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un mot de trop, un mot à reprendre : il n'y en a point.

Ainsi donc l'amour est vraiment tragique dans Pyrrhus, dans Oreste, dans Hermione; il l'est différemment dans tous les trois, et prend la teinte de leurs différens caracteres : ardent et impétueux dans Pyrrhus, sombre et désespéré dans Oreste, altier et furieux dans Hermione. Jamais dans Corneille il n'avait eu aucun de ces caracteres. Aussi les effets qu'il produit ici sont en proportion de son énergie; et ce qui est de l'essence du drame, les changemeus de situation qui se succedent dans la piece, naissent de cette fluctuation naturelle aux ames passionnées, et produisent de ces coups de théâtre qui ne tiennent pas à des événemens étrangers ou accidentels, mais dont les ressorts sont dans le cœur des personnages. Pyrrhus, croyant que le péril d'un fils doit résoudre Andromaque à lui donner sa main, refuse Astyanax aux Grecs. Hermione offensée a promis de partir avec Oreste. Celui-ci s'abandonne à la joie; mais dans l'intervalle du premier au second acte, Andromaque a rejeté les offres de Pyrrhus, et dans le moment où Oreste se croit sûr de sa conquête, arrive Pyrrhus.

Je vous cherchais, Seigneur : un peu de violence
M'a fait de la raison combattre la puissance,
Je l'avoue, et depuis que je vous ai quitté,
J'eu ai senti la force et connu l'équité.

J'ai songé, comme vous, qu'à la Grece, à mon perc,
A moi-même en un mot je devenais contraire;
Que je relevais Troye, et rendais imparfait
Tout ce qu'a fait Achille et tout ce que j'ai fait.
Je ne condamne plus un courroux légitime.
Et l'on vous va, Seigneur, livrer votre victime.

Oreste demeure frappé de consternation, et le spectateur avec lui. Voilà un coup de théâtre, il

Tu lui parles du cœur, tu la cherches des yeux.....
Je ne te retiens plus, sauve-toi de ces lieux.
Va lui jurer la foi que iu m'avais jurée:
Va profaner des dieux la majesté sacrée.
Ces dieux, ces justes dieux n'auront pas oublié
Que les mêmes sermens avec moi t'ont lié.

Porte aux pieds des autels ce cœur qui m'abandonne.
Va, cours; mais crains encor d'y trouver Hermione.

L'amour et la fureur réunis ensemble n'ont jamais eu un accent plus vrai ni plus effrayant. Il serait infini de détailler tout ce qu'il y a dans ce morceau. L'analyse de cinq ou six rôles des pieces de Racine, faite dans cet esprit, serait une histoire complete de l'amour jamais on ne l'a ni mieux connu ni mieux peint. Quelle vérité dans ce vers !

Tu comptes les momens que tu perds avec moi.

Comme cette observation est juste! Rien n'échappe à la vue percante d'une femme qui aime, même dans le trouble de la colere. Elle ne peut se cacher que ses reproches, dès qu'ils sont inutiles, ne font que la rendre importune, et que celui qui en est l'objet, compare involontairement ces momens si tristes et si insupportables, avec ceux qui l'attendent auprès d'une autre. Et cette expression, ta Troyenne! qu'il y a de haine et de dénigrement dans ce mot! Ce ne sont, si l'on veut, que des nuances; mais c'est la réunion des circonstances, même légeres, qui fonde l'illusion de l'ensemble : rien n'est petit dans la peinture des passions. Cette autre expression, tu lui parles du cœur, qu'elle est heureuse et neuve ! C'est encore la passion qui en trouve de pareilles. Sauve-toi de ces lieux pourrait ailleurs être familier: il est relevé par ce qu'il y a de cruel dans l'empressement de quitter Hermione. On ne finirait pas; je m'arrête, et parmi tant de beautés, cherchez

un mot de trop, un mot à reprendre : il n'y en a point.

Ainsi donc l'amour est vraiment tragique dans Pyrrhus, dans Oreste, dans Hermione; il l'est différemment dans tous les trois, et prend la teinte de leurs différens caracteres : ardent et impétueux dans Pyrrhus, sombre et désespéré dans Oreste, altier et furieux dans Hermione. Jamais dans Corneille il n'avait eu aucun de ces caracteres. Aussi les effets qu'il produit ici sont en proportion de son énergie; et ce qui est de l'essence du drame, les changemeus de situation qui se succedent dans la piece, naissent de cette fluctuation naturelle aux ames passionnées, et produisent de ces coups de théâtre qui ne tiennent pas à des événemens étrangers ou accidentels, mais dont les ressorts sont dans le cœur des personnages. Pyrrhus, croyant que le péril d'un fils doit résoudre Andromaque à lui donner sa main, refuse Astyanax aux Grecs. Hermione offensée a promis de partir avec Oreste. Celui-ci s'abandonne à la joie; mais dans l'intervalle du premier au second acte, Andromaque a rejeté les offres de Pyrrhus, et dans le moment où Oreste se croit sûr de sa conquête, arrive Pyrrhus.

Je vous cherchais, Seigneur : un peu de violence
M'a fait de la raison combattre la puissance,
Je l'avoue, et depuis que je vous ai quitté,
J'eu ai senti la force et connu l'équité.

J'ai songé, comme vous, qu'à la Grece, à mon pere,
A moi-même en un mot je devenais contraire;
Que je relevais Troye, et rendais imparfait
Tout ce qu'a fait Achille et tout ce que j'ai fait.
Je ne condamne plus un courroux légitime.
Et l'on vous va, Seigneur, livrer votre victime.

Oreste demeure frappé de consternation, et le spectateur avec lui. Voilà un coup de théâtre, il

est d'un maître. L'intérêt croît avec le péril des principaux personnages, et le nœud capital est la résolution que prendra Andromaque. La conduite de Pyrrhus en dépend; celle d'Hermione dépend de Pyrrhus, et celle d'Oreste d'Hermione. Cette dépendance mutuelle est si distincte, qu'elle ne forme point de complication, et le différent degré d'intérêt qu'inspire chaque personnage, ne nuit point à l'unité d'objet, parce que tout est subordonné à ce premier intérêt attaché au péril d'Andromaque et de son fils; car il faut (je l'ai déjà dit, et je crois devoir le répéter) soigneusement distinguer au théâtre deux sortes d'intérêt que l'on confond trop souvent par une méprise qui a donné lieu à tant de critiques injustes: le premier consiste à desirer le bonheur ou le salut d'un personnage principal; le second, à partager ses malheurs ou excuser ses passions en raison de leur violence. C'est le premier qui fait ici le fond de la piece; il tient à la personne d'Andromaque, au péril de son fils qui est sa derniere consolation, à ce grand sentiment de l'amour maternel peint des couleurs les plus touchantes: ce qu'on desire le plus, c'est que son fils soit sauvé. Mais comment pourra-t-elle sauver ce fils, s'il faut que la veuve d'Hector épouse le fils d'Achille ? Voilà d'où naît la suspension et l'incertitude, voilà l'intérêt principal. Celui qu'on peut prendre aux passions de Pyrrhus, d'Hermione et d'Oreste est d'une autre espece ; il ne va qu'à les plaindre ou les excuser plus ou moins, et à se prêter à un certain point à tous leurs mouvemens, parce qu'ils sont naturels et vrais; mais on ne desire point que leur amour soit heureux. C'est une regle générale au théâtre, que ce desir n'existe dans le spectateur que lorsque l'amour qu'on lui représente, est réciproque ou qu'il l'a été,

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parce qu'alors il peut faire le bonheur des deux amans, comme on l'a vu dans le Cid. Ici donc tous les vœux sont pour Andromaque et pour son fils; et il est tems de parler en détail de ce rôle, qui forme un contraste si admirable avec toutes les passions orageuses dont il est envi

ronné.

Remarquons d'abord l'avantage des sujets connus. Les noms de Troye, d'Hector, de sa veuve, de son fils, commencent par disposer l'ame à l'a!tendrissement: ce sont de grandes et mémorables infortunes, dont nous avons été occupés dès notre enfance, et que les ouvrages d'iiomere et de Virgile nous ont rendues familieres. Mais il faut que le poëte sache conserver à ces sujets si connus la couleur qui leur est propre. Et qui jamais y a mieux réussi que Racine? Quel modele, que ce rôle d'Andromaque! Comme il est grec! comme il est antique! Quel admirable simplicité! quelle modestie noble et douce! quelle tendresse d'épouse et de mere ! quelle douleur à la fois majestueuse et ingénue! Comme ses regrets sont touchans et ne sont jamais fastueux ! comme dans ses reproches et dans ses refus elle garde cette modération et cette retenue qui sied si bien à son sexe et au malheur! comme tout ce rôle est plein de nuances déli cates que personne n'avait connues jusqu'alors, plein d'un pathétique pénétrant dont il n'y avait aucun exemple! Qui est-ce qui n'est pas délieieusement ému de ces vers simples, qui descendent si avant dans le cœur et font couler les larmes de la pitié?

Je passais jusqu'aux lieux où l'on garde mon fils,
Puisqu'une fois le jour vous souffrez que je voie
Le seul bien qui me reste et d'Hector et de Troye.
J'allais, Seigneur, pleurer un moment avec lui.
Je ne l'ai point encore embrassé d'aujourd'hui.

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