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met à l'occupant d'atteindre cette fin, c'est le travail. Ecoutons sur ce point celui que l'on peut appeler le patriarche des philosophes scolastiques de notre temps, le père Liberatore.

« Jurisconsultes et économistes, nous dit-il, paraissent être en désaccord quand il s'agit d'établir le fait primordial qui détermine pratiquement le droit de propriété. Les jurisconsultes tiennent pour l'occupation d'un lieu encore nullius; les économistes tiennent pour le travail. Au fond, le dissentiment n'est qu'apparent. Les partisans de l'occupation reconnaissent qu'elle a pour fin l'élaboration, la transformation de la matière saisie par l'occupant, de telle sorte qu'elle puisse lui procurer une utilité: qui occupationem tuiti sunt fatebantur eam hùc spectare, ut res occupata eo modo quo pateretur elaboranda vel transmutanda esset ab occupante, ad ejus utilitati serviendum. Ceux, au contraire, qui préconisent le travail sont loin de nier que son premier acte consiste à saisir une chose qui n'appartient encore à personne, sinon la matière sur laquelle peut s'exercer le travail fait défaut. »

Dans la suite de la discussion, l'éminent philosophe est amené à répondre à l'objection suivante d'Ahrens: « Si le droit de propriété était acquis par l'occupation, un seul homme pourrait occuper une étendue immense de terre, tout un continent, ce qui est absurde. >>

- «Il pourrait l'occuper réellement, effectivement, nous le nions, il pourrait l'occuper idéalement, sans doute, mais cette occupation platonique n'engendre aucun droit. »>

Le P. Liberatore ajoute ici des explications de la plus haute importance.

<< L'occupation, avons-nous dit, est le premier exercice de l'activité humaine sur les choses qui peuvent être l'objet du domaine de l'homme; son but est d'élaborer, de modifier et de rendre utile à l'occupant la chose occupée: eamque huc spectare, ut res illa, ea ratione qua capax est elaboretur et utilis fiat occupanti. Cela ne peut avoir lieu quand il s'agit de tout un continent. Comment un homme seul agirait-il sur une aussi vaste étendue de matière? S'il est aidé par d'autres, ce n'est pas alors l'homme individuel, mais l'ensemble des individus, la société qui possédera le continent: Quod si auxilio aliorum juvetur, tunc non homo individuus, sed plurium collectio, nimirum societas, continenti illo potietur.

« Cette objection, continue le philosophe, touche aux limites posées par la nature aux droits de propriété. Ces limites, comme nous l'avons dit en général de tous les droits, proviennent d'un double chef: d'abord, de la nature même de l'objet sur lequel le droit s'exerce, et des devoirs qui incombent au sujet de ce droit. Dans le cas présent, alors même qu'une semblable occupation serait possible à un homme seul, elle n'engendrerait pas en lui le droit d'exclure les autres, à cause des devoirs qui nous lient essentiellement les uns aux autres. Tamen jus excludendi alios res illa non gigneret, propter officia quibus alter alteri vi naturæ astringitur. Personne n'a le droit de revendiquer une étendue de terrain telle que sa possession exclusive serait incompatible avec l'existence d'autrui. Nemo enim adeo immensos tractus terræ vindicare sibi potest, quorum possessio cum aliorum existentia conciliari nequeat. Il répugne manifestement à la raison que l'on s'approprie, au

détriment d'autrui, ce qui ne nous est nullement utile, et ce qui est nécessaire à la vie des autres: Aperte enim rationi repugnat, ut quis cum aliorum detrimento ea sibi usurpet, quæ ipsi minime prosunt, et quorum usus est necessarius vitæ aliorum. Ensuite, cette mesure du droit est prise de la fin même de l'occupation; son but, c'est le travail nécessaire pour rendre utile la chose occupée. Deinde, mensura hæc accipitur ex fine occupationis qui situs est in labore et industria requisitis ad utilem efficiendam rem quam sibi quisquam adsciscit. Les forces de l'homme ont leurs limites; son droit d'occupation doit donc aussi avoir les siennes. Si, en cette matière, il reste quelque indétermination, il n'y a là rien d'étonnant les points que, dans le droit naturel, la raison seule est impuissante à préciser suffisamment, sont très nombreux. Cela prouve que l'homme est naturellement fait pour la société ; la raison pose quelques principes et elle laisse aux lois sociales le soin d'en faire une application plus détaillée (1). » L'on ne saurait mieux dire. Ecoutons encore Balmès : « L'occupation que l'on a coutume de compter parmi les titres d'acquisition de la propriété se réduit au travail, attendu que toute occupation suppose une action par laquelle on se rend maître de la chose. Aussi la propriété s'étend-elle aussi loin que s'étendent les marques laissées par le travail de l'occupant sur la chose occupée. Pour acquérir une terre qui n'appartiendrait encore à personne, il ne suffirait pas de dire elle est à moi, ni même de la parcourir dans tous les sens. Le domaine sur cette terre ne serait juste, et

(1) Liberatore, Ethica, pages 196-200.

l'on n'aurait le droit d'en exclure les autres, qu'autant qu'on l'aurait améliorée, par exemple, en la labourant, en l'entourant d'un mur pour assurer la conservation des fruits, en y amenant l'eau, et en creusant des canaux pour l'arroser (1). »

Quelle a été la nature, la forme de cette occupation? individuelle ? ou sociale?

Il faut distinguer avec soin le fait naturel et primordial des faits subséquents et accidentels. L'occupation a pu, pendant la suite des siècles, résulter d'une multitude de faits divers. La conquête, l'émigration, l'arrivée sur une nouvelle terre d'étrangers, ou seuls, ou groupés par tribus, par familles, etc., etc., ce sont la autant de faits qui ont pu donner lieu et qui peuvent encore donner lieu à divers modes d'occupation. Mais nous recherchons le fait naturel et primordial que les autres faits supposent et qu'ils reproduisent avec plus ou moins de fidélité. Il paraît démontré par l'histoire, et en particulier par l'histoire biblique, aussi bien que par l'analyse de la nature humaine, que ce fait originel a été l'occupation par essaims de familles issues d'une même souche, s'étendant progressivement sur la terre, et l'occupant à mesure qu'elles s'accroissent et se développent: Ingredimini super terram... Replete eam. Les régimes les plus divers d'appropriation ont dû dès le principe se faire jour, et, sans théorie savante, ils se sont adaptés aux caractères variés des diverses familles ou des divers groupes de familles.

Dès le commencement, il y a eu des pasteurs, il y a

(1) Balmès. Curso de filosofia elemental. Etica, page 432, no 187. Cf. Encyclique Rerum novarum.

eu des agriculteurs, et tout le monde sait que ces diverses professions exigent naturellement des régimes différents de propriété. Je crois, avec des autorités très considérables, que les communautés de familles, dans lesquelles le père, le chef, le patriarche jouait un rôle prépondérant, comme on le voit dans les premiers chapitres de la Bible, se trouvent à l'origine... Elles précèdent les communautés de village ou d'autres communautés plus étendues, et elles réclament une forme de propriété intermédiaire entre la propriété collective et la propriété strictement, exclusivement individuelle, très apte avec le secours des mœurs et des traditions, à procurer la prospérité domestique et sociale.

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1376. La transmission de la propriété. La donation, le testament, l'hérédité ab intestat. La transmission de la propriété à titre onéreux est un phénomène d'échange, et sans échange la vie sociale serait impossible. La loi civile doit sans doute intervenir pour régler les conditions de l'échange, mais le principe même tient à l'essence des choses. Quant à la transmission gratuite des biens, soit par donation entre vifs, soit par testament, nous pensons qu'elle dérive du droit naturel, bien que le régime doive en être sagement réglé par la loi humaine.

Si l'homme peut appliquer à ses besoins personnels ses biens, fruits de son travail, pourquoi lui interdirait-on d'en faire jouir ceux qu'il aime, auxquels il est lié par les liens du sang, de l'amitié, de la reconnaissance? Pourquoi ne ferait-il pas acte de bienfaisance et de libéralité? Propriétaire, il est une autorité; or, toute autorité, à l'exemple de la première autorité, Dieu, aime à se donner et à donner. La donation est

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