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- En établissant que la religion est le devoir fondamental, nous ne perdons pas de vue les heureuses inconséquences de la raison humaine; elles font que certains hommes sans religion, et qui se piquent même de leur indifférence, se reconnaissent d'ailleurs comme obligés en conscience par d'autres lois et accomplissent généreusement les devoirs qui en découlent. Mais l'inconséquence des hommes ne change pas les vrais rapports des choses, et l'on ne peut prescrire contre la logique. Or celle-ci veut que tous les devoirs dépendent en quelque manière de la religion, en sorte que, si on nie les obligations religieuses, on est incapable de justifier les autres. Si l'homme n'a aucun devoir à remplir enver son Auteur, qui est à la fois son premier principe et sa dernière fin, comment en aurait-il à remplir envers sa famille, son pays, ses semblables et lui-même ? Qui pourra le lier, l'obliger, si Dieu ne l'oblige pas? Sa conscience? - Mais, si Dieu n'existe pas, elle n'est qu'un préjugé, un sentiment, une habitude héréditaire; et il s'agit de savoir si l'on ne pourra pas la modifier, réformer ses arrêts et la retourner même complètement. La conscience sans Dieu deviendra facilement complaisante, et si, malgré tout, elle demeure incorruptible, cela prouve seulement que la conduite de l'homme vaut mieux souvent que ses principes, et que son pouvoir de détruire est heureusement limité par la nature. Mais la négation de tout devoir découle légitimement de l'irréligion et de l'athéisme.

Nous constatons une fois de plus que la morale n'est pas indépendante. Bien que les premiers préceptes de la conscience ne supposent pas nécessairement la connaissance distincte de Dieu, ils la préparent et l'im

pliquent déjà de quelque manière, et si l'on refuse positivement d'admettre les droits de Dieu, il n'y a plus de nécessité logique d'admettre les droits de l'homme. Les devoirs religieux ne sont donc pas la conséquence des devoirs sociaux, comme on l'a prétendu; mais les devoirs sociaux découlent plutôt des devoirs religieux. Ceux-ci subsisteraient encore, alors même qu'il n'y aurait pas de société. Le premier homme dut s'incliner devant son Créateur avec reconnaissance et amour, comme nous nous inclinons aujourd'hui, alors que la société n'était pas née encore. Parce que la religion est utile et même indispensable à l'ordre social, il ne s'ensuit point qu'elle n'existe que pour la société, et que la paix publique soit le dernier pourquoi de la religion et du culte. Même le culte extérieur et social a un autre principe que le bien public; il est dû à Dieu par la société avant d'être profitable et nécessaire à la société qui le rend. Ainsi se trouve condamnée une politique timide et fort peu religieuse en elle-même, qui ne protégerait la religion que comme moyen de gouvernement ou de moralisation sociale. La société est récompensée de l'accomplissement de ses devoirs; mais, pas plus que l'individu, la société ne peut regarder sa récompense comme le principe de son obligation et le suprême mobile de sa conduite.

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1249. La religion consiste d'abord dans l'amour suprême de Dieu. Il est facile de s'assurer, après ce que nous venons de dire, que les devoirs de religion convergent tous vers l'amour de Dieu par-dessus tout. Se subordonner au bien moral à l'honnête, et par conséquent à Dieu d'une manière absolue, reconnaître son excellence infinie, être re

connaissant pour tout ce qu'on a reçu de lui: c'est là le fond de la religion; mais n'est-ce pas aussi l'amour de Dieu régnant sur tous les autres amours? Donc non seulement l'amour naturel de Dieu par-dessus tout est possible à l'homme, mais il est encore obligatoire et il n'en est pas de plus impérieux.

Kant s'est gravement trompé à ce sujet. Il estime que la notion de Dieu est trop élevée pour nous et que notre amour ne peut prendre pour objet un être invisible. Aujourd'hui les positivistes tiennent presque le même langage. Mais nous avons vu, en théodicée, que Dieu n'est point inconnaissable, bien que la connaissance que nous en avons soit imparfaite; ensuite il est absurde de supposer que nous ne pouvons aimer que des êtres visibles. Nous pouvons connaître Dieu comme le bien suprême; donc nous devons l'aimer comme tel, c'est-à-dire d'un amour sans rival. L'erreur de Kant est d'autant moins explicable ici qu'il admet cette loi morale qui nous oblige à aimer l'honnête par dessus tout, et qu'il regarde cette loi comme liée nécessairement à l'existence de Dieu. Si c'est un devoir naturel d'aimer le bien moral ou l'honnête pardessus tout, c'est évidemment un devoir naturel d'aimer de ce même amour Dieu lui-même, qui est le bien réel et subsistant.

Aussi les philosophes catholiques n'ont-ils pas hésité sur ce point (1). Si parfois ils ont paru le nier, c'est

(1) Cf. S. Th., 2a 2æ q. 26, a. 3, et 1a q. 60 a. 5: « Quia igitur bonum universale est ipse Deus, et sub hoc bono continetur etiam angelus, et homo, et omnis creatura, quia omnis creatura naturaliter, secundum id quod est, Dei est; sequitur quod naturali dilectione etiam angelus et homo plus et principalius diligat Deum quam seipsum. »

qu'ils considéraient l'homme abandonné à ses propres forces, sollicité par les mille tentations des biens périssables, qui entrent souvent en opposition avec l'amour suprême de Dieu. Mais la faiblesse naturelle et ordinaire de l'homme n'ôte rien à sa puissance absolue et ne retranche rien à ses devoirs essentiels. Cette remarque nous permet d'expliquer la doctrine de saint François de Sales qui, d'une part, insiste sur l'impossibilité morale d'aimer Dieu par-dessus tout, si l'on est privé de la grâce, et d'autre part, affirme cependant la posssibilité de cet amour (1). Ce qui est certain c'est que l'homme doit, et dans l'ordre de la grâce, et dans l'ordre de la nature, aimer son Auteur par-dessus tout cet amour suprême est donc naturel au sens où le dit S. Thomas. Il y a plus. Comme cet amour est suprême et se rapporte à la fin dernière, et que celleci, comme nous l'avons vu, se subordonne toutes les autres, il s'ensuit que l'homme doit rapporter de quelque manière à l'amour de Dieu toutes ses actions.

1250. La superstition. A la religion est opposée la superstition, qui n'en est que l'erreur.

Il est malheureusement trop vrai que l'homme abuse de toutes choses et d'autant plus qu'elles sont meilleures; il n'est donc pas étonnant qu'il ait abusé de la religion et que celle ci ait servi de prétexte à mille écarts de la raison et du cœur humain. L'abus de la religion prend le nom de superstition. Celle-ci consiste å rendre un culte à de fausses divinités ou bien à servir le vrai Dieu d'une manière qui ne saurait lui être agréable. La superstition est donc une fausse religion, qui se trompe dans son objet ou du moins dans

(1) Traité de l'amour de Dieu, 1. I, chap. xvii.

ses pratiques. Les religions anciennes de la Grèce et de Rome se trompaient sur leur objet; de là le polythéisme et même l'idolâtrie. Certaines populations gagnées au christianisme mais imparfaitement instruites se sont trompées sur certains devoirs religieux, elles ont pu s'adonner à certaines pratiques superstitieuses. C'est le rôle de l'Eglise de combattre celles-ci, de promouvoir la connaissance du vrai Dieu et de maintenir dans sa pureté le culte qui lui est dû.

1251. La religion implique le culte. La religion implique le culte soit intérieur, soit extérieur, soit particulier soit public et social. Le culte, en effet, est la consequence de la religion. Celle-ci s'adresse d'abord à l'esprit par des vérités et des dogmes, tels que ceux-ci: l'existence de Dieu, c'est-àdire d'un créateur et juge suprême; l'attente d'une autre vie où le vice sera puni et la vertu récompensée; et s'il s'agit de la religion révélée : les mystères, de la sainte Trinité, de l'Incarnation et de la Rédemption, la présence de Jésus-Christ parmi les hommes sous les espèces eucharistiques, etc. De ces vérités, qui constituent, si l'on veut, la religion théorique, découlent des devoirs qui consistent dans l'accomplissement de certains actes extérieurs et intérieurs: la prière, l'adoration, la reconnaissance. C'est là le culte, que toutes les religions ont connu, et dont elles sont inséparables.

On distingue le culte intérieur et le culte extérieur: le premier consiste dans les actes de l'esprit; le second, dans l'expression des sentiments religieux. Le culte. extérieur est particulier ou public et social. Celui-ci est rendu par la société; celui-là, par les personnes privées. Or nous affirmons que la religion, qui est un

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