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aussi sur le marché du prêt, 1.000 francs présents valent plus que 1.000 francs futurs, il me faudra bien, au moment de l'échange, payer quelque chose en plus au créancier pour égaliser les valeurs : ainsi, au lieu de 1.000 francs, il me faudra payer 1.050 francs par exemple, et ce surplus est ce qu'on appelle intérệt (1).

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L'objection, pour être rajeunie, n'en est pas moins très ancienne, et elle n'avait pas échappé à la vue perçante de nos vieux théologiens. L'argent présent vaut plus que l'argent futur. Dans certaines circonstances, oui, par exemple, si l'on n'est pas assuré d'avoir l'argent futur, si la privation de l'argent présent cause un détriment, empêche la réalisation d'une bonne affaire, etc. Faut-il donc répéter sans cesse que ce sont là des circonstances accidentelles qui ne sont pas inhérentes au prêt, et qui, lorsqu'elles se présentent, donnent droit à une juste indemnité ? Que l'argent présent vaille toujours plus que l'argent futur, c'est faux; tout au contraire, comme nous l'avons déjà dit, l'on a quelquefois beaucoup plus de sécurité en ayant son argent chez un débiteur dont la solvabilité est garantie, qu'en le gardant.

1381. Conduite de l'Eglise. - L'on n'omet pas aussi d'alléguer les décisions de l'Eglise, et un auteur, peu au courant des matières théologiques, M. Tissot, a écrit: « Le droit canon condamne le prêt à intérêt de la manière la plus absolue... Cette doctrine est de celles que l'Eglise a été obligée de modifier profondément, et à l'occasion de laquelle il a bien fallu qu'elle recon

(1) Revue d'Economie politique. Mars, avril 1889, no 2. Une nouvelle théorie sur le capital, page 145.

nût son erreur (1). » C'est très légèrement parler. L'Eglise n'a jamais reconnu qu'elle se fût trompée dans sa doctrine sur l'usure. L'encyclique Vix pervenit, de Benoît XIV, est assez explicite, si je ne me trompe; elle constitue la règle doctrinale en cette matière, et le Saint-Siège la rappelle dans les documents mêmes qu'on présente comme une rétractation au moins indirecte de l'ancienne doctrine. Les Congrégations romaines, sans retrancher un iota de l'enseignement traditionnel, ont donné une règle pratique au sujet des nombreux cas de conscience que faisait naître la loi civile permettant dans une certaine limite le prêt à intérêt. Ces réponses reviennent toutes à ceci acquiescant, qu'ils soient en paix : dummodo pœnitentes parati sint stare mandatis Sancla Sedis. Mais une réponse récente du 18 août 1858, donnée pour le Piémont, où le taux de l'intérêt est aboli, mérite d'attirer notre attention. On demande : « Si, par cela même que la Sacrée Pénitencerie a déclaré qu'on ne devait pas inquiéter ceux qui, sans autre titre que la loi, exigent dans les prêts, un intérêt à cinq pour cent, cette doctrine s'applique aussi à ceux qui, profitant de la faculté illimitée laissée par la nouvelle législation, exigent, en vertu d'une convention, un taux beaucoup plus élevé, comme 15 ou 20 pour cent.» « Feria IV die 18 aug. 1858, in Congregatione generali habitâ rescriptum fuit; quoad fructus legales provisum per decreta alias data; quoad fructus conventionales eorumque titulos, provisum per Encyclicam Vix pervenit (2).

(1) Introduction historique et philosophique à l'étude du droit, livre I, chap. XII.

(2) Scavini, Theologia moral. Tome IV, page 621.

Loin donc que les dispositions de l'Encyclique de Benoît XIV soient tombées en désuétude, il est à remarquer qu'en présence du mouvement économique libéral qui, en France, a déjà fait supprimer le taux légal en matière commerciale (loi du 12 janvier 1886), et qui tend à le supprimer également en matière civile, la Constitution de Benoît XIV va fournir, même plus souvent qu'autrefois, la solution de la question de savoir quel intérêt peut être perçu.

L'on s'explique parfaitement la conduite prudente du Saint-Siège, au milieu du désordre économique actuel, en face de la loi civile, qui, soutiennent un grand nombre de théologiens, peut, en vue du bien public, pour faciliter le commerce, les affaires, transférer de l'emprunteur au prêteur la propriété de l'intérêt, attribuer à celui-ci une sorte de prime pour l'encourager à prêter, d'autant que, de nos jours, il existe ordinairement des titres extérieurs, et que la loi, en permettant la perception d'un intérêt, n'a fait que se conformer à la présomption générale d'un autre titre. Et plusieurs de ceux qui dotent l'autorité publique d'un pareil pouvoir, se récrient plus d'une fois contre ce qu'ils appellent le socialisme d'Etat! Certes, le socialisme d'Etat est dans cette attribution extraordinaire conférée au pouvoir, ou il n'est nulle

part.

Mais qui oserait, à l'heure présente, prédire une longue durée au système de l'économie libérale et capitaliste? Est-ce que tout n'annonce pas une ruine? Est-ce que, après la catastrophe, il ne faudra ps rebâtir l'édifice sur d'autres bases? Il y a déjà plusieurs années, l'éminent traducteur de la Somme de saint Thomas, M. F. Lachat, écrivait ces paroles

presque prophétiques : « Lorsque le trafic dont l'argent est maintenant l'objet, aura pris tout son développement, exercé toutes ses influences, donné ses derniers fruits, on regrettera peut-être, mais trop tard, qu'une digue plus inflexible n'ait pas été opposée à ce qu'on regardera, non sans raison, comme les premiers envahissements d'un agiotage qui finit toujours par ruiner les sociétés, sous prétexte de multiplier les richesses (1). »

1382. Rôle de l'autorité publique par rapport au prêt à intérêt. Dans son commentaire ou apparat sur les cinq livres des Décrétales, Innocent IV allègue sur la défense générale de l'usure la raison suivante: « On défend ainsi l'usure d'une manière générale, parce que, s'il était permis de la recevoir,, on verrait en dériver des maux de tout genre. Les hommes ne cultiveraient plus la terre, excepté quand ils ne pourraient plus faire autrement, et de la résulterait une disette si grande, que les pauvres mourraient de faim. »

« Ce passage, dit très bien M. l'abbé Jules Morel, qui excite le respect humain des timides apologistes, et qui fait sourire les esprits forts, n'en est pas moins vrai dans toute sa rigueur. Oui, si les usures étaient permises, elles finiraient par s'emparer de tous les capitaux, parce qu'elles sont les plus commodes et les plus lucratives de toutes les transactions, et qu'avec elles, il suffit de savoir attendre pour s'enrichir certainement. N'est-ce pas ce qu'on voit aujourd'hui que tous les capitaux sont ramassés dans les grands réservoirs de la banque ? N'est-il pas vrai que l'aristocratie

(1) Lachat, Somme théologique traduite, t. VIII, p. 722.

créée par les usures, domine aujourd'hui et tient sous son joug toutes les industries, tout le commerce, tous les arts? N'est-il pas vrai qu'elle dédaigne l'agriculture, qui lui rapporte moins que toutes les industries brillantes qu'elle peut commanditer sans perte, et qu'elle néglige le fond des besoins humains pour les frivolités du luxe, le vin et le froment des ancêtres pour les articles de nouveautés? N'est-il pas vrai que les populations agricoles disparaissent chaque jour et désertent les campagnes pour s'engloutir dans les villes industrielles, et que jamais le superflu, le colifichet n'a été si bon marché, tandis que le nécessaire monte à un prix inabordable? N'est-il pas vrai que, si l'on ne craignait les émeutes, c'est-à-dire si on pouvait faire autrement, con me le dit admirablement Innocent IX, l'agriculture serait encore plus délaissée ; que la grande culture, qui cesse de plus en plus, serait remplacée par une légion de petits cultivateurs, courbés impuissants sur la glėbe, et qu'il en résulterait une disette si grande que les pauvres mouri aient de sa m? Sans doute, ils ne meurent pas de faim tout à fait encore, mais jamais le paupérisme n'a été plus grand que depuis que le commerce des usures est à la tète du monde financier, jamais le salaire n'a été plus réduit et plus insuffisant à la nourriture du peuple travailleur, jamais le travail n'a été plus oppressiť de sa conscience, de sa famille, de sa joie intime; et, enfin, il est né de cet antagonisme un autre monstre qui menace d'engl utir ce que les usures ont englouti ellesmêmes, le gouffre des usures appelant le gouffre du socialisme: Abyssus abyssum invocat (1). »

(1) Jules Morel, op. cit.

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