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naissent bien vite de tous les biens, surtout de ceux qui paraissent les plus grands. D'ailleurs les biens particuliers qui nous sont prodigués ne font que nous rendre plus sensible l'absence des autres; notre tourment s'accroît de tout ce qui nous manque et aussi de tout ce que nous avons, mais que nous n'aimons pas. De là ces ennuis incurables et ces violents désespoirs qui sévissent parmi les heureux de ce monde aussi bien et peut-être plus encore que parmi les déshérités.

Bref tous les biens particuliers et extérieurs que nous venons d'examiner ne sont pas le bien suprême que nous cherchons : ils sont compatibles avec une foule de maux; ils ne comprennent pas les biens supérieurs, comme la sagesse, la vertu, le savoir, qui perfectionnent l'âme elle-même; ils sont le principe d'une foule d'illusions, de regrets, de déceptions et de malheurs.

1160. Les biens corporels. Le plaisir. Les biens corporels et en particulier les plaisirs sensibles seront-ils préférables aux précédents? Assurément la santé, la beauté, la force et une longue vie sont des biens enviés; mais ils ne peuvent être la fin de l'homme. Le corps de l'homme, en effet, est pour l'âme, et les sens sont pour l'esprit. Ce n'est donc pas dans la conservation, la perfection et le bien-être du corps que l'âme peut chercher son bonheur et sa fin. La recherche de la volupté est particulièrement honteuse. Une âme qui garde quelque élévation ne saurait s'attacher plus que de raison aux plaisirs sensibles et disputer à l'animal un bien-être dégradant.

1161. Les plaisirs intellectuels. Il est

vrai qu'au-dessus des plaisirs grossiers des sens il y a ceux de l'esprit, d'une imagination heureuse, d'un cœur noble et délicat. Les arts, les beaux-arts surtout, la littérature, l'amitié, le commerce des esprits distingués et des âmes généreuses, sont la source de plaisirs intimes et constants, qui s'avivent par l'exercice et sont toujours mieux goûtés; loin d'abaisser l'âme, ils l'élèvent au-dessus d'elle-même et la portent vers un monde meilleur. Mais quelle que soit la pureté du plaisir que l'on goûte, il ne peut constituer par lui-même la fin dernière; car il n'est que l'effet de l'obtention d'un bien ou d'une fin il ne peut pas luimême constituer le terme ou le principe auquel il se rapporte. A l'obtention d'un bien sensible est attaché comme effet un plaisir sensible; à l'obtention d'un bien supérieur, comme la connaissance de la vérité ou le commerce de l'amitié, est attaché un plaisir supérieur. Mais ce n'est pas à ce plaisir que l'intention doit s'arrêter; ce plaisir n'est pas le but suprême, il n'est pas la fin dernière. Ou bien il faudrait dire que l'homme a été fait pour lui-même, qu'un égoïsme plus ou moins raffiné est la règle de la morale.

Quelle que soit donc la noblesse des plaisirs de l'esprit, ils ne sont pas la fin de l'homme. A plus forte raison faut-il dire que le plaisir en général n'est pas la fin dernière; car les plaisirs, même les plus élevés, s'allient insensiblement et de degré en degré avec les plaisirs moindres et même les plus bas; si bien que celui qui placerait sa dernière fin dans les plaisirs les plus élevés, serait bien vite invité à descendre, et son égoïsme délicat se changerait facilement en une volupté dégradante et méprisable à tous égards, Le plaisir n'est vraiment noble et permis que lorsqu'on

le subordonne à un bien supérieur et objectif, c'està-dire à l'honnête et au devoir.

1162. Objection. Les partisans de la morale du plaisir, comme aussi les partisans de la morale du bonheur, entendu au sens d'une satisfaction toute subjective et personnelle, nous adressent l'objection suivante La fin dernière ou le bonheur est la fin qui est recherchée pour elle-même. Or tel est le plai sir il serait ridicule, en effet, de demander à un voluptueux pourquoi il recherche le plaisir. Celui-ci est donc la fin suprême de l'homme. Seulement la vraie morale consiste à discerner les plaisirs faux ou imparfaits, qui entraînent la souffrance avec eux, des plaisirs vrais et supérieurs. Le sage subordonnera les plaisirs médiocres aux plaisirs nobles, ceux du moment présent, mais passagers et imparfaits, aux plaisirs de l'avenir. Telle est la morale positiviste, qui, au fond, ne diffère pas essentiellement de la morale de l'intérêt ni de la morale utilitaire. Toute la différence, en effet, qu'il y a entre ces morales et celle de la volupté, c'est que la dernière ne sait pas apprécier les plaisirs 'à leur juste valeur et sacrifier le présent à l'avenir ou du moins le plaisir de l'égoïsme au plaisir de l'altruisme, le plaisir goûté solitairement au plaisir du dévouement et de la générosité. Car les partisans de cette théorie essaient d'élever leur morale à la hauteur de celle du dévouement et du devoir. D'après eux, l'homme arriverait à trouver son plaisir dans l'abnégation de soi-même, et l'oubli de soi-même naîtrait à la longue de l'égoïsme (1).

(1) Cf. Les nouvelles bases de la morale d'après M. Spencer. Exposition et réfutation. Nous reviendrons plus longuement sur ces faux systèmes dans le chapitre LXXIV.

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Rép. Le plaisir est une fin dernière en ce sens qu'il n'est pas, comme l'utile, nécessairement subordonné dans notre intention à autre chose comme moyen. Cependant on conçoit très bien qu'il puisse être cherché ou accepté par la volonté comme moyen: par exemple lorsque nous goûtons le plaisir, le soulagement, l'espérance pour soutenir nos forces et obtenir un bien qui se fait longtemps attendre.

Mais si le plaisir peut être une fin, il s'agit de savoir s'il doit être une fin dernière. Nous le nions absolument; car, ainsi que nous l'expliquerons tout à l'heure, l'homme ne peut chercher sa fin dernière en lui-même, dans une perfection personnelle, si noble .soit-elle. Or le plaisir, quel qu'il soit, est toujours subjectif de sa nature, eût-il pour cause le bien d'autrui et même de la société tout entière. Il reste donc que la fin dernière ou le suprême motif de nos actions soit le bien objectif ou l'honnête. D'autre part, comme l'honnête est réellement inséparable du délectable, au moins dans un autre monde que celui-ci où Dieu récompensera la vertu, on ne peut chercher et atteindre l'honnête sans trouver le délectable, qui est son effet. Le délectable est donc le dernier effet d'une conduite vertueuse; mais il n'en est pas le mobile suprême. Tout en étant récompensé tôt ou tard de son dévouement, l'homme n'en reste pas moins généreux et désintéressé : son dévouement n'est pas un effet de l'égoïsme, comme paraît le vouloir M. Spencer, mais c'est un effet direct de l'amour absolu du bien, et, s'il trouve le plaisir par surcroît, c'est sans l'avoir cherché ou en le subordonnant toujours à l'amour du bien.

Comme on le voit, nous devons ici, pour approfon

dir la question du bonheur, emprunter les notions du bien que nous avons données en métaphysique, lorsque nous avons distingué entre le bien honnête ou le devoir, le délectable ou le plaisir et l'utile. Le bonheur ne consiste pas dans l'utile, qui n'est qu'un moyen, ni dans le délectable, qui est le dernier effet mais non le suprême motif de la conduite; il consiste avant tout dans l'honnête. C'est ce qui apparaîtra mieux encore dans la proposition suivante.

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1163. Objet du bonheur: il n'est pas dans l'homme. Après avoir dit en quoi le bonheur ne consiste pas, nous devons le déterminer positivement. Distinguons, pour cela, dans le bonheur l'objet et le sujet. L'objet, c'est le principe même du bonheur, c'est la fin dernière qui perfectionne le sujet et le rend heureux, c'est le suprême motif de la conduite et il se confond avec l'honnête. Le sujet du bonheur c'est la faculté, la nature, la personne qui reçoit la perfection totale qui lui convient et, avec elle, la félicité. Or l'objet du bonheur ne peut être dans l'homme, pas même dans les plus hautes facultés de l'âme ni dans les plus sublimes vertus, parce que l'homme ne se suffit d'aucune manière; l'âme en particulier dépend de son objet, du vrai, et du bien qu'elle connaît et qu'elle aime elle n'est ni la vérité ni le bien, alors même qu'elle entre en communication intime avec les vérités les plus hautes et le bien le plus parfait. Placer l'objet du bonheur ou le premier principe du bonheur dans l'âme, ce serait ramener à la créature toute vérité et tout bien, ce serait faire de l'homme un Dieu, une fin dernière et partant une cause première.

1164. Objections. 1o On nous objecte ici qu'il faut bien que le bonheur soit dans l'âme, puisqu'il

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