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PENSÉES ET MAXIMES.

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CHAPITRE XI.

Pensées ou réflexions ingénieuses, et maximes utiles sur divers sujets, rangées par ordre alphabétique.

SUR LES AMIS.

Qu'un ami véritable est une douce chose!
Il cherche vos besoins au fond de votre cœur ;
Il vous épargne la pudeur

De les lui découvrir vous-même.

Un songe, un rien, tout lui fait peur,
Quand il s'agit de ce qu'il aime.

Chacun se dit ami, mais fou qui s'y repose:
Rien n'est plus commun que ce nom;
Rien n'est plus rare que là chose.

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Un ennemi nuit plus que cent amis ne servent.
Qu'à jamais les dieux m'en préservent !
La haine veille et l'amitié s'endort.

La Fontaine.

Idem.

La Motte.

La Motte.

Sur l'Amour-propre.

L'amour-propre est la source en nous de tous les autres,
C'en est le sentiment qui forme tous les nôtres,
Lui seul allume, éteint ou change nos désirs :
Les objets de nos vœux le sont de nos plaisirs.

Corneille, Tit. Bérén.

Les égards nous sont dus à tous tant que nous sommes,
Et tout amour-propre a ses droits.

Il faut ménager tous les hommes :

En fait d'orgueil tous les hommes sont rois.

La Motte.

Sur l'utilité de l'Apologue ou des fables morales.

L'apologue est un don qui vient des immortels,
Ou si c'est un présent des hommes,

Quiconque nous l'a fait mérite des autels :

Nous devons tous tant que nous sommes,
Ériger en Divinité

Le sage par qui fut ce bel art inventé.

C'est proprement un charme : il rend l'ame attentive,
Ou plutôt il la tient captive,

Nous attachant à des récits

Qui mènent à son gré les cœurs et les esprits.

Sur l'Avarice.

La Fontaine.

De tous les vices des humains
Le plus moqué c'est l'avarice;

C'est aussi le plus fou: bernez-le, c'est justice:
Quant à moi j'y donne les mains.

Qu'en dirons-nous? ou bien que n'en direz-vous pas ?
Peignez l'avare en sa folle disette,

De Belzébut infâme anachorète,

Qui fait vœu sur son or de renoncer à tout,
Qui se traite lui-même à sa table maudite

Comme un effronté parasite

Qu'il voudrait éloigner par un mauvais ragoût.
Quand le vice est opiniâtre,

La satire doit l'être aussi.

Allez le bafouer de théâtre en théâtre,
Tant qu'à le corriger vous ayez réussi.

La Motte.

SUR LES BIENS.

Qu'une mesure convenable de biens est nécessaire à

l'homme.

Je sais quel est le prix d'une honnête abondance
Que suit la joie et l'innocence,

Et qu'un philosophe étayé
D'un peu de richesse et d'aisance,
Dans le chemin de sapience,
Marche plus ferme de moitié.
Mais j'aime mieux un sage à pied
Content de son indépendance,
Qu'un riche indignement noyé
Dans une servile opulence,

Qui sacrifiant tout, honneur, joie, amitié,
Au soin d'augmenter sa finance,
Est lui-même sacrifié

A des biens dont jamais il n'a la jouissance.

Une ame libre et dégagée

Des préjugés contagieux,
Une fortune un peu rangée,

Un corps sain, un esprit joyeux,
Et quelque prose mélangée
De vers badins ou sérieux,
Me font rencontrer l'apogée
De la félicité des dieux.

Rousseau.

Idem.

SUR LE VRAI BONHEUR.

Qu'il consiste dans la médiocrité et dans une vie hors des embarras et du brillant du monde.

Ni l'or ni la grandeur ne nous rendent heureux;
Ces deux divinités n'accordent à nos voeux

Que des biens peu certains, qu'un plaisir peu tranquille :
Des soucis dévorans c'est l'éternel asile ;
Veritables vautours que le fils de Japet
Représente enchaînés sur son triste sommet.
L'humble toit est exempt d'un tribut si funeste.
Le sage y vit en paix et méprise le reste :
Content de ses douceurs, errant parmi les bois,
Il regarde à ses pieds les favoris des rois.

Il lit au front de ceux qu'un vain luxe environne,
Que la fortune vend ce qu'on croit qu'elle donne ;
Approche-t-il du but, quitte-t-il ce séjour ?
Rien ne trouble sa fin; c'est le soir d'un beau jour.

La Fontaine.

Méme vérité.

Qu'heureux est le mortel qui, du monde ignoré.
Vit content de soi-même en un coin retiré;
Que l'amour de ce rien qu'on nomme renommée
N'a jamais enivré d'une vaine fumée;
Qui de sa liberté forme tout son plaisir,
Et ne rend qu'à lui seul compte de son loisir !
Il n'a point à souffrir d'affronts ni d'injustices,
Et du peuple inconstant il bravé les caprices.

COLÈRE.

Boileau.

Qu'il y a de la gloire d'être maître de sa colère.

Est-on héros pour avoir mis aux chaînes

Un peuple ou deux? Tibère eut cet honneur.

Est-on héros en signalant'ses haines
Par la vengeance? Octave eut ce bonheur.
Est-on héros en régnant par la peur ?
Séjan fit tout trembler et jusques à son maître.
Mais de son ire éteindre le salpêtre,
Savoir se vaincre, et réprimer les flots
De son orgueil, c'est ce que j'appelle être
Grand par soi-même, et voilà mon héros.

· Épigramme de Rousseau.

Sur la Cour des rois.

Je définis la cour un pays où les gens
Tristes, gais, prêts à tout, à tout indifférens,
Sont ce qu'il plaît au prince, ou s'ils ne peuvent l'être,
Tâchent au moins de le paraître ;

Peuple caméléon, peuple singe du maître,

On dirait qu'un esprit anime mille corps.

La Fontaine.

Est-il des droits sacrés si l'on veut qu'il (1) périsse?
Aura-t-il des amis? Quel nom dans ce séjour ?

La sincère amitié n'habite point la cour,

Son fantôme hypocrite y rampe aux pieds d'un maître ;
Tout y devient flatteur : tout flatteur cache un traître.
Eût-il gagné les cœurs par des bienfaits nombreux,
Ose-t-on être encor l'ami des malheureux ?
De la cour un instant change toute la face;
Tout vole à la faveur, tout quitte la disgrâce.
·Ceux-mêmes qu'il servit ne le défendront pas..
Le jour d'un nouveau règne est le jour des ingrats.

Gresset, Édouard III, Trág.

Retenez cet enseignement :

Ne soyez à la cour, si vous voulez y plaire,
Ni fade adulateur, ni parleur trop sincère,
Et tâchez quelquefois de répondre en normand.

La Fontaine.

(1) On parle d'un ministre disgracié et accusé injustement.

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