a eu l'art de nuancer deux caracteres do

minés par un même sentiment, et ce mérite seul suffisait pour annoncer le talent dramatique que le judicieux Moliere aperçut et encouragea dans le premier ouvrage de Racine. Polynice a plus de noblesse et de fierté; Etéocle, plus de férocité et de fureur. Quand Jocaste représente à Polynice qu'Etéocle s'est fait aimer du peuple depuis qu'il regne dans Thebes, le prince répond:

C'est un tyran qu'on aime,
Qui par cent lâchetés tâche à se maintenir
Au rang
où par
la force il a su parvenir,
Et son orgueil le rend, par un effet contraire,
Esclave de sou peuple et tyran de son frere.
Pour commander tout seul il veut bien obéir,
Et se fait mépriser pour me faire haïr.

Ce n'est pas sans sujet qu'on me préfere un traître;
Le peuple aime un esclave, et craint d'avoir un maître;
Mais je croirais trahir la majesté des rois

Si je faisais le peuple arbitre de mes droits.

Ces vers, d'une tournure ferme et d'un grand sens ressemblent aux bons vers de Corneille, et font voir que son jeune rival savait déjà imiter quelques-unes de ses beautés.

D'un autre côté, Etéocle trace avec force cette aversion réciproque qui a toujours régné entre son frere et lui. Il n'était pas aisé d'exprimer noblement cette tradition de la fable, qu'Etéocle et Polynice se battaient ensemble dans le sein de leur mere. Le poëte y réussit, et tout ce morceau, à quelques fautes près, est d'un style tragique.

Je ne sais si mon cœur s'apaisera jamais;

Ce n'est pas son orgueil, c'est lui seul que je hais.
Nous avons l'un pour l'autre une haine obtinée;
Elle n'est pas, Créon, l'ouvrage d'une année;
Elle est née avec nous, et sa noire fureur,
Aussitôt que la vie, entra dans notre cœur.
Nous étions ennemis dès la plus tendre enfance;
Que dis-je? nous l'étions avant notre naissance.
Triste et fatal effet d'un sang incestueux!

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