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morale qui fonde la théodicée. Déjà nous avons touché cette question en traitant de la division de la philosophie (no 14) et de la classification des sciences (no 349); nous avons vu alors que la morale revendique une certaine indépendance, en ce sens qu'elle a son principe propre immédiatement évident, qui n'est pas démontré précisément par aucune autre science. Ce principe est celui du devoir: Il faut faire le bien et éviter le mal. Ce principe, s'il est analysé, scruté par un esprit de bonne foi, conduit à reconnaître l'existence d'un suprême législateur, qui est Dieu même. Sous ce rapport la morale fonderait la théodicée et même toute la métaphysique, s'il faut en croire Kant. Mais il est évident que si la morale porte secours ici à la théodicée, c'est pour être secourue à son tour. Que deviendrait la morale s'il n'y avait point de Dieu, de législateur, de sanction? La plupart la confondraient bien vite avec un sentiment, un préjugé que l'on peut détruire ou transformer à peu près à son gré. Bref, il est évident que la morale finira toujours par se modeler sur la métaphysique ou les croyances spéculatives. C'est pourquoi, bien que le premier principe de la morale naturelle ne soit pas précisément un principe religieux, cependant la morale est réellement et pratiquement inséparable de la religion, et de la théodicée en particulier. Nos spiritualistes en conviennent généralement : MM. Ravaisson, Franck, Jules Simon, Caro, etc. Si plusieurs d'entre eux veulent l'affranchir de la théologie, c'est d'ordinaire la théologie sacrée qu'ils ont en vue. Et s'il en est qui aient paru affranchir complètement la morale, même de la théodicée, c'est que leur Dieu impersonnel ne mérite pas le nom de Dieu.

Quant aux positivistes et aux autres ennemis de toute religion révélée, ils essaient de fonder leur morale tantôt sur la psychologie ou l'histoire naturelle (Spencer), tantôt sur la métaphysique et la cosmologie (Schopenhauer, Hartmann). Mais il est évident que ces morales tournent au gré de chacun. S'il y a encore tant d'unanimité sur certaines règles pratiques des mœurs, malgré tant de divergences spéculatives, cela provient de ce que tous nos penseurs obéissent plus ou moins inconsciemment à l'esprit chrétien qui a fait la civilisation moderne. Mais leurs morales sont déjà. au fond, très différentes, et elles nous ramèneraient bientôt le paganisme avec toutes ses formes, si elles venaient à prévaloir.

En réalité donc il n'y a pas de morale vraie et parfaite qui soit absolument indépendante. La morale mène à Dieu et elle s'inspire de l'idée de Dieu; elle forme avec les autres sciences philosophiques un seul faisceau qu'il est impossible de rompre. Mais si la morale se sépare de ses sœurs, elle est exposée à tous les dangers, livrée à toutes sortes d'inconséquences. Après s'être affranchie de la révélation, elle tendra à s'affranchir de l'idée même de Dieu; et si elle y parvient, elle dénaturera la conscience et mettra finalement la force à la place du droit, et le plaisir, avec l'intérêt, à la place du devoir. Nous ne disons pas que les partisans de la morale indépendante en soient tous venus à ce point; mais leurs doctrines y conduisent fatalement.

Gardons-nous donc d'isoler la morale, et alors même que nous l'établissons sur sa propre base, montrons ses rapports avec les autres sciences philosophiques: avec la métaphysique, qui a pour objet l'absolu et seule

explique le caractère immuable du devoir; avec la théodicée, qui seule nous fait connaître suffisamment le suprême législateur et le suprême juge; enfin avec la psychologie, qui nous révèle la vraie nature de l'homme, que la morale ensuite s'applique à gouverner selon la prudence et la justice.

1153. Division de ce traité. Nous diviserons ce traité, comme on le fait communément, en deux parties 1o la morale générale ou l'éthique, qui. traite de la fin de l'homme, des actes humains et de leurs règles, c'est-à-dire des lois; 2o la morale spéciale ou le droit naturel, avec le devoir qui correspond à ce droit. Les devoirs sont individuels ou sociaux. Les premiers regardent Dieu, nous-mêmes ou le prochain. Les seconds regardent la famille, la société civile ou la société religieuse, les rapports de l'Eglise et de l'Etat.

Il est évident que la morale générale et la morale spéciale sont inséparables: la première fonde la seconde et ne cesse de la soutenir; l'éthique fonde le droit naturel, qui ne garde son caractère de droit qu'en communiquant avec elle. Il n'est donc pas permis, à la suite de Kant, d'assigner pour objet à l'éthique l'ordre intérieur et au droit l'ordre extérieur. L'ordre extérieur n'est moral que par l'ordre intérieur qui l'anime et l'élève. On ne sépare pas ainsi l'œuvre morale extérieure de la conscience qui l'inspire, la règle et l'ennoblît.

Tout

1154. Fin dernière de l'homme. d'abord il faut porter notre attention sur le principe de toute morale, sur le bien, dont le caractère obligatoire est évident. Qu'est-ce que le bien auquel nous devons tendre, auquel même nous tendons malgré

nous, si on le considère en général ? En quoi consiste le vrai bien, le souverain bien, auquel tous les autres sont subordonnés? La question est d'une extrême importance. Suivant la manière dont elle est résolue, toute la morale change de nature, d'esprit, et nous avons la morale du devoir ou la morale de l'intérêt et du plaisir. THESE. Dans tous leurs actes humains, les hommes cherchent une fin qu'ils connaissent comme telle et qui spécifie leurs actes au point de vue moral; - de plus ils subordonnent toutes leurs fins particulières à une même fin dernière, qui n'est autre que le bonheur ou la perfection.— Or le vrai bonheur ne consiste pas dans les richesses, ni dans les honneurs et la gloire, ni dans les biens corporels ou les plaisirs sensibles. —L'objet du bonheur est hors de l'homme et c'est Dieu même, que l'homme atteint par la connaissance et par la vision intuitive, s'il s'agit du bonheur des saints dans le ciel. Tous les autres biens ne sont que des moyens ou des effets ou des compléments par rapport à celui-ci. - Il suit de ces vérités qu'il n'y a pas de bonheur parfait sur la terre, quoique la somme des biens puisse paraître beaucoup plus grande que la somme des maux.

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1155. Tous les actes humains sont spécifiés par une fin. Nous parlons ici des actes humains, c'est-à-dire de ceux qui sont propres à l'homme et qui par conséquent procèdent de son intelligence et de sa volonté raisonnable. On ne saurait les confondre avec ceux dont l'homme est l'auteur inconscient, irresponsable, et qui, à ce titre, ne sont de l'homme que d'une manière matérielle. Or il est évident que

tous les actes humains doivent avoir une fin: ils ne sont pas faits au hasard, parce que l'intelligence n'agit pas au hasard, là où le hasard commence l'intelligence cesse; de plus, ces actes procèdent de la volonté, et celle-ci a pour objet nécessaire le bien, qui est une fin.

La fin que supposent les actes humains leur est absolument propre; elle les distingue radicalement des autres actes de l'homme et de tous les actes des créatures inférieures, bien que rien n'arrive sans but. S'il y a une intelligence suprême en ce monde, qui plie toutes choses aux lois de sa providence, il est bien évident que tout acte de la créature tend à quelque fin. Mais les actes humains ont cela de propre que la fin à laquelle ils se rapportent est connue comme telle de la créature qui accomplit ces actes et qui poursuit cette fin. Bref, l'homme en tant qu'homme, ne cherche pas sa fin à la manière de la pierre ou même de l'animal, mais il la cherche en comprenant cette subordination de ses actes à une fin; seul il a la notion de bien et de fin et il recherche avec connaissance de cause et possession de soi-même ce qui l'attire.

On voit dès lors combien se trompent ceux qui appliquent le mot de conduite indifféremment à l'animal et à l'homme (1). Ainsi appliqué à des objets si divers, le mot de conduite est équivoque. L'animal cherche une fin, il la connaît même, mais non pas comme telle; encore moins est-il capable de la choisir, d'en changer, de délibérer, à proprement parler, entre divers moyens. De là cette uniformité de la conduite de

(1) Ainsi M. Spencer dans Les bases de la morale évolutionniste (The data of ethics).

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