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aux passions déchaînées de tant d'hommes armés, que la discipline est toujours incapable de contenir assez. Que de meurtres particuliers que les lois de la guerre ne justifient pas, que de représailles individuelles et abominables, que de violences et d'immoralités !

Parmi ceux qui ont essayé de justifier ou du moins d'expliquer la guerre, les uns l'ont regardée comme une expiation sanglante de l'humanité coupable et révoltée (ainsi de Maistre). Mais c'est là un genre d'expiation qu'il ne tiendrait qu'à l'homme d'abolir,et qui nous est imposé plutôt par nos crimes présents que par nos crimes passés. Les autres regardent la guerre comme le moyen providentiel et même nécessaire de grandir les caractères, d'arracher les hommes à la corruption et à la mollesse, fruits ordinaires d'une trop longue paix (ainsi de Moltke) (1). Mais on peut répondre que les occasions et même la nécessité de montrer du caractère et de la persévérance manquent moins que jamais dans nos sociétés modernes, parmi les luttes incessantes des intérêts et des partis, dans les conflits religieux et politiques. On peut contester, au contraire, que la guerre moralise par ellemême ceux qui la font avec bonheur ou qui la subissent; elle ne contribue que d'une manière indirecte au progrès des peuples. Il y a des guerres qui rouvrent la porte à la barbarie ou qui suspendent, pour de longues années, le progrès de l'humanité.

(1) C'est du moins vers cette opinion qu'il paraît pencher, par exemple dans sa lettre à M. Goubareff (10 fév. 1881) : « Selon vous, dit-il, la guerre est un crime; selon moi, c'est. le seul et juste moyen de consolider le bien-être, l'indépendance et l'honneur. » Il est vrai que la suite de la lettre vaut mieux que cette déclaration qui la commence.

1338. La paix. -Quelle que soit d'ailleurs l'opinion que l'on adopte sur l'utilité ou même la nécessité de la guerre, on ne peut contester qu'il faut la prévenir par tous les moyens possibles. Etant données la nature de l'homme et les causes de discorde qu'il porte en lui-même, la paix universelle et perpétuelle est peut-être une chimère. Cependant nombre d'esprits philosophiques s'en sont préoccupés sérieusement et en ont écrit. Tout au moins cette paix reste comme un idéal qui doit servir de règle ou de but, alors même qu'on ne peut le réaliser pleinement ni l'atteindre.

Parmi les moyens de procurer une entente entre les peuples et d'éloigner ou d'atténuer toutes les guerres, il n'en est pas de meilleur que ceux d'ordre religieux. On doit même ajouter que, sans la religion. toute pacification est impossible. Il ne suffit donc pas de favoriser la diffusion des lettres et des sciences, de grouper dans des congrès l'élite intellectuelle des nations, d'étendre sur tout le globe un réseau serré de routes commerciales: il faut encore rendre les peuples accessibles à des influences religieuses toujours plus pures; il faut les gagner à l'esprit de douceur, de fraternité et de justice qui est dans l'Evangile. Le jour où la religion inspirera mieux toutes les assemblées parlementaires et les congrès internationaux, la cause de la paix universelle sera mieux défendue.

1339. Un tribunal international. — Il serait si désirable et si naturel, en définitive, de s'en rapporter sur tous les points litigieux qui divisent les Etats à un tribunal international. On le composerait des hommes les plus éminents et les plus intègres de chaque nation. La présidence en serait dévolue au pape,

qui, de l'aveu de tous, est la plus haute personnification de la religion et de la paix. Mieux qu'aucun autre tribunal, celui ci pourrait obtenir également des puissances européennes un désarmement partiel et proportionné, qui devient indispensable, et qui porterait principalement sur les moyens offensifs. Alors pourrait se réaliser de quelque manière et dès ici-bas cette prophétie si consolante: Et fiet unum ovile et unus pastor. C'est surtout aux catholiques, disséminés dans le monde entier, qu'il appartient d'entreprendre cette croisade de la justice et de la paix (1).

(1) Cf. L. Olivi, Arbitrages internationaux (Congrès scientif. intern. des catholiques, 1889). Nous y relevons ces lignes « Une autorité religieuse, par exemple le chapitre d'un ordre monastique, pourrait être appelé à vider une question internationale en qualité d'arbitre. C'est Bluntschli lui-même qui l'a indiqué. La plus grande autorité religieuse est celle du Pape, et les pontifes de Rome ont statué plusieurs fois comme arbitres. Il parait hors de doute qu'une fonction pareille répond parfaitement à la mission de la papauté. Au moyen âge, les papes ont rempli ce rôle, en vertu même de la constitution politique de la chrétienté; ils étaient alors de véritables juges plutôt que des arbitres librement choisis par les Etats. Mais rien n'empêche aujourd'hui qu'ils exercent ce dernier rôle, ce qu'a prouvé la médiation intervenue dans l'affaire des Carolines. >> Ajoutons que la pratique du moyen âge plaçait les Etats chrétiens dans une situation juridique à laquelle il ne leur est pas permis de renoncer : « On commet une très grande injustice, dit Kant, en voulant vivre ou rester dans un état qui n'est pas juridique, c'est-à-dire où personne n'est assuré du sien contre la violence.» (Cf. Beaussire, Principes du droit, p. 188.)

CHAPITRE LXXXV

DE LA PHILOSOPHIE DE L'HISTOIRE

1340. Philosophie de l'histoire. Sa méthode et ses principes. La philosophie étudie l'homme sous tous les rapports dans sa nature, son origine et sa destinée, dans ses mœurs et ses devoirs. Elle le suit dans la famille, dans l'Eglise et dans l'Etat. Ce n'est pas tout encore. Les sociétés prises ensemble forment l'humanité, et celle-ci a une histoire, un passé et un avenir; or cette histoire appartient elle aussi au domaine de la philosophie. Tout esprit curieux de connaître le dernier pourquoi des choses se demandera si les peuples n'obéissent pas à certaines lois de développement et de décadence, de vie et de mort; s'il n'y a pas un plan universel à l'accomplissement duquel tous les peuples coopèrent, chacun selon sa nature, son génie et sa vocation; si chaque peuple ne représente pas dans le monde une idée, qui se rattache à une idée plus générale et plus haute, celle de la destinée de l'humanité. Répondre à ces questions, c'est toute la philosophie de l'histoire.

Pour ne pas s'égarer en de vaines spéculations, il importe de ne pas perdre de vue les faits et de s'appliquer å en dégager les lois auxquelles ils obéissent. Que

nous enseigne l'histoire? Si loin que remontent les annales des peuples, l'homme nous apparaît comme doué des mêmes aptitudes intellectuelles, morales et religieuses, aiguillonné par les mêmes besoins, cédant aux mêmes désirs et cherchant le même bonheur. Seulement, à mesure que change le milieu où se développent les peuples, à mesure que les moyens dont ils disposent se modifient, cette poursuite du bonheur change elle-même de caractère, c'est-à-dire que la vie domestique et sociale se transforme. L'un des facteurs les plus importants du changement, c'est la science, c'est la découverte des secrets de la nature, c'est le progrès des connaissances naturelles qui soumettent à l'homme tous les éléments. Mais la science, avec le progrès particulier qui en est la suite, ne suffit point à rendre l'homme heureux, si elle n'est accompagnée et soutenue de ces vertus morales d'où dépendent la paix des consciences et l'ordre social.

1341. Quelques lois générales de l'histoire. Nous touchons par là même aux lois fondamentales de l'histoire. Malgré bien des obscurités et des erreurs, c'est la même morale naturelle qui est connue de tous les peuples, depuis les plus primitifs; et ils sont heureux dans la mesure où ils la pratiquent. C'est grâce aux vertus domestiques, à l'amour des traditions, au respect de l'autorité, que les peuples se fortifient, se développent, résistent à leurs ennemis, réussissent même à les dominer et arrivent à l'apogée de leur puissance. C'est par la corruption des mœurs, l'indiscipline et les discordes qu'ils tombent en décadence et disparaissent même de la scène de l'histoire. L'élévation et la décadence des Etats et des peuples ont toujours les mêmes causes générales, depuis les empires

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