J'oublie et pleinement toute mon aventure. Mais une grande offense est de cette nature, Que toujours son auteur impute à l'offensé Un vif ressentiment dont il le croit blessé, Et quoiqu'en apparence on les reconcilie, Il le craint, il le hait, et jamais ne s'y fic.
Ce n'est pas tout d'un coup que tant d'orgueil trébuche. De qui se rend trop tôt on doit craindre une embûche: Et c'est mal démêler le cœur d'avec le front
Que prendre pour sincère un changement si prompt.
Rousseau définit ingénieusement l'histoire dans les vers
C'est un théâtre, un spectacle nouveau Où tous les morts, sortant de leur tombeau, Viennent encor sur une scène illustre
Se présenter à nous dans un vrai lustre,
Et du public dépouillé d'intérêt,
Humbles acteurs, attendre leur arrêt.
Là retraçant leurs faiblesses passées,
Leurs actions, leurs discours, leurs pensées,
A chaque état ils reviennent dicter.
Ce qu'il faut fuir, ce qu'il faut imiter (1);
Doit pratiquer, voir, observer, connaître;
Ce que chacun, suivant ce qu'il peut être, pol tro, ing
Et leur exemple, en diverses façons Donnant à tous leurs plus nobles leçons,
(1) Hoc illud est præcipuè in cognitione rerum salubre ac frugiferum, omnis te exempli documenta in illustri posita monumento intueri; indè tibi tuæque Reipublicæ quod imitarì, capias; indè foedum inceptu, fœdum exitu quod vites. Tit.-Liv.
Rois, magistrats, législateurs suprêmes, Princes, guerriers, simples citoyens mêmes, Dans ce sincère et fidèle miroir
Peuvent apprendre et lire leur devoir.
Diverses réflexions sur l'homme en général.
Qu'est-ce-que l'homme? Aristote répond : C'est un animal raisonnable.
Je n'en crois rien. S'il faut le définir à fond, C'est un animal sot, superbe et misérable. Chacun de nous sourit à son néant, S'exagère sa propre idée :
Tel s'imagine être un géant Qui n'a pas plus d'une coudée. Aristote n'a pas trouvé votre vrai nom; Orgueil et petitesse ensemble, Voilà tout l'homme ce me semble.
J'ai vu quelquefois un enfant
Pleurer d'être petit, en être inconsolable;
L'élevait-on sur une table,
Le marmot pensait être grand,
Tout homme est cet enfant les dignités, les places, La noblesse, les biens, le luxe et la splendeur, C'est la table du nain, ce sont autant d'échasses Qu'il prend pour sa propre grandeur. Je demande ce grand qui me regarde à peine, Et dont l'accueil même est dédain,
Qui peut fonder en lui cette fierté hautaine? Est-ce sa race, ou son sang, ou son train” Mais quoi! de tes aïeux la mémoire honorable, L'autorité de ton emploi,
Ton palais, tes meubles, ta table, Tout cela, pauvre homme, est-ce à toi ?
Rien moins, et puisqu'il faut qu'ici je t'apprécie, Un cœur bas, un esprit mal fait,
Une ame de vices noircie :
Te voilà nu; mais trait pour trait.
ABUS QUE L'HOMME FAIT DE SA RAISON.
Que les hommes mêmes dont l'esprit est cultivé ne doivent pas tant se glorifier de leur raison, à cause du mauvais usage qu'ils en font.
Mais vous, mortels, qui dans le monde Croyant tenir les premiers rangs, Plaignez l'ignorance profonde De tant de peuples différens; Qui confondez avez la brute Le huron caché sous sa hute, Au seul instinct presque réduit; Parlez, quel est le moins barbare D'une raison qui vous égare, Ou d'un instinct qui le conduit?
La nature en trésors fertile Lui fait abondamment trouver Tout ce qui lui peut être utile, Soigneuse de le conserver. Content du partage modeste Qu'il tient de la bonté céleste Il vit sans trouble et sans ennui; Et si son climat lui refuse
De ces biens dont l'Europe abuse Ce ne sont plus des biens pour lui.
Couché dans un antre rustique Du nord il brave la rigueur, Et notre luxe asiatique N'a point énervé sa vigueur; Il ne regrette point la perte De ces arts dont la découverte A l'homme a coûté tant de soins, Et qui, devenus nécessaires, N'ont fait qu'augmenter nos misères En multipliant nos besoins.
Il méprise la vaine étude D'un philosophe pointilleux,
Quelle espèce est l'humaine engeance? Pauvres mortels, où sont donc vos beaux jours ? - Gens de désirs et d'espérance,
Vous soupirez long-temps après la jouissance : Jouissez-vous, vous vous plaignez toujours : Mille et mille projets roulent dans vos cervelles. Quand ferai-je ceci? quand aurai-je cela? Jupiter vous dit: Le voilà!
Demain dites-m'en des nouvelles. Jouissez. Je vous attends là.
Ne vous y trompez pas, toute chose a deux faces, Moitié défauts et moitié grâces.
Que cet objet est beau! Vous en êtes tenté. Qu'il serait laid, s'il devient vôtre ! Ce qu'on souhaite est vu du bon côté, Ce qu'on possède est vu de l'autre.
Que la cupidité de l'homme est insatiable.
L'homme sourd à ma voix comme à celle du sage, Ne dira-t-il- jamais : C'est assez, jouissons?
Hâte-toi, mon ami: tu n'as pas tant à vivre. Je te rebats ce mot; car il vaut tout un livre. Jouis. Je le ferai.
Eh! mon ami, la mort te peut prendre en chemin.
L'homme est ainsi bâti : quand un sujet l'enflamme, L'impossibilité disparaît à son ame.
Combien fait-il de vœux ! combien perd-il de pas, Souffrant pour acquérir des biens ou de la gloire ! Si j'arrondissais mes états,
Si je pouvais remplir mes coffres de ducats, Si j'apprenais l'hébreu, les sciences,
Tout cela c'est la mer à boire.
Mais rien à l'homme ne suffit
Pour fournir aux projets que forme un seul esprit.
Que les inclinations et les humeurs des hommes sont différens selon les âges.
Le temps qui change tout, change aussi nos humeurs ; Chaque âge a ses plaisirs, son esprit et ses mœurs. Un jeune homme toujours bouillant dans ses caprices Est prompt à recevoir l'impression des vices, Est vain dans ses discours, volage en ses désirs, Rétif à la censure, et fou dans les plaisirs. L'âge viril plus mûr, inspire un air plus sage, Se pousse auprès des grands, s'intrigue et se ménage, Contre les coups du sort songe à se maintenir, Et loin dans le présent regarde l'avenir. La vieillesse chagrine incessamment amasse, Garde, non pas pour soi, les trésors qu'elle entasse, Marche en tous ses desseins d'un pas lent et glacé, Toujours plaint le présent, et vante le passé; Inhabile aux plaisirs dont la jeunesse abuse, "Blâme en eux les douceurs que l'âge lui refuse.
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