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LA

PEINTURE RELIGIEUSE

EN FRANCE

M. HIPPOLYTE FLANDRIN.

Parmi les talens issus de ce mouvement de réaction que suscitèrent, presque au lendemain du succès, les abus de pouvoir et les entraînemens de l'école romantique, parmi les peintres dont les débuts remontent à un quart de siècle environ, M. Hippolyte Flandrin est celui qui a le mieux tenu ses promesses, le plus exactement marqué sa place et défini sa foi. Artiste fécond et patient tout ensemble, facilement inspiré et difficile envers lui-même, il doit la réputation dont il jouit à la constance de ses efforts, à des études opiniâtrément poursuivies, autant qu'aux priviléges de sa propre organisation. Continuateur à bien des égards de son maître sans pour cela s'en être fait l'imitateur servile, il a su concilier la fidélité scrupuleuse aux enseignemens reçus avec le respect du sentiment personnel. M. Flandrin, malgré ses longs succès et l'importance acquise aujourd'hui à ses travaux et à son nom, est resté, si l'on veut, l'élève de M. Ingres, en ce sens qu'il accuse son origine plus ouvertement qu'aucun de ses anciens condisciples; mais sous ces dehors d'abnégation on a peu de peine à démêler les caractères d'un tempérament moral particulier. C'est ainsi que, dans l'ordre de

la conformité physique, les habitudes intimes et l'expression de la physionomie diversifient entre les membres d'une même famille certains traits identiques au premier aspect.

Nous ne prétendons ni exagérer l'indépendance de M. Flandrin, ni confondre dans une égale admiration les œuvres qu'il a produites et celles qu'a signées son maître. Il faudrait fermer les yeux à l'évidence pour méconnaître la permanence de l'empire exercé sur le talent de M. Flandrin par les exemples de M.. Ingres; mais il y aurait autant d'injustice à circonscrire la portée de ce talent dans les limites d'une habileté seulement transmise et d'une science d'emprunt. Tout en laissant voir clairement ce qu'il doit aux leçons de Rubens, Van-Dyck nous donne aussi la mesure de ses rares aptitudes, ou, pour choisir des termes de comparaison en meilleur lieu encore, Jules Romain et Bernardino Luini se montrent créateurs à leur tour lors même qu'ils continuent le plus fidèlement en apparence la doctrine de Raphaël ou celle de Léonard. M. Flandrin fait preuve d'une docilité analogue, de ces mêmes habitudes disciplinées qui n'ôtent rien à la sincérité des intentions. Comme Luini par exemple, il choisit entre les souvenirs de la manière révérée ceux qui s'approprient le mieux à ses inclinations plutôt tendres que fières, et les formes de style qui expriment surtout la grâce et la sérénité.

Les travaux de M. Hippolyte Flandrin s'isolent d'ailleurs des œuvres de M. Ingres, et en général des œuvres contemporaines, par la signification morale, par l'ordre de sentimens dans lequel ils ont été conçus. Ces travaux ont un caractère profondément pieux : ils satisfont exactement aux conditions actuelles de la peinture sacrée. Sans complicité avec les fantaisies de l'art moderne comme sans partipris plus rétrograde que de raison, sans ostentation archaïque, ils perpétuent la tradition ancienne en l'interprétant dans le sens des progrès accomplis et des exigences de notre temps. C'est là le propre du talent de M. Flandrin quand ce talent s'applique à la représentation des sujets religieux; c'est cette aptitude à revêtir de formes consacrées des inspirations neuves qui constitue l'originalité véritable d'un peintre partout ailleurs très-habile, mais d'une habileté quelquefois un peu trop voulue, pourrait-on dire. On sait avec quelle supériorité M. Flandrin traite le portrait et quelle longue série de beaux ouvrages il a produite depuis son propre portrait et celui de Me Oudiné, exposés l'un et l'autre en 1840, jusqu'aux toiles que l'on admirait au salon dernier, jusqu'au portrait de M. le comte Duchâtel, œuvre plus récente encore. Certes il n'y a que justice à louer l'extrême pureté de style, la fine intelligence de la vérité qui distinguent les portraits dus au pinceau de M. Flandrin; mais ici ce style si sobre est-il toujours exempt d'une secrète ari

dité? Cette vérité, si patiemment étudiée et rendue, n'affecte-t-elle pas dans de certains cas une simplicité d'expression un peu morne, une sorte de placidité pittoresque qui avoisine la langueur? N'eût-il peint que ses portraits, M. Flandrin serait encore un artiste très éminent, le plus éminent même, dans ce genre spécial des peintres contemporains, après M. Ingres; toutefois le rang qu'il conviendrait de lui assigner, il le mériterait surtout à titre de talent bien informé, d'observateur savant des règles et de la méthode. Dans le domaine de la peinture religieuse au contraire, ce talent, qui tout à l'heure procédait presque exclusivement de la science et du goût, emprunte en grande partie sa force à l'émotion de la pensée. Sans rien perdre en correction, sans se départir de ses coutumes discrètes, il acquiert, même au point de vue de l'exécution, une aisance et une franchise imprévues; il traduit sincèrement ce qu'il a sincèrement senti. On devine en un mot devant ces peintures à la gloire de Dieu et de la foi catholique que celui qui les a faites ne s'est ni imposé un rôle, ni prescrit une tâche purement pittoresque mérite rare chez les peintres de notre école qui ont entrepris de pareils travaux, nonseulement depuis le commencement du siècle, mais même à d'autres époques et dans les diverses phases que l'art a traversées.

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Il faut le reconnaître en effet, et nous rappelions récemment ce fait à propos des tableaux d'église exposés au salon, de tous les genres de peinture qu'a traités l'école française, la peinture religieuse est celui où elle soutiendrait le plus difficilement la comparaison avec les écoles étrangères. Des peintres d'histoire comme Poussin, Lebrun et David, pour ne citer que ces trois noms, des paysagistes comme Claude le Lorrain et Gaspard Dughet, des peintres de portrait comme Philippe de Champagne, Rigaud, Tournières et vingt autres, sans compter nos vieux portraitistes anonymes, prédécesseurs ou contemporains de Dumonstier, — enfin les nombreux peintres de genre qui depuis Watteau jusqu'à Granet ont frayé ou parcouru une voie que plus d'un encore suit avec honneur aujourd'hui, - de tels artistes peuvent être à bon droit salués du titre de maîtres. Au contraire, les plus remarquables entre ceux qui ont abordé les sujets sacrés n'ont que le rang et l'importance d'hommes de talent. Les uns, Jouvenet, Mignard ou Doyen par exemple, se sont montrés praticiens habiles en promenant sur les murs des églises ou sur la toile leur pinceau tantôt robuste, tantôt brillant. D'autres, et le grand Poussin lui-même est un de ceux-là, ont envisagé avant tout dans les scènes bibliques le côté historique et humain. Interprété, il est vrai, avec une puissance de raison et une sagacité singulières, le fait est devenu sous leur main l'objet et la fin du travail, au lieu d'en être seulement le principe et de

ne se révéler aux yeux que pour inspirer à l'âme le désir et le pressentiment de l'infini. On dirait que le génie même de l'art français, si soigneux de la vraisemblance en toutes choses, si naturellement exact et méthodique, ne lui permet de s'aventurer dans les sphères idéales qu'à la condition d'y transporter ses habitudes de prudence extrême et de spéculation positive. Seul, Eustache Lesueur a laissé dans ses compositions religieuses une part principale à l'élément surnaturel, aux élans, à l'expression passionnée de la foi; mais, si glorieuse que soit l'exception, le peintre de la Descente de Croix et de la Vision de saint Benoit n'en demeure pas moins, sous certains rapports, comme dépaysé dans notre école, où les maîtres ont plutôt coutume de persuader l'esprit que de séduire l'imagination ou d'attendrir le cœur.

Si l'on remonte dans l'histoire de l'art national au-delà du XVIIe siècle, on surprendra difficilement chez les peintres du moyen âge et de la renaissance des aspirations plus mystiques, des intentions moins formellement définies. Sans parler de certains monumens antérieurs au règne de saint Louis, les fresques de SaintSavin, près Poitiers, par exemple, et quelques autres fragmens de peintures murales où l'on démêlerait peut-être sous l'imitation du style byzantin une sorte de tendance à la véracité pittoresque, on peut citer comme des spécimens non équivoques de la manière française les travaux des peintres verriers et des miniaturistes à partir du XIIIe siècle. N'exagérons rien toutefois. Le XIIIe siècle, on le sait, fut pour l'architecture et la sculpture en France un siècle béni, une époque toute de création et de progrès. Dans ce grand mouvement de l'art auquel nous devons, entre tant d'autres chefsd'œuvre, les cathédrales de Reims, d'Amiens, et les figures qui ornent les portails de la cathédrale de Chartres, le rôle de la peinture est demeuré moins éclatant. Le temps, il est vrai, a effacé sur les murs des édifices les vastes compositions qu'y avait tracées le pinceau, et, pour deviner quelque chose de ce que pouvaient être ces décorations monumentales, il nous faut recourir à des textes arides, aux indications succinctes ou incertaines que nous ont laissées de loin en loin les historiens. Là même néanmoins où les documens ont survécu, là où les termes de comparaison subsistent entre les œuvres de la peinture et les œuvres de l'architecture et de la statuaire, celles-ci gardent une supériorité qui atteste que les développemens de la peinture au moyen âge ont été en France relativement peu rapides. A Dieu ne plaise par conséquent qu'aux puissans artistes qui édifiaient ou dont le ciseau enrichissait les églises du XIIIe siècle nous assimilions des talens à tous égards plus modestes, - les enlumineurs des psautiers et les imagiers des verrières! Ce

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que nous voulons dire seulement, c'est que, dès cette époque et dans cet ordre de travaux, les premiers symptômes se manifestent dè ce goût pour le naturel et pour l'expression exacte qui caractérisera plus tard la manière française dans la représentation des sujets religieux comme ailleurs. Ici sans doute la forme est encore bien incorrecte, l'intention pittoresque trop souvent même incomplète ou erronée cette incorrection toutefois n'accuse rien de plus que l'inexpérience technique, cette insuffisance de l'exécution ne résulte pas du mysticisme de la pensée. Que l'on examine les vitraux qui décorent les cathédrales de Chartres, du Mans, de Sens et de Bourges, ou l'histoire légendaire de Joseph représentée sur une des fenêtres de la cathédrale de Rouen pourra-t-on constater là, aussi aisément que dans les œuvres du même genre produites de l'autre côté du Rhin ou des Alpes, un invariable respect pour certaines formules hiératiques, une volonté traditionnelle d'employer le symbole comme moyen d'expression principal? N'y reconnaîtrat-on pas plutôt le désir d'emprunter autant que possible à la réalité des inspirations et des modèles? Nous ne voudrions pas trop insister sur une question qui intéresse l'archéologie aussi directement au moins que l'art proprement dit. Il nous sera permis cependant de faire remarquer dans les monumens que nous avons cités, et dans la plupart de ceux qui appartiennent à la même époque, cette coutume toute naturaliste d'associer aux images des personnages sacrés les portraits des rois ou des seigneurs contemporains, et jusqu'à des scènes familières tirées de la vie des artisans. Enfin, suivant Émeric David, les peintres français n'ont-ils pas essayé les premiers de figurer le Créateur sous une apparence humaine? Tentative regrettable, il faut le dire, puisqu'elle n'aboutit qu'à rapetisser la toutepuissance divine à notre taille et l'idée de l'infini aux proportions d'un fait, mais tentative conforme à ce besoin, signalé tout à l'heure, de revêtir de vraisemblance même ce qui est de soi nécessairement abstrait.

La peinture sur verre, traitée en France au moyen âge avec une science du procédé plus sûre que dans les autres pays, n'a donc, sous le rapport religieux, qu'une signification un peu étroite, ou, si l'on veut, trop habituellement pittoresque. Même observation, et peut-être mieux fondée encore, à propos des miniatures, d'ailleurs si dignes d'étude, qui ornent les livres de chœur et les missels. A coup sûr, on ne courra pas le risque de se méprendre en admirant tantòt la fermeté, tantôt la délicatesse de dessin et de coloris, qu'attestent tant de précieux morceaux, depuis le Psautier de saint Louis jusqu'aux Heures d'Anne de Bretagne: inestimable série de petits chefs-d'œuvre où l'on peut suivre pendant trois siècles les progrès

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