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tement hors du camp, et de les ramener dans Argos. Ce projet échoue par la trahison d'Eriphile, qui va tout découvrir à Calchas, et par le soulevement de l'armée, qui réclame la victime. Ainsi, jusqu'au dernier moment, la nature l'emporte encore, et Agamemnon ne cede qu'à l'invincible nécessité. Cette gradation est le chef-d'œuvre de l'art; elle était nécessaire pour répandre sur le rôle d'Agamemnon l'intérêt dont il était susceptible, et pour múltiplier les alternatives de la crainte et de l'espérance. Cette marche savante est un mérite des Modernes : les Anciens trouvaient de belles situations, mais nous avons su mieux qu'eux les soutenir, les graduer et les varier:

Je trouve encore Racine supérieur à son modele, dans la maniere dont Clytemnestre défend sa fille. Ce n'est pas que cette scene ne soit belle dans Euripide, qu'il n'y ait du pathétique dans les discours de Clytemnestre. Mais elle commence par reprocher à son époux des crimes qui le rendent odieux, le meurtre de Tantale son premier mari, et celui d'un fils qu'elle en avait eu. Il ne faut pas faire hair celui que la situation doit faire plaindre. Racine n'a point commis cette faute, et il a donné en même tems plus de véhémence à Clytemnestre : il a donné à la nature un accent plus fort et plus pénétrant; joint à ses plaintes plus de menaces et de fureurs, et il le fallait, car de quoi n'est pas capable une mere dans une situation si horrible? Dans Euripide, Agamemnon, après avoir répondu à la mere et à la fille, se retire et les laisse ensemble: cette sortie est un peu froide. La scene est mieux conduite dans Racine, et va toujours en croissant. Clytemnestre, voyant qu'elle ne peut rien sur Agamemnon, s'empare de sa fille,

il a

Non, je ne l'aurai point amenée au supplice,
Ou vous ferez aux Grecs un double sacrifice.
Ni crainte ni respect ne m'en peut détacher;
De mes bras tout sanglans il faudra l'arracher,
Aussi barbare époux qu'impitoyable pere,
Venez, si vous l'osez, la ravir à sa mere.

Et vous, rentrez, ma fille, et du moins à mes lois
Obéissez encor pour la derniere fois.

Voilà le cri de la nature; voilà comme devait finir cette scene. On sait quel en est l'effet au théâtre, et quels applaudissemens suivent Clytemnestre dont le spectateur a partagé les transports.

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Autant sa douleur est furieuse et menaçante, autant celle d'Iphigénie est touchante et timide. Elle l'est aussi dans Euripide; mais pourtant elle n'est pas exempte de ce ton de harangue et de déclamation qu'on reproche aux poëtes grecs, et particulièrement à Euripide, mais qui est infiniment rare dans Sophocle. Iphigénie commence par regretter de n'avoir pas l'éloquence d'Orphée, et l'art d'entraîner les rochers et d'attendrir les cœurs par des paroles. Ce début est trop oratoire; mais le reste est d'une grande beauté, surtout l'endroit où elle présente à son pere le petit Oreste encore au berceau, et cherche à se faire un appui de cette pitié si naturelle qu'on ne peut refuser à l'enfance. Ce morceau est plein de cette simplicité attendrissante, de cette expression de la nature, où excellait Euripide. Racine n'avait point ce moyen: il est dans nos principes de n'amener un enfant sur la scene, que lorsqu'il tient à l'action, comme dans Athalie et dans Inès. On a depuis employé ce ressort dans quelques pieces, et beaucoup moins à propos : les connaisseurs l'ont blâmé et je crois que ce n'est pas sans fondement. Il serait trop aisé de faire venir un enfant sur le théâtre toutes les fois qu'il y aurait un person

nage à émouvoir, et tout moyen par lui-même si facile, et en quelque sorte banal, perd nécessairement de son effet. Les Grecs n'en ont fait usage que tres-rarement, quoiqu'ils se servissent beaucoup plus que nous de tout ce qui pouvait parler aux yeux. Nous en avons vu un exemple très-heureux dans l'Ajax de Sophocle; mais en général ce moyen est un de ceux qu'il faut mettre en œuvre avec le plus de réserve, et que le succès peut seul justifier.

On a fait un reproche spécieux à l'Iphigénie française on a voulu voir de l'excès dans sa résignation lorsqu'elle dit à son pere :

D'un œil aussi content, d'un cœur aussi soumis
Que j'acceptais l'époux que vous m'aviez promis,
Je saurai, s'il le faut, victime obéissante,
Tendre au fer de Calchas une tête innocente.

On aurait raison si c'était là le fond de ce qu'elle dit et de ce qu'elle pense; mais qu'on écoute sa réponse toute entiere, et l'on verra s'il y a de la bonne foi à interpréter séparément et à prendre dans une rigueur si littérale, ce qui n'est qu'une tournure du discours, une espece de concession oratoire, dont le but est de toucher d'abord le cœur d'Agamemnon par la soumission, avant de le ramener par la priere et les larmes. A-t-on pu croire qu'elle voulait dire en effet qu'il sera aussi satisfaisant pour elle d'être sacrifiée, que d'épouser son amant? Ce sentiment serait entiérement faux, et je n'en connais point de cette espece dans Racine. Mais pour juger l'intention d'un discours, il faut l'entendre tout entier, et ne pas s'arrêter à ce qui n'est qu'un moyen préparatoire. Or, qui ne voit, en lisant la suite, que ces assurances d'une docilité parfaite ne vont qu'à disposer Agamemnon à écouter favorablement sa fille ?

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Si pourtant ce respect, si cette obéissance,
Paraît digne à vos yeux d'une autre récompense,
Si d'une meren pleurs vous plaignez les ennuis,
J'ose vous dire ici qu'en l'état où je suis,
Peut-être assez d'honneurs environnaient ma vie
Pour ne pas souhaiter qu'elle me fût ravie,
Ni qu'en ne l'arrachant, un sévere destin,
Si près de ma naissance, en eût marqué la fin.

Est-ce là le langage d'une personne qui regarde du même oil la mort et l'hyménée ? Sa priere, pour être modeste et timide, en est-elle moins intéressante? A peine voit-elle son pere attendri, comme il doit l'être par ces premieres paroles, qu'elle emploie successivement tout ce qu'il y a de plus capable de l'émouvoir, en commençant par ces deux vers si naturels et si simples, traduits d'Euripide.

Fille d'Agamemnon, c'est moi qui la premiere,
Seigneur, vous appelai de ce doux nom de pere.
C'est moi qui si long-tems, le plaisir de vos yeux,
Vous ai fait de ce nom remercier les dieux,
Et pour qui tant de fois prodiguant vos caresses,
Vous n'avez point du sang dédaigné les faiblesses.
Hélas! avec plaisir je me faisais conter

Tous les noms des pays que vous alliez dompter;
Et déjà d'Ilion, présageant la conquête,
D'un triomphe si beau je préparais la fête.
Je ne m'attendais pas que pour le commencer,
Mon sang fût le premier que vous dussiez verser.

Iphigénie, dans le grec, finit par dire qu'il n'y a rien de si desirable que la vie, et de si affreux que la mort. Ce sentiment est vrai; mais est-il assez touchant pour terminer un morceau de persuasion? Il peut convenir à tout le monde, et il valait mieux, ce me semble, insister en finissant, sur ce qui est particulier à Iphigénie; et c'est aussi ce qu'a fait Racine. Il n'a pas cru non plus devoir lui donner cette extrême frayeur de la mort il a voulu qu'on se souvînt que c'était la fille d'Agamemnon; et d'ailleurs, il

savait qu'un peu de courage sans faste, et mêlé à tous les sentimens qu'elle doit exprimer, ne pouvait rien diminuer de l'intérêt qu'elle inspire, et devait même l'augmenter :

Non que la peur
du coup dout je suis menacée,
Me fasse rappeler votre bonté passée,

Ne craignez rien: mon cœur, de votre honneur jaloux,
Ne fera point rougir un pere tel que vous;

Et si je n'avais eu que ma vie à défendre,
J'aurais su renfermer un souvenir si tendre.
Mais à mon triste sort, vous le savez, Seigneur,
Une mere, un amant, attachaient leur bonheur.
Un roi digne de vous a cru voir la journée
Qui devait éclairer notre illustre hyménée.
Déjà sûr de mon cœur à sa flamme promis,
Il s'estimait heureux : vous me l'aviez permis.
Il sait votre dessein: jugez de ses alarmes.
Ma mere est devant vous, et vous voyez ses larmes.
Pardonnez aux efforts que je viens de tenter

Pour prévenir les pleurs que je leur vais coûter. De combien d'intérêts elle s'environne en paraissant oublier le sien! Elle ne fait pas parler les pleurs du petit Oreste, comme dans Euripide, mais les pleurs d'un enfant sont un moyen accidentel et passager; au lieu que le contraste affreux de l'hymen qui lui était promis, et de la mort où l'on va la conduire, tient à tout le reste de la piece et fait partie de la situation. Plus je réfléchis sur ces deux ouvrages, plus il me paraît incontestable que la terreur et la pitié sont portées beaucoup plus loin dans Racine, que dans Euripide.

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J'ai entendu quelquefois opposer à ce dévoûment généreux d'Iphigénie, qui s'éleve dessus de la crainte de la mort, en même tems qu'elle fait ce qu'elle doit pour sauver sa vie, cet aveu que fait Amenaïde d'un sentiment tout contraire, dans ces vers si connus:

Je ne me vante point du fastuenx effort,
De voir sans m'alarmer les apprêts de ma mort.
Je regrette la vie : elle dut.m'être cherc

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