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plus grands charmes de la lecture de La Fontaine, mais elles se refusent à l'analyse. Il vaut mieux montrer ici, par quelques traits choisis, à quelle noblesse s'élèvent, par intervalles, la pensée et le langage de La Fontaine. Avons-nous, chez nos poëtes les plus soutenus, de plus beaux vers que ceux-ci :

Quant aux volontés souveraines

De celui qui fait tout, et rien qu'avec dessein,
Qui les sait que lui seul? comment lire en son sein?
Aurait-il imprimé sur le front des étoiles

Ce que la nuit des temps enferme dans ses voiles 1?

Est-il rien de plus gracieux que cette peinture de la

nuit :

Cette divinité, digne de vos autels,

Et qui, même en dormant, fait du bien aux mortels,

Par de calmes vapeurs mollement soutenue,

La tête sur son bras et son bras sur la nue,

Laissant tomber des fleurs et ne les semant pas,

Fleurs que les seuls zéphyrs font voler sur leurs pas 2...

Ou que ce portrait de Vénus :

Rien ne manque à Vénus, ni les lis, ni les roses,
Ni le mélange exquis des plus aimables choses,
Ni ce charme secret dont l'œil est enchanté,

Ni la grâce, plus belle encor que la beauté 9.

1 La Fontaine, liv. II, f. XIII, v. 18.

2 Songe de Vaux, 5e fragment.

3 Adonis, poëme, v. 75-78. Ce dernier vers: « Et la grâce plus belle encor que la beauté, » qui paraît couler de source, enferme peut-être une réminiscence de Virgile, qui parlant de Nisus et d'Euryale:

dit en

Gratior et pulchro veniens in corpore virtus. (En., lib. V, v. 344.)

Où trouver plus de pathétique que dans ces plaintes sur les rigueurs de la mort :

Défendez-vous par la grandeur,

Alléguez la beauté, la vertu, la jeunesse;

La mort ravit tout sans pudeur :

Un jour le monde entier accroîtra sa richesse '

Plus de sensibilité et de douce mélancolie que dans ce passage où respire l'âme de Virgile, avec le souvenir de ses vers les plus émus :

Solitude où je trouve une douceur secrète,

Lieux que j'aimai toujours, ne pourrai-je jamais,
Loin du monde et du bruit, goûter l'ombre et le frais?
Oh! qui m'arrêtera sous vos sombres asiles ??

Enfin plus de grâce et de légèreté que dans cette autre imitation du même poëte. Virgile avait dit en parlant de Camille :

Illa vel intactæ segetis per summa volaret

Gramina, nec teneras cursu læsisset aristas 3.

La Fontaine dit à son tour, pour peindre la démarche de la princesse de Conti :

Le sens n'est pas le même, mais il aura suffi de ces deux mots : gratior et pulchro, déposés obscurément dans un pli du cerveau, pour produire en son heure une autre fleur de poésie. Ces bonnes fortunes n'arrivent qu'à ceux qui vivent familièrement avec les maîtres.

1 La Fontaine, liv. VIII, f. 1, v. 13.

2 Ibid., liv. XI, f. iv, v. 22.

3 Æn., liv. VII, v. 808

L'herbe l'aurait portée; une fleur n'aurait pas

Reçu l'empreinte de ses pas1.

De l'amazone de Virgile ou de la princesse de notre poëte, laquelle est la plus légère et la plus gracieuse? On ne finirait pas, on ne se lasserait pas non plus, si l'on voulait tirer de ce poëte unique, qui amuse l'enfance, qui instruit l'âge mûr, qui console la vieillesse, tous les trésors de morale et de poésie qu'il renferme. Il nous a fallu l'aveu direct et public de quelques insensibles pour être assuré que La Fontaine n'avait pas Pour lui l'universalité des suffrages; mais si le sentiment des beautés dont il abonde a été refusé à quelques-uns, il n'a été donné à personne de pouvoir désabuser le monde d'une admiration qui a ses racines dans le cœur de l'homme.

La Fontaine et Molière sont inséparables, ils se tiennent pour ainsi dire la main devant la postérité qui les admire et qui les aime. Elle leur sait gré à tous deux de n'avoir pas haï les hommes dont ils ont peint les travers et les faiblesses avec tant de fidélité et par des moyens analogues, car la fable, dans les mains de La Fontaine, est devenue

Une ample comédie à cent actes divers 2.

Le parallèle entre le génie de ces deux grands poëtes était donc inévitable. Chamfort l'a fait, en critique habile, dans un morceau célèbre qu'il est inutile de

1Œuvres de La Fontaine, le Songe, pour madame la princesse de Conti, v. 24.

2 Ibid., liv. V, f. 1, v. 27.

reproduire ici. Contentons-nous de saisir et de mettre en lumière certaines analogies qui rapprochent ces deux poëtes philosophes, si français et si humains, si modernes et si antiques, pour tout dire, si vrais et si durables. Ils sont bien de leur pays et de leur temps, mais ils conviennent à tous les lieux et à tous les âges. Leurs faiblesses, et ils en ont, ne sont que des traits de vérité plus frappants et des arguments de sincérité. Ce qui prouve victorieusement la parenté et la puissance de leur génie, c'est le don qu'ils possèdent au même degré de transformer ce qu'ils touchent, et de s'assimiler ce qu'ils empruntent. Molière disait « Je reprends mon bien où je le trouve, » et La Fontaine, dans le même sens :

Mon imitation n'est point un esclavage1,

et tous deux avaient raison. Tous deux ils suivent librement les modèles qu'ils rencontrent; là où d'autres les ont précédés, ils créent ce qu'ils imitent; ils emportent par droit de conquête ce qu'ils dérobent; car ils impriment à tout ce qu'ils mettent en œuvre le cachet de leur originalité.

Rome et la Grèce nous opposent des poëtes qui soutiennent la comparaison avec Corneille, Racine et Boileau, mais elles n'ont rien à placer légitimement en regard de Molière et de La Fontaine. Si ceux qui les déprécient savent ce qu'ils font, ils sont bien coupables; et bien aveugles, s'ils l'ignorent. Ils amoindrissent la France.

1 La Fontaine, Épître xxi, à Huet, v. 26.

CHAPITRE II

La Rochefoucauld.

Le Livre des Maximes.

ouvrage. Madame de La Fayette

- Madame de Sévigné.

Esprit de cet

- La princesse de Clèves. Son caractère. Mérite de ses

lettres. Le cardinal de Retz. Mémoires sur la Fronde.

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Politique du cardinal de Retz.

Ses maximes. Ses

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La splendeur du siècle de Louis XIV a produit, dans optique des temps, une illusion qu'il est bon de signaler: c'est que, parmi les noms antérieurs, ceux qui n'ont point pâli dans la lumière de cette époque ont paru lui appartenir. Ainsi Corneille, Descartes et Pascal, que nous avons dû remettre à leur vraie place, semblèrent graviter autour du grand roi, parce que, après sa venue, leur gloire n'en fut pas éclipsée. Voilà sans doute des métaphores bien astronomiques, et comment les écarter quand on parle d'un prince qui avait pris le soleil pour emblème ? Il suffira de ne plus y revenir. Mais si l'inexorable chronologie en

lév

e au siècle de Louis XIV le père du théâtre et celui de la philosophie, et même l'incomparable écrivain dont la prose n'a pas été égalée, il serait injuste de pousser plus loin ces reprises, et de réclamer au profit de l'âge précédent les grandes intelligences qui, bien que déjà mûres, attendirent, pour donner leurs fruits, l'arrière-saison de la vie. Celles-là sont bien, par le génie, contemporaines de Louis XIV. A ce titre, nous ne lui avons disputé ni Molière ni La Fontaine.

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